• Aucun résultat trouvé

3 La discrimination sociale par le zonage

En reprenant l’approche de Fischel (1978), on peut considérer que le zonage sert d’instrument de gestion des droits de propriété sur les biens collectifs d’une commune ou d’un quartier. Ces biens collectifs relèvent autant des services publics locaux que du sentiment de sécurité, du niveau scolaire, de la tranquillité du quartier, de la proximité d’espaces ouverts et d’espaces récréatifs. La gestion de ces biens collectifs suppose un fonctionnement collectif sélectif, c’est-à-dire une possibilité d’exclusion de la consommation. En outre, ces biens peuvent participer considérablement à la valeur d’un bien immobilier. L’arrivée de ménages plus pauvres dans un quartier constitue un risque de dépréciation de leur patrimoine immobilier. L’optimisation de la valorisation du patrimoine des ménages propriétaires de leurs logements

84

Club : association d’agents regroupés pour produire un bien collectif. Le club est caractérisé par la possibilité d’exclure les non-membres de la consommation du bien collectif. Voir Buchanan (1965).

nécessite une forme d’intervention publique à même de gérer ces biens publics. Le zonage fonctionnaliste confirme les usages en vigueur et réduit l’incertitude des propriétaires quant à l’utilisation des terrains voisins. Le zonage constitue à ce titre « un instrument propice pour

maintenir ou augmenter la valeur des terrains ou des immeubles qui sont situés dans la même zone » (Ruegg, 2000). La promotion du cadre de vie résidentiel a donc pour revers de

médaille une certaine discrimination sociale. Pogodzinski (1992) définit le zonage d’exclusion comme « le désir d’exclure ou de restreindre l’installation dans une commune de personnes

appartenant à un groupe racial ou à une classe sociale donnée ». Comby (2004) estime que

les politiques des centres-villes de renouvellement urbain et les annonces de la promotion de la mixité sociale peuvent avoir des effets pervers en accélérant le départ des ménages des centres-villes vers les banlieues résidentielles « offrant des images de sécurité, tant est grande

la demande de ségrégation de la part d’un nombre croissant de ménages aisés ». Par ailleurs,

Fischel (2000) attire l’attention sur la fréquence de l’entente inattendue entre les groupes d’intérêts défenseurs de l’environnement naturel, ceux défenseurs du cadre de vie résidentiel. Derrière la défense du caractère rural d’une commune se profile souvent une politique d’exclusion car promouvoir le cadre de vie suppose souvent d’en limiter l’accès. “While

many courts and state-wide policies are hostile to selective exclusion of the poor, they usually look benignly on general exclusion in the name of open space, small-town character, and farmland and wetland preservation85.” (Fischel, 2000).

Clingermayer (2004) reprend les idées de Fischel et soutient que loin d’être un résultat non intentionnel du zonage, l’exclusion peut être un objectif des autorités locales que celles-ci s’efforcent de masquer derrière des justifications esthétiques ou environnementales86. Les autorités locales cherchent, sous la pression de leurs électeurs, à empêcher l’installation de ménages plus modestes sur leur territoire. Les restrictions foncières permettent, selon lui, d’élever le prix moyen des logements et d’interdire l’accession à la propriété dans la commune à ces ménages « indésirables ». L’étude des intérêts en jeu révèle que les résidents et les propriétaires soutiennent ces politiques contre les ménages modestes et les promoteurs immobiliers. Le zonage sert d’instrument à l’expression du syndrome NIMBY. Les résidents cherchent à se prémunir des effets externes négatifs des ménages modestes (école, sécurité, politiques sociales redistributives…). Les propriétaires cherchent à exclure les ménages les plus pauvres pour mieux valoriser leur patrimoine immobilier. Les promoteurs immobiliers

85 Alors que les tribunaux et les règlements sont hostiles à l’exclusion sélective des pauvres, elles regardent avec bienveillance les formes plus larges d’exclusion au nom de la protection des espaces ouverts, de la faible dimension d’une ville, ou de la préservation des terres agricoles ou des zones humides

86 Le constat que les communes utilisaient à des fin d’exclusion les tailles minimales de lot était également partagé en France au cours des années 1990, et avait poussé le législateur à interdire les tailles minimales de lot dans loi SRU de décembre 2000, puis à revenir sur cette décision dans la loi UH de juillet 2002 pour finalement exiger simplement une justification explicite des raisons de l’instauration d’une taille minimale de lot.

s’opposent à ces mesures, car ces dernières réduisent l’extension physique du développement urbain et leurs font perdre des opportunités de profit. Le surcroît de qualité du cadre de vie se capitalise dans la rente foncière et n’est pas capté par les promoteurs. Les ménages les plus pauvres ou les locataires s’opposent aussi à ces mesures car elles accroissent le coût du logement moyen et restreignent leurs choix de localisation. Clingermayer (2004) suggère que les communes les plus petites et les plus homogènes doivent pratiquer un zonage plus restrictif que les grandes communes. Néanmoins, il concède que la complexité des intérêts en jeu dans les grandes villes peut tout aussi bien conduire à des pratiques très restrictives. Par ailleurs, il semble que le zonage soit aussi utilisé aux Etats-Unis par certaines municipalités afin d’entretenir une certaine ségrégation raciale (Karkkainen, 1994). Le caractère ségrégatif du zonage n’est cependant pas spécifique au seul zonage. Karkkainen (1994) rappelle qu’aux Etats-Unis la fiscalité locale, le système judiciaire, les marchés publics, les diverses licences accordées par les pouvoirs publics… peuvent également être utilisés de manière discriminante. Aussi, il recommande de ne pas cristalliser sur le zonage des disfonctionnements inhérents à de nombreuses situations d’intervention publique.

Conclusions

Le changement de paradigme de l’économie du bien-être vers celui de l’école des choix publics déplace la perspective de l’analyse des justifications du zonage vers l’analyse des finalités de celui-ci. A coté de deux justifications du zonage qui permettent de retrouver un optimum de premier rang, le zonage d’externalité et le zonage fiscal, deux autres concepts complètent l’étude des fondements du zonage : le zonage de monopole et le zonage d’exclusion. Le zonage d’externalité permet d’internaliser les effets externes tandis que le zonage fiscal permet, en instaurant des tailles minimales de lot, de prévenir les comportements de passager clandestin en matière de fiscalité locale et de retrouver l’efficience de la production des BPL dans un cadre de concurrence intercommunale à la Tiebout. Le zonage d’exclusion qualifie les pratiques sélectives et discriminatoires qui filtrent les nouveaux arrivants. Le concept de zonage de monopole fait référence à la réduction du nombre de terrains à bâtir pour accroître leur prix. Il peut aussi se traduire par des tailles minimales de lot plus élevées destinées à faire payer plus d’impôts fonciers aux nouveaux arrivants que leurs préférences pour les consommations collectives ne l’exigent. L’effectivité du zonage de monopole en France est certainement réduite par la concurrence intercommunale. La prochaine partie présente les résultats des études appliquées qui ont cherché à tester l’efficacité du zonage fiscal ou du zonage d’externalité ou l’effectivité du zonage d’exclusion et du zonage de monopole.