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Les théories centrées sur les aménités et la croissance urbaine

mécanismes d’agglomération

3. Les travaux centrés sur les aménités culturelles comme déterminants de la localisation localisation

3.2. Les théories centrées sur les aménités et la croissance urbaine

Un second ensemble de travaux s’intéresse à la localisation de certaines catégories d’individus et aux

aménités. Il se différencie des travaux de Florida à deux égards. Premièrement, ces travaux adoptent

une approche conventionnelle du capital humain qui est mesuré par le niveau d’éducation et non par le niveau de créativité qui n’aurait pas de réelle valeur ajoutée (Glaeser 2004). Deuxièmement,

l’ambition des approches centrées sur la croissance urbaine est différente de l’approche de la classe créative puisque leur objectif n’est pas d’expliquer la croissance économique ni l’agglomération des activités et agents au sein d’une ville, mais bien la croissance urbaine, c’est-à-dire l’attractivité des villes. L’idée est de dire que les aménités (culturelles, climatiques, paysagères, etc.) impactent les choix de localisation des individus les plus qualifiés (les « knowledge workers » dans la littérature anglo-saxonne). Ces approches mettent reposent sur l’idée selon laquelle les opportunités de consommations culturelles et les aménités culturelles offertes par les villes seraient prépondérantes par rapport aux aspects productifs pour expliquer le succès des villes. Les terminologies employées par les auteurs insistent sur

l’idée de consommation avec la « Consummer city » de Glaeser et al. (2001) et de divertissement avec le

concept d’« Entertainment city » chez Clark et al. (2002). Selon ces auteurs, la modification du contexte économique (baisse des coûts de transport, augmentation générale des revenus et du niveau de capital

humain) expliquerait l’augmentation de la demande d’aménités urbaines et culturelles. Cela rejoint l’idée selon laquelle les aménités seraient des biens supérieurs (Partridge 2010) dont la consommation augmente plus vite que le revenu, lui-même fonction du niveau de capital humain.

Ces approches adoptent une lecture plus strictement ancrée dans la microéconomie dans la mesure où

l’analyse est relativement statique et s’intéresse à une catégorie d’agents économiques. En effet, les firmes sont supposées fixées dans l’espace et l’idée d’interdépendance entre la localisation des

producteurs et des consommateurs comme dans le modèle CP n’apparait pas. Les raisonnements sont

donc limités du point de vue du territoire.

3.2.1. La ville comme lieu de consommation (Glaeser et al. 2001) 3.2.1.1.Des aménités climatiques aux aménités urbaines

Les travaux de Glaeser et al. (2001) se situent dans la continuité d’un ensemble de travaux menés en

économie de la migration cherchant à expliquer les choix de localisation individuels. Partridge (2010) retrace historique de ces modèles de migration et constate que ce sont les travaux du géographe Ullman (1954) qui sont parmi les premiers à observer la sensibilité des mouvements de population aux attributs

120 climatiques et environnementaux (paysages, littoral etc.). Partridge explique ensuite que les

économistes ont commencé à s’intéresser aux phénomènes de migration à la suite du regain d’attractivité de la sunbelt aux États-Unis dans les années 60 et 70. Ce regain d’attractivité s’explique

par plusieurs éléments parmi lesquels se trouvent les aménités climatiques (c.-à-d. un climat favorable). Les travaux empiriques de Graves (1979) et Graves et Linneman (1979) constituent les premiers travaux empiriques menés sur les aménités (climatiques) en tant que déterminants de la localisation des individus. La littérature empirique sur les préférences en matière d’aménités s’est également

développée grâce aux travaux de Rosen (1974) qui sont à l’origine de nombreuses études sur la qualité

de vie des territoires (Blomquist 2006 ; Blomquist, Berger, et Hoehn 1988 ; Deller et al. 2001 ; Gyourko, Kahn, et Tracy 1999 ; Roback 1982), les aménités renvoient directement à cette notion de qualité de vie dans cet ensemble de travaux.

Glaeser et al. (2001) expliquent comment à mesure des innovations technologiques et des changements

sociétaux, la nature des aménités expliquant l’attractivité de certaines régions/villes a changé. Glaeser et Tobio (2007) avancent l’idée que le changement technologique à partir des années 40 a permis aux aménités climatiques de devenir un facteur explicatif de la localisation aux États-Unis jusque dans les années 70 en expliquant le phénomène de croissance de la population dans les régions les plus chaudes.

Les changements technologiques évoqués par les deux auteurs correspondent à l’invention de l’air

conditionné et le développement des transports (collectifs et individuels) ont aussi selon eux beaucoup aidé les individus à se libérer des contraintes de localisation. Les agglomérations ont ainsi pu se former

dans des régions où le sol était plus disponible et donc moins cher ce qui a contribué à l’étalement

urbain et à la diminution de la densité urbaine limitant ainsi l’augmentation des prix de l’immobilier. C’est à partir de la fin des années 80 et du début des années 90 que la sunbelt devient moins attractive au profit des villes du nord-est des États-Unis telles que Boston et Washington DC. C’est ce que Glaeser

et al. (2001) appellent la croissance des consummer cities puisqu’elles proposent des opportunités de

sortie nombreuses et diversifiées, des équipements culturels, des restaurants, etc. Ce regain

d’attractivité des villes du Nord-Est serait principalement le fait de l’attraction des individus les plus qualifiés (Glaeser 2005 ; Glaeser et Shapiro 2003) particulièrement sensibles aux aménités urbaines et culturelles.

3.2.1.2.Quatre types d’aménités urbaines valorisées par les plus qualifiés

Glaeser et al. (2001) distinguent quatre types d’aménités urbaines qui seraient particulièrement

importantes pour expliquer la croissance urbaine :

• Une riche variété de services et de biens de consommation : l’aménité correspond ici à l’accès à la variété qui est une hypothèse que l’on trouve également dans les modèles centre-périphérie

121 (Gaigné et Thisse 2013) et qui joue le rôle de force d’agglomération. Ce n’est pas tellement la

consommation de biens et services qui correspond à l’aménité ici, mais bien les opportunités d’activité et l’accès à la variété des biens et services.

• Les caractéristiques esthétiques et physiques des villes correspondent à l’aménagement de la

ville et à l’architecture des bâtiments qui y sont présents. Là encore, il ne s’agit pas en soi des

aménités urbaines, mais des actifs de la ville qui peuvent générer du bien-être auprès des habitants en rendant la vie en ville agréable.

• La qualité des services publics fait référence à la qualité des écoles et au sentiment de sécurité dans la ville qui correspondrait alors à une désaménité. Cette dernière peut être mesurée par le taux de criminalité qui impacterait négativement le choix de localisation dans une ville et donc la croissance de sa population.

• La vitesse : elle correspond à la capacité à se déplacer facilement dans la ville et ses alentours.

Là encore, les transports constituent des actifs, mais ils facilitent l’accessibilité des différents

points de la ville qui constituent une aménité au sens où nous avons défini le terme dans le premier chapitre. Les individus auraient tendance à éviter les villes où les coûts de transport sont élevés. Une référence aux coûts urbains du modèle centre-périphérie proposé par Gaigné et Thisse (2013) peut être identifiée ici.

La vision de Glaeser et al. (2001) se focalise sur l’idée que les villes qui réussissent à attirer des individus

sont celles orientées vers les consommateurs qui proposent les aménités décrites ci-dessus, et non les villes qui restent organisées autour de la production.

Bien que le modèle proposé n’ait pas vocation à expliquer une inégalité des territoires comme le modèle

centre-périphérie, les auteurs mettent en évidence une typologie de villes issue de leurs observations :

• Les villes denses renaissantes : il s’agit de villes qui ont su effectuer une transition vers l’économie de la connaissance, qui concentre un taux relativement élevé de capital humain

et présentent des caractéristiques architecturales remarquables ainsi que de nombreuses opportunités de consommation. Toutefois, elles ne voient pas leur population croitre dans la mesure où elles ont déjà atteint un niveau de densité élevé. Ceci fait que ces villes sont principalement concernées par le phénomène de gentrification, c’est-à-dire par une recomposition de leur population en faveur des hauts niveaux de revenus. Glaeser, Kolko, et Saiz (2001) citent parmi ces villes New York, San Francisco, Boston, Chicago, Paris, Londres ou encore Barcelone.

Les anciennes villes denses : il s’agit de villes qui ont perdu leur statut du fait de la chute de leur industrie et qui n’ont pas su attirer le capital humain. Les valeurs des anciens bâtiments

122 sont donc très en dessous des coûts de production de nouveaux lieux. Les villes citées en exemples sont Détroit et St Louis aux États-Unis, Vienne, Edinburg et les villes du nord de

l’Angleterre en l’Europe. Les auteurs ajoutent que ces villes n’ayant jamais eu le statut de

capitale politique, elles sont relativement dépourvues de monuments et ont une architecture peu attractive.

Les villes périphériques : les auteurs décrivent ces villes (Los Angeles, et Tyson Corner à

Washington) comme ayant une faible densité de population, principalement du fait de leur étendue qui en fait des villes où l’on se déplace en voiture (« car cities »). Selon les auteurs,

ces villes sont vouées à croire dans la mesure où aucune entrave n’est faite aux

déplacements, et surtout aux déplacements en voiture. En comparant le cas américain au cas européen, ils remarquent qu’une ville telle que Los Angeles a peu de chance d’apparaitre en Europe dans la mesure où l’utilisation de la voiture est découragée par les

taxes sur le carburant et la subvention des transports publics.

Cette typologie apparait comme très fortement orientée sur les villes américaines. D’après les auteurs,

ce seraient les villes périphériques qui bénéficieraient le plus de la croissance de la population, ils restent

toutefois assez flous et ne donnent pas d’exemples précis. On peut supposer que les villes centres aient déjà atteint une sorte de limite au-dessus de laquelle les coûts urbains surpasseraient les bénéfices individuels retirés des aménités urbaines. Par ailleurs, les anciennes villes denses ne semblent pas avoir attiré leur attention alors qu’il est intéressant de noter que les modèles de régénération urbaine par la culture leur sont souvent appliqués dans ce type de villes, comme dans celles du nord de l’Angleterre

(Bailoni 2014).

3.2.1.3. Les raisons du succès de la ville du consommateur

Glaeser et al. (2001) évoquent deux principales raisons contextuelles pour expliquer la croissance urbaine des villes proposant des aménités.

Croissance du revenu et amélioration des technologies de transport

Premièrement, la croissance du niveau de revenu à deux effets. Elle augmente la demande de biens

normaux et supérieurs d’une part et le prix du temps d’autre part, ce qui fait que les temps de trajets longs ont un coût d’opportunité élevé. Cela expliquerait la demande croissante pour les villes proposant

des aménités qui sont des biens supérieurs (Partridge 2010). Le deuxième facteur contextuel

correspond à l’amélioration des technologies de transport des biens, des individus et des idées. Les

coûts de transports supportés par les navetteurs ont donc tendance à diminuer sans pour autant devenir nuls et dans le même temps, le confort et l’efficacité augmentent.

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La baisse générale du niveau de criminalité

La croissance urbaine serait également la conséquence de la baisse du niveau de criminalité. Cullen et Levitt (1999) montrent qu’aux États-Unis, une augmentation du nombre de crimes dans une région impacte négativement le niveau de population dans cette zone par des départs, notamment des individus les plus qualifiés et de ceux ayant des enfants qui seraient les plus sensibles à cet aspect. Cela

peut s’expliquer par le fait que le taux de crime constitue un indicateur de risque et une ville risquée ne

permet pas de profiter pleinement des aménités (positives) qu’elle peut proposer (Glaeser et Tobio 2007).

L’offre de biens et services de niche

Glaeser et al. (2001) évoquent le fait que des biens et services nécessitant une masse critique de

consommateurs ont plus de chances d’être fournis dans les villes et ainsi d’attirer de nouveaux

consommateurs. On peut identifier ici une référence aux actifs culturels de niche de (Kloosterman 2014)

qui ont tendance à être offerts dans les zones urbaines où la probabilité d’atteindre une demande

suffisante est plus forte. Cela explique que la diversité de l’offre culturelle soit plus forte dans les grandes villes et qu’elle ne se limite pas à des actifs culturels ciblant une audience mainstream.

L’effet du niveau de salaire

Glaeser et Shapiro (2003) indiquent également que la préférence des qualifiés pour les villes du Nord-Est pourrait s’expliquer par des gains de productivité croisés entre pairs à travers le contact, l’observation et l’imitation. Autrement dit, les externalités de connaissances amélioreraient le niveau

des salaires. Le succès des villes du Nord-Est serait alors lié à un accroissement de la productivité urbaine

et à la proposition d’une meilleure qualité de vie qui constituerait deux forces d’agglomération. Cette demande pour les villes serait d’autant plus forte que les coûts de transports des biens, des individus et des idées se réduisent (Glaeser et al. 2001). Moretti (2004) va plus loin en montrant que la concentration des qualifiés dans la ville a pour effet d’augmenter le salaire des plus qualifiés, mais aussi des individus

non qualifiés. Les externalités de connaissances ne se limitent donc pas aux plus qualifiés. 3.2.2. La ville comme lieu de divertissements

L’approche de la ville en tant que lieu de divertissements et de loisirs (Clark et al. 2002) est plus

« radicale » que les précédentes puisqu’elle affirme que les aménités déterminent entièrement la compétitivité et le succès des villes en termes de croissance de la population. Plusieurs actifs

potentiellement producteurs d’aménités sont cités tels que les parcs, les musées, les galeries d’art, l’architecture, etc.

124 La croissance de ces aménités en tant que déterminants de la localisation serait liée au déclin des

facteurs traditionnels après le passage à l’économie post-industrielle. La distance et les transports ne seraient plus pertinents pour expliquer la localisation, de même que la proximité à certaines ressources.

La diffusion de l’information et les médias joueraient un rôle particulièrement important dans la

redéfinition des préférences individuelles qui s’orienteraient vers le loisir plus que vers le travail. Cette transformation de la ville serait liée à une transformation politique plus globale qui aurait tendance à réduire le poids des décisions prises à un échelon élevé pour se rapprocher des citadins, des travailleurs et de leurs préoccupations. Cela se traduit en France par la multiplication des conseils de quartier et dans le domaine privé, par une modification des méthodes de management favorisant management horizontal et les prises de décisions participatives.

Cette approche se différencie de celle de Florida (2002a) dans la mesure où elle ne s’intéresse pas aux créatifs, mais à plusieurs catégories d’individusen fonction de l’âge, du niveau d’éducation et de la

composition du ménage d’appartenance. La question de l’emploi est aussi abordée, ce qui constitue un

élément de différenciation par rapport à l’approche de Glaeser et al. (2001) où le salaire et l’emploi constituent toujours des forces en jeu dans l’arbitrage entre villes. L’idée ici est de dire que les villes sont en concurrence et que des emplois vacants sont présents dans toutes les villes. Ceci fait que les villes ne sont pas en concurrence sur la capacité à offrir des emplois (qualifiés), mais sur leur capacité à proposer une certaine qualité de vie aux individus et notamment des aménités culturelles. Ceci amène les auteurs à dire que les aménités seraient le principal vecteur de croissance alors que Glaeser et al. (2001) sont plus modérés et ont plutôt tendance à penser que les aménités ne sont qu’un déterminant

ayant gagné en importance parmi d’autres facteurs explicatifs de la localisation.

Dans l’approche de Clark et al. (2002) les opportunités d’emploi sont, d’une certaine manière,

endogènes. Sur ce point, cette approche s’apparente à celle des « 3T » de Florida dans la mesure où les

opportunités d’emploi apparaissent comme secondaires, soit parce qu’elles arrivent après (Florida 2002a) dans le processus de croissance, soit parce qu’elles sont présentes dans toutes les villes (Clark

et al. 2002). Par ailleurs, on peut également avancer l’hypothèse que les individus qualifiés peuvent être

à l’origine de dynamiques entrepreneuriales, ce qui revient une fois de plus à l’hypothèse de Florida où l’emploi suit les travailleurs plutôt que l’inverse.