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L’aménité culturelle comme forme particulière d’externalité

Réflexions préliminaires sur le concept

2. Les caractéristiques économiques du concept d’aménité

2.4. L’aménité culturelle comme forme particulière d’externalité

Une externalité correspond à l’impact de l’activité d’un ou plusieurs agents économiques sur le

bien-être d’autres agents économiques sans qu’une transaction entre eux n’ait lieu pour compenser cet effet

(Guerrien 2003, p.212). Cette définition comprend deux aspects. Premièrement, l’externalité est une

conséquence secondaire d’une activité principale et deuxièmement, il n’existe pas de mécanisme de

marché assurant la compensation entre le producteur de l’externalité et le bénéficiaire. L’aménité

culturelle se rapproche alors de l’externalité selon ces deux aspects.

2.4.1. Les aménités sont issues du stock d’actifs culturels sur le territoire

Dans le cas des aménités, l’originede l’aménité est complexe à identifier et il peut être utile de recourir à la typologie des aménités proposée par Brueckner et al. (1999) qui distinguent les aménités exogènes

des aménités endogènes. Les premières correspondent aux aménités issues d’actifs naturels ou du

patrimoine historique. Dans ces deux premiers cas, l’existence des aménités ne dépend pas de l’activité

économique31. Les aménités endogènes, issues des théâtres ou restaurants par exemple, ont quant à

31 Le cas des aménités historiques peut être perçu comme ambigu puisqu’elles sont issues d’une activité humaine et économique ancienne. Leur persistance dépend aujourd’hui toujours de la volonté d’entretenir ce patrimoine et des moyens dont disposent les collectivités publiques.

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elles une existence conditionnée au niveau d’activité économique du territoire, et par conséquent au revenu de ses habitants. Les aménités culturelles entrent dans la catégorie des aménités endogènes

sous deux aspects. Elles sont issues de la présence d’actifs culturels sur le territoire et ces actifs mènent, le plus souvent, une activité économique. Leur existence dépend donc de la taille du marché et éventuellement des subventions perçues des collectivités locales32. Dans les deux cas, le financement dépend des revenus des agents résidant dans la ville puisque les financements publics dépendent de

prélèvements d’impôts sur les revenus des résidents. Un deuxième aspect relève de la tendance à

l’agglomération des activités culturelles dans les villes que Scott et Leriche (2005) expliquent par le fonctionnement particulier du secteur. Ce dernier est composé de nombreuses très petites entreprises dont l’activité est structurée autour de projets rendant l’activité relativement instable. L’agglomération

favorise la rencontre des artistes et techniciens autour de projets et réduit le risque d’inactivité entre

les projets. Les interactions suscitées par cette proximité géographique favorisent l’activité et donc la production d’aménités sur le territoire ce qui explique que Backman et Nilsson (2016) associent la

production d’aménités culturelles au phénomène d’agglomération des activités culturelles dans les centres urbains.

Les aménités culturelles s’apparentent ainsi à une externalité particulière dont l’existence n’est pas

attribuable à l’activité d’un actif culturel particulier, mais plutôt à l’agglomération d’un ensemble d’actifs culturels dont l’existence dépend en partie des conditions économiques du territoire. Les aménités

exogènes peuvent exister indépendamment de toute activité économique, de ce point de vue, il est

donc plus difficile de parler d’externalité puisqu’elles ne sont pas nécessairement les conséquences d’une activitééconomique d’un ou de plusieurs agent tiers.

2.4.2. L’aménité marque la dimension géographique du bien-être

Un second critère de distinction entre les concepts d’aménité et d’externalité relève du caractère géographique du bien-être. L’utilisation du terme d’aménité permet d’insister sur une spécificité

géographique du territoire et implique que l’utilité peut varier avec la distance à l’aménité. La question

de l’accessibilité du territoire se pose alors (Clark et Kahn 1988). Cette dimension spatiale n’apparait pas explicitement avec l’utilisation du terme d’externalité qui décrit un mécanisme général. Le fait

d’utiliser le terme d’aménité plutôt que d’externalité peut donc s’expliquer par la volonté de marquer la dimension géographique du phénomène étudié et le fait que l’utilité puisse être fonction de la

distance au territoire proposant les aménités (et de son accessibilité).

32 Parmi les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010, 72,5 % proviennent des communes ou intercommunalités. (Source : DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication – Chiffres clés 2016, p.87).

39 2.4.3. Le caractère non pécuniaire des aménités

Enfin, l’externalité peut parfois prendre une forme pécuniaire comme les retombées économiques en

termes de chiffre d’affaires dont bénéficient les hôtels et restaurants situés aux alentours d’un

événement culturel. Dans le cas des aménités, le bien-être possède une nature plus diffuse et intangible

puisqu’il renvoie à la qualité de vie d’un lieu. L’aménité ne prend donc a priori pas de forme pécuniaire. Cependant, si elle a effectivement des effets sur l’attractivité du territoire, la prise de valeur des biens

immobiliers que cela suscite pourrait s’apparenter à une externalité pécuniaire, mais qui est

conditionnée par le niveau d’attractivité du territoire et relève donc d’un mécanisme plus complexe que l’externalité.

Le Tableau 1 synthétise le positionnement du concept d’aménité culturelle par rapport à celui

d’externalité selon les trois entrées qui viennent d’être étudiées.

Critère de distinction Aménité Externalité

Origine Exogène Endogène Activités humaines Existe à l’état naturel Interactions socioéconomiques/agglomération d’agents

Contexte géographique Bien-être spatialisé Spatialisé ou non

Nature du flux Non monétaire (qualité de vie) Monétaire ou non monétaire

Tableau 1 : Comparatif de l’aménité et de l’externalité

Source : Mouate (2019)

En raison de leur caractère endogène, les aménités culturelles s’apparentent à une forme d’externalité issue d’un stock d’actifs culturels publics ou privés présents sur le territoire. Elles ne bénéficient qu’aux individus présents sur une aire géographique particulière. La question du caractère de bien collectif de

l’aménité se pose alors, notamment si on intègre la dimension territoriale dans l’équation.

2.5. Les aménités en tant que biens collectifs impurs

Selon Samuelson (1954), un bien collectif satisfait deux propriétés : la non-rivalité et la non-exclusion. La non-rivalité implique que la consommation du bien par un individu n’empêche pas un autre individu d’en bénéficier. La non-exclusion se traduit par l’impossibilitéd’exclure des individus de l’usage du bien,

ce dernier est donc indivisible.

Les recherches de Mollard et al. (2014) et le rapport de l’OCDE (1999) considèrent que c’est la source de l’aménité qui satisfait ces propriétés et non pas l’aménité en tant que telle. Cela s’explique par le fait

que ces recherches portent sur les aménités environnementales — exogènes — souvent issues de biens collectifs (forêts, paysages, etc.). Selon Gyourko et Tracy (1991), c’est l’aménité — le flux — qui satisfait

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les propriétés de bien collectif. En effet, il suffit d’être présent dans la zone où l’aménité agit pour pouvoir en profiter ce qui n’empêche pas un autre individu présent dans la zone d’en profiter

simultanément. De plus, il n’y a pas de marché donnant lieu au paiement d’un droit d’usage, l’aménité

est donc non exclusive de ce point de vue.

Cependant, puisque les aménités culturelles sont des caractéristiques des territoires urbains où le sol est relativement rare, l’apparition d’effets de congestion peut remettre en cause le caractère non rival

des aménités culturelles, qui prennent alors les caractéristiques des biens collectifs impurs, et plus précisément des biens communs — rivaux et non exclusifs. En effet, puisque les aménités sont associées au sol du territoire où elles se situent, la rivalité du sol peut remettre en cause l’accès aux aménités.

Cette question est approfondie dans la section 4, où les enjeux d’appropriation de la valeur que constituent les aménités sont discutés. En effet, ils peuvent amener à percevoir les aménités culturelles comme une forme de bien club, non rival pour les habitants de la ville, mais exclusif du fait des prix de

l’immobilier qui peuvent être influencés par l’attractivité générée par les aménités.

2.6. Synthèse des éléments de définition de l’aménité culturelle

Au terme de cette seconde section, les aménités culturelles apparaissent comme un flux non monétaire généré par les actifs culturels présents au sein des villes. Elles correspondent à l’ambiance, l’atmosphère ou encore l’identité de la ville. Du fait de leur lien étroit avec les territoires urbains, ces aménités correspondent à des biens collectifs impurs, dans la mesure où leur non-rivalité n’est garantie qu’en l’absence d’effets de congestion dans la ville.