• Aucun résultat trouvé

L’ancrage territorial et la formation de scènes culturelles renforcent les aménités

Réflexions préliminaires sur le concept

3. Les facteurs de structuration des aménités culturelles

3.4. L’ancrage territorial et la formation de scènes culturelles renforcent les aménités

3.4.1. Les actifs culturels ne sont pas spécifiques aux territoires…

Pour pouvoir utiliser le terme d’aménité culturelle, l’effet que l’on cherche à qualifier doit être géographiquement localisé. Les aménités naturelles sont issues des caractéristiques du sol, comme la topographie ou les paysages, le caractère géographiquement localisé et non exportable (Gottlieb, 1994)

s’explique par le fait que les sources d’aménités sont immobiles. Dans le cas des aménités culturelles,

34 On peut imaginer que l’atmosphère persiste même après la chute de l’activité mais sa perception finira dans tous les cas par évoluer, on ne percevra plus la ville comme ayant une atmosphère culturelle mais comme une ancienne ville culturelle.

45 la question du rapport entre aménités, actifs et territoire peut se poser dans la mesure où les actifs culturels sont, a priori, plus facilement transférables d’un lieu à un autre. Scott et Leriche (2005) font bien la distinction entre biens culturels mobiles et immobiles, comme nous l’avons déjà évoqué dans la section 2.4.1, mais cette distinction n’est valable que dans le cadre de la consommation des biens et services culturels. Les infrastructures de diffusion des œuvres culturelles, dont la consommation est contrainte dans le temps et l’espace, peuvent exister sur n’importe quel territoire, sous condition de viabilité économique de leur activité (Kloosterman, 2004). Il y a donc un transfert possible des actifs culturels entre deux territoires. C’est donc l’ancrage des actifs culturels au territoire qui va permettre

aux aménités culturelles d’émerger et de se renforcer sur un territoire.

3.4.2. … mais l’ancrage territorial des actifs culturels peut être fort

L’exemple des festivals est intéressant puisque, malgré leur caractère d’événements ponctuels et la

relative simplicité d’un transfert entre deux territoires, un certain nombre de villes possèdent une identité et une image marquée par le festival qu’elles accueillent. C’est le cas d’Avignon et son festival de théâtre ou d’Angoulême et son festival de bande dessinée. À Angoulême, l’implantation du festival en 1974 s’est faite alors que l’économie de la ville était en déclin. La récurrence du festival et son

rayonnement international ont contribué au développement d’un ensemble d’actifs autour des thématiques de l’image, de la réalité virtuelle et du jeu vidéo, mais également d’autres actifs culturels sans rapport direct avec cette thématique principale (Vye, 2008). La « cité internationale de la bande

dessinée et de l’image » a ainsi été créée en 2008 avec un musée, une bibliothèque et une offre de formations spécialisées dans l’image. Cet exemple marque le fait que l’ancrage des actifs au territoire

peut contribuer à la formation d’une atmosphère particulière à la ville.

Cet ancrage territorial passe par la régularité des activités et événements sur le territoire, qui permet de créer une histoire commune au territoire et aux actifs qui y sont présents. Cela passe également par

l’existence d’un réseau d’actifs articulés autour de thématiques communes et qui sont à l’origine de

dynamiques économiques et sociales sur le territoire. Le recours au concept de scène culturelle peut

alors être utile pour approfondir l’idée de l’émergence d’une atmosphère culturelle à partir d’un ensemble d’actifs et d’activités présentes sur le territoire.

46 3.4.3. Des scènes restreintes aux scènes ouvertes des villes culturelles

Silver et al. (2007) ont tenté de théoriser les scènes et d’expliquer leur formation au sein des villes. Elles émergent selon eux de la combinaison d’actifs territoriaux35 culturels, mais aussi urbains : les restaurants, les bars, etc. n’appartiennent pas au secteur culturel, mais contribuent à véhiculer un mode

de vie compatible avec les pratiques culturelles. L’ensemble de ces actifs sont porteurs de valeurs

compatibles entre elles et forment un ensemble cohérent qui va alors être identifiable à l’échelle de la

ville et constituer une aménité. Ces valeurs sont également partagées par les individus qui fréquentent ces scènes. Une combinaison spécifique d’actifs culturels et urbains peut ainsi permettre de produire des aménités dans une atmosphère particulière au sein d’une ville. Des travaux plus récents distinguent les scènes ouvertes des scènes restreintes et permettent de mieux comprendre le concept et son intérêt

dans le cadre de l’étude des aménités culturelles.

De la scène restreinte…

Le concept de scène culturelle peut être entendu au sens restreint ou ouvert, selon Straw (2014). Dans son acception restreinte, la scène désigne « les gens, pratiques et objets qui gravitent autour d’un objet

ou un domaine culturel particulier » (Straw, 2014), comme une scène musicale ou littéraire. Autrement

dit, c’est « un écosystème incluant les acteurs, les lieux, les réseaux, les valeurs et les coutumes, les

protocoles et procédures d’un domaine (ex : scène musicale), écosystème qui est à la fois le produit

d’un territoire et une composante de son identité » (Ambrosino et Sagot-Duvauroux, 2018).

L’exemple d’Angoulême et de la bande dessinée illustre cette idée de scène au sens restreint et de cluster métropolitain qui se créer à partir d’un seuil critiqued’activités en réseau autour d’une filière ou d’une thématique commune. L’idée de scène constituée d’actifs culturels destinés à une audience de niche (Kloosterman, 2004) peut également s’appliquer au cas de la bande dessinée à Angoulême.

… à la scène ouverte que constitue la ville créative

L’acception ouverte serait relative à « une urbanité généralisée [agissant] sur la ville pour la rendre

scénique » à laquelle Straw (2014) rattache les conceptions de la ville créative, notamment l’approche de Florida où la scène n’est pas consommée en elle-même, mais constitue une « condition qui contribue

à l’inculcation générale, au sein des citadins, d’un esprit d’ouverture et d’acceptation de la diversité » (Straw 2014, p.25). Selon Roy-Valex (2010), le concept de « quality of place » de Florida (2002a) est une « notion voisine » de celles de scènes culturelles et d’ambiances urbaines. Ces termes marqueraient un

35En réalité, les auteurs parlent de combinaisons d’aménités mais ne distinguent pas les aménités des actifs territoriaux producteurs de ces aménités. Afin d’être cohérents avec les développements précédents, la terminologie employé par Silver et al. (2007) est adaptée et le terme d’aménité remplacé par celui d’actif culturel.

47

renouveau dans l’approche territoriale de la culture et brouilleraient le cloisonnement des disciplines dans l’analyse du développement territorial.

Ambrosino et Sagot-Duvauroux (2018) expliquent que le concept de scène nécessite une approche théorique interdisciplinaire du fait de son encastrement dans de multiples disciplines (sociologie, économie, urbanisme). Ils identifient quatre strates sur le territoire dont la première correspond à ce

qui n’est pas visible (idées, vitalité des artistes). La seconde strate ferait apparaitre ce qui est invisible

par le jeu d’individus et de lieux permettant de découvrir et de lancer les projets. La troisième strate

correspond aux lieux de diffusion des créations venant du territoire et de l’extérieur et qui favorisent la

créativité des consommateurs des scènes. Enfin, la dernière strate correspond à la scène ouverte et serait la manifestation, au niveau de la ville, des différents lieux de la strate précédente. La combinaison

de l’activité, du dynamisme et des valeurs portées par ces lieux permettrait de construire une identité à certains quartiers et, par extension, à la ville en contribuant à transformer les idées et la vitalité artistique individuelle et à diffuser les créations à l’échelle de la ville. La scène ouverte renvoie donc à « la partie visible de l’énergie sociale et culturelle de la ville » (Sagot-Duvauroux, 2016) que constituent les aménités culturelles. Elle est constituée de « combinaisons de sociabilité publique, d’énergie entrepreneuriale et de sensibilité créative » (Straw, 2014). On peut identifier ici un lien avec les idées évoquées dans la section 1.2.2.2 où les aménités ont été évoquées comme éléments participant au lien social sur le territoire (Le Floch, Candau, et Deuffic, 2002).

L’approche par la théorie des scènes est une approche transdisciplinaire qui constitue une richesse du

point de vue de l’analyse, mais aussi une limite du point de vue de l’approche quantitative. Certains paramètres sont plus difficilement mesurables à partir d’une approche quantitative, notamment les

systèmes de valeurs portés par les scènes. On peut toutefois imaginer qu’il puisse exister un effet de

seuil, à la fois sur la quantité et sur le niveau d’activité des actifs culturels de la ville pour que la « scène »

puisse émerger et être identifiée par les résidents et non-résidents.

3.5. Schéma de synthèse des facteurs de structuration des aménités culturelles