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Extension du modèle : la prise en compte du secteur des services et des coûts urbains

mécanismes d’agglomération

1. L’apport de la Nouvelle Économie Géographique à la compréhension du rôle de la culture dans les dynamiques d’agglomérationde la culture dans les dynamiques d’agglomération

1.2. Extension du modèle : la prise en compte du secteur des services et des coûts urbains

Le modèle de Gaigné et Thisse (2013) est une extension du modèle CP de Krugman (1991) et en modifie

plusieurs aspects. L’hypothèse d’homogénéité de l’espace au sein de chaque région est en partie relâchée puisqu’ils prennent en considération l’organisation spatiale interne de la région centre à travers le niveau des coûts de transports intra-urbains. Ils montrent comment celle-ci peut impacter le

développement des deux régions. Le modèle suppose deux secteurs d’activité, mais il s’agit ici du

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tertiarisation de l’économie. Les coûts de transports sont également repensés, ces derniers sont importants, voire infinis, pour les services qui ne sont consommables que dans la région où ils sont produits. Les coûts de transport des biens manufacturiers sont quant à eux très faibles bien que non nuls. Cela permet de tenir compte du caractère marginal des coûts de transports dans le prix des produits dont la valeur repose désormais principalement sur des caractéristiques immatérielles. Du point de vue de l’étude des aménités, ce modèle est intéressant puisqu’il tient compte d’une offre

de services localisés non transférables entre régions et les aménités peuvent être apparentées à ce type

de services. Une différence persiste toutefois et tient au fait qu’elles n’aient pas de prix explicite comme

un service local marchand.

1.2.1. L’effet des coûts urbains sur la structure territoriale

Dans ce modèle, puisque les biens manufacturés sont transportables à un coût faible entre régions, ils sont accessibles dans toutes les régions avec des différentiels de prix très faibles. La variété des biens

manufacturés n’est donc plus déterminante dans le mécanisme d’agglomération. L’hypothèse qui est

faite est que les consommateurs sont attirés par les villes qui proposent la plus grande variété de services locaux puisque le transfert des services de la région où ils sont produits à une autre région n’est

pas possible ou très coûteux. Le marché local de la ville proposant le plus de services se développe alors

et la concurrence s’intensifie.

Les coûts urbains apparaissent à mesure que le processus d’agglomération se poursuit, ils peuvent se

manifester par des effets de congestion et une augmentation des prix du foncier qui jouent le rôle de force de dispersion. Les travailleurs étant mobiles, les forces centripètes (la variété des services) et les forces centrifuges (les coûts urbains) s’équilibrent et le modèle prédit soit la formation de deux petites villes, soit la formation d’une seule grande ville polycentrique qui permettrait de diminuer les coûts urbains.

D’après le modèle, avec l’augmentation des coûts urbains, l’emploi devrait passer des grandes villes aux

petites où ces coûts sont moins forts et ainsi rééquilibrer le développement à l’avantage des villes périphériques. Le fait qu’une ville devienne polycentrique ne ferait alors que retarder l’apparition des

coûts urbains au sein de la ville et lui permettrait de conserver sa position dominante vis-à-vis de la

périphérie. L’introduction de la structure urbaine interne aide à comprendre comment l’organisation

spatiale de la ville peut jouer un rôle dans l’apparition de forces de dispersion et modifier l’équilibre

territorial entre les deux villes. En effet, l’apparition de coûts urbains peut bénéficier aux villes

périphériques en contribuant à des dynamiques de rééquilibrage des populations et du niveau d’activité

93 À travers les coûts urbains, les auteurs tiennent compte des désaménités que l’attractivité d’un

territoire peut générer. Ces effets ne sont pas présentés comme des désaménités, mais s’y apparentent puisqu’ils n’ont pas de prix explicite et sont liés à l’organisation interne de la ville. Les auteurs montrent comment ces coûts intra-urbains peuvent être diminués en modifiant l’organisation spatiale de la ville,

cette diminution des coûts urbains équivaut à un accès simplifié aux services locaux offerts dans la région.

1.2.2. Le secteur des services est déterminant pour expliquer l’agglomération

Dans le modèle, les auteurs conservent un raisonnement avec un secteur industriel manufacturier dont les biens qui y sont produits sont échangeables entre les régions moyennant un coût de transport non nul, mais faible. Un secteur des services existe également dans chaque région, et produit des services

locaux pour lesquels l’échange entre régions n’est pas possible, ou alors à un coût élevé. Ces services

peuvent être par exemple des services de santé ou de restauration. On pourrait également concevoir que les biens culturels immobiles (salles de concert, musées, théâtre, cinéma, etc.) entrent dans cette

catégorie puisqu’ils offrent des prestations consommables sur place uniquement. La main-d’œuvre est quant à elle mobile entre les deux villes et entre les deux secteurs.

Les individus sont supposés être attirés par la région proposant la plus grande diversité de services locaux dans la mesure où les biens manufacturés peuvent être importés à un coût relativement faible depuis une autre région. Les territoires offrant les plus grandes variétés de services auraient donc tendance à être les bénéficiaires des dynamiques d’agglomération et seraient donc avantagés de ce

point de vue par rapport à des territoires n’offrant que peu de services. L’intérêt pour les consommateurs à s’agglomérer dans une seule grande ville peut toutefois être nuancé par le niveau des coûts urbains. Le modèle prédit que la population sera répartie également sur les deux régions lorsque les coûts urbains dépassent les gains associés à la variété de services disponibles dans la région centre. La présence d’un secteur des services est primordiale dans le contexte actuel pour tenir compte de la tertiarisation des économies développées et des spécificités des villes proposant des services par

rapport aux villes ne proposant que des biens échangeables avec d’autres villes. Par ailleurs, bien que

le modèle n’évoque pas explicitement cette possibilité, les services locaux pourraient correspondre à des aménités proposées sur les territoires tels que des espaces verts, des aménités culturelles (ambiances, atmosphères, identité culturelle) ou encore le sentiment de sécurité. Toutes ces aménités peuvent produire du bien-être et ne sont pas transférables entre régions. Du fait de l’impossibilité du transfert des services locaux d’une ville à une autre44, les consommateurs n’ont accès qu’aux variétés

44 Les auteurs parlent de « coûts de transport infinis » dans leur modèle pour signifier que les services ne sont pas toujours transférables entre régions.

94 de services présentes dans la ville où ils se trouvent. On peut identifier ici un autre point commun avec

les aménités pour lesquelles il est nécessaire de se déplacer sur le territoire afin d’en bénéficier (cf.

Section 2 du chapitre 1).

On peut toutefois imaginer que l’accès aux services proposés dans l’autre ville (ou région) soit possible

moyennant un coût de transport appliqué à l’individu pour changer de ville temporairement, et en

supposant que les services de la ville alternative ne nécessitent qu’un temps de présence de court -terme sur le territoire. Par exemple, un individu peut se déplacer ponctuellement dans une autre ville que sa ville de résidence pour assister à un concert ou à une représentation de théâtre. Si ces consommations sont fréquentes alors les conclusions du modèle CP s’appliquent à nouveau puisque l’individu aura intérêt à résider dans la ville pour minimiser ses coûts de transport. Dans le cas des aménités culturelles, on peut se demander si une présence ponctuelle dans la ville permet d’en profiter de la même manière qu’une présence à long terme en tant que résident.

Les services locaux peuvent donc constituer un avantage non négligeable pour les territoires, d’autant

plus si cette variété ne peut être reproduite à l’identique dans une autre ville. Les services et les

combinaisons de services constituent alors des avantages compétitifs hors prix pour les territoires et

l’offre d’aménités culturelles peut jouer un rôle.

1.2.3. Théorie de la base, secteur manufacturier, secteur des services

Les auteurs reprennent la théorie de la base d’inspiration post-keynésienne en la modernisant et en montrant que contrairement aux prédictions de Tiebout (1956), ce n’est pas le secteur de base, mais au

contraire le secteur des services qui en se développant, impacte positivement la demande locale pour les biens industriels. Le secteur de base permet de capter des revenus provenant de l’extérieur, il

correspond au secteur industriel dans le modèle puisque les biens sont échangeables entre régions alors

que le secteur des services ne s’adresse qu’aux demandeurs présents sur le territoire. Les entreprises industrielles ne sont pas vraiment indifférentes entre les localisations malgré des coûts de transport relativement négligeables qui rendent l’entreprise moins dépendante du niveau de la demande locale.

En effet, les travailleurs dont elles ont besoin sont attirés par les villes proposant une grande variété de services, elles vont donc elles aussi se localiser dans les villes proposant la plus grande variété de services. Le différentiel de coûts urbains est alors compensé par la différence de quantité de services

locaux entre les deux villes ce qui correspond à l’idée d’une différence compensatrice entre aménités

et prix du foncier qui constitue un fondement théorique important de la littérature sur les aménités (Roback 1982; S. Rosen 1974).

Par ailleurs, l’hypothèse selon laquelle les entreprises tiennent compte des préférences individuelles de leurs employés en matière de localisation ressort également ici. Des recherches empiriques ont montré

95 la prise en compte des préférences individuelles des travailleurs dans la décision de localisation des

entreprises, mais seulement à l’échelle intra-urbaine (Gottlieb 1995). Dans le contexte interurbain, cette hypothèse est aussi souvent posée dans les approches expliquant la croissance urbaine par les aménités culturelles puisque la localisation de l’activité économique y est guidée par la localisation de certains

travailleurs (qualifiés ou créatifs) qui valorisent les aménités (Clark et al. 2002 ; Florida 2002 ; Glaeser et al. 2001).

En augmentant la diversité des services locaux proposés, les aménités jouent le rôle de force

d’agglomération en attirant les individus, mais aussi potentiellement certaines entreprises à la recherche d’une main-d’œuvre spécifique comme les travailleurs créatifs (Florida 2002a).

L’augmentation des coûts urbains (désaménités et coût du foncier) qui résultent de l’agglomération

vient limiter le phénomène en incitant à la dispersion.