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Un concept de plus en plus utilisé aux contours flous

Réflexions préliminaires sur le concept

1. Un concept de plus en plus utilisé aux contours flous

Cette première section dresse un état des lieux des difficultés qui apparaissent lorsque l’on souhaite étudier les aménités culturelles. En effet, des ambiguïtés persistent sur la définition économique de ce concept fréquemment utilisé dans la littérature traitant de l’impact de la qualité de vie sur la localisation.

1.1. Évolution historique du recours aux concepts d’aménités et d’aménités culturelles

Le concept d’aménité en lui-même est fréquemment utilisé dans le champ de l’économie depuis les années 70 (cf. Figure 1), en particulier dans les champs de l’économie de l’environnement et de

l’économie urbaine. Les aménités désignent alors le plus souvent des composantes locales de la qualité de vie et l’utilisation du concept se fait dans le cadre de l’explication des logiques de localisation spatiale

des agents (Blomquist, 2006 ; Blomquist, Berger, et Hoehn, 1988 ; Gabriel et Rosenthal, 2004 ; Graves, 1979 ; Knapp et Gravest, 1989). Le climat fait par exemple partie des aménités étudiées pour comprendre les logiques de localisation des individus aux Etats-Unis (Graves, 1979)

Le concept d’aménité culturelle apparait moins fréquemment et est plus récent dans la littérature

économique, mais il bénéficie d’une attention croissante depuis le début des années 2000 (cf. Figure 1). Les aménités culturelles correspondent à des composantes de la qualité des espaces urbains et sont, de

29 ce fait, aussi étudiées en tant que déterminants des choix de localisation (Clark et al., 2002 ; Florida, 2002 ; Glaeser, Kolko, et Saiz, 2001). C’est à travers la participation des aménités culturelles à la qualité

des lieux et des villes, et par extension à la qualité de vie des résidents, que les créatifs (Florida, 2002) et les qualifiés (Glaeser, Kolko, et Saiz, 2001) seraient attirés dans les villes.

Figure 1 : Nombre de publications contenant le terme « amenity-ies » ou « cultural amenity-ies »23 (Source : Scopus, avril 2018)

Ces travaux sur les aménités culturelles, et particulièrement ceux de Florida (2002a) impliquent que les

villes relativement bien dotées en aménités culturelles bénéficient d’une croissance plus forte de leur population (Sleutjes, 2013) et par conséquent d’un développement économique plus soutenu.

Toutefois, une ambiguïté persiste dans la littérature sur ce que recouvre précisément le terme

d’aménité.

1.2. Deux constats sur l’utilisation du concept d’aménité

À la suite de l’étude de la littérature portant sur les aménités, et plus particulièrement sur les aménités culturelles, deux constats peuvent être dressés. Le premier est celui d’une diversité des éléments

évoqués comme étant des aménités et le second, une ambiguïté sur le caractère tangible de l’aménité. Ils justifient de s’intéresser plus en détail à la nature économique de ce concept.

1.2.1. Une diversité d’éléments, de fonctions et de contextes

Notons tout d’abord que derrière le terme d’aménités sont évoqués de nombreux biens et services de natures diverses comme le climat (Graves, 1979), les forêts (Terrasson, 2002), les pistes cyclables (

23 Ces mots clés sont recherchées dans le titre, le résumé ou les mots clés des articles. La recherche est limitée aux domaines suivants : économie, sciences humaines et sciences environnementales sur la période allant de1926 à 2017 0 50 100 150 200 250 300 350 1926 1933 1940 1947 1954 1961 1968 1975 1982 1989 1996 2003 2010 2017

30 Florida, 2005), les bars, lacs et opéras (Clark, 2004), les théâtres (Clark et Kahn, 1988), les performances

live (Glaeser, Kolko, et Saiz, 2001). En effet, on peut constater que le climat n’est ni un bien privé ni

tangible alors que les théâtres, les opéras ou les bars le sont.

Plusieurs catégories d’aménités sont régulièrement citées comme les aménités environnementales (Napoléone 2002), les aménités rurales (Beuret et Kovacshazy 2002), les aménités récréatives (R. Florida 2000) et enfin, les aménités urbaines (Clark et Kahn 1988). Dans certains cas, ces catégories

d’aménités font référence à des fonctions comme les aménités récréatives et dans d’autres cas, au contexte dans lequel ces aménités se placent, comme les aménités rurales ou urbaines. On trouve alors ici une opposition entre le milieu urbain et rural, les aménités culturelles étant plutôt associées aux contextes urbains.

Le problème qui se pose est alors de savoir s’il existe des points communs entre l’ensemble de ces

éléments désignés comme des aménités alors qu’ils sont relativement hétérogènes du point de vue de leurs natures, de leurs fonctions et des contextes dans lesquels ils se trouvent ?

1.2.2. Une ambiguïté sur le caractère tangible de l’aménité: l’apport de différentes

disciplines

Cela nous amène à un second constat qui concerne un relatif manque dans la littérature quant à la

définition économique du concept d’aménité. Nous revenons dans cette section sur différents

éclairages de la notion qui permettent d’identifier un flottement concernant le caractère tangible de

l’aménité.

1.2.2.1.Définitions usuelles : approches anglo-saxonne et étymologie latine

Les définitions usuelles du terme « aménité » fournissent un premier éclairage sur le sens de la notion.

L’étymologie du concept remonte latin « amoenitas » qui désigne le charme ou la beauté d’un lieu ou d’un individu. C’est ici une caractéristique expérientielle et esthétique qui est soulignée. Cela suppose

que l’aménité ne correspond pas à un bien ou un individu en particulier, mais à une caractéristique intangible.

L’approche anglo-saxonne24 est plus riche et propose trois significations. Les deux premières indiquent que les aménités renvoient à la qualité plaisante ou attractive de « quelque chose » ou à « quelque chose » contribuant au confort physique ou matériel. Comme l’approche latine, ces deux définitions

renvoient à l’idée que les aménités sont une source de bien-être pour les individus, mais le recours au terme « quelque chose » ne permet pas de savoir si l’aménité est une caractéristique tangible ou s’il

24 Les définitions étudiées sont issues du American Heritage Dictionary :

31

s’agit plus précisément du bien-être généré par une caractéristique. Par ailleurs, une dimension territoriale apparait dans une troisième définition. En effet, l’aménité correspondrait à « une caractéristique qui accroit l’attractivité ou la valeur, notamment des biens immobiliers ou d’une aire

géographique »25. On s’attarde ici sur les conséquencesde l’existence d’aménité sur un territoire. En effet, une zone bien dotée en aménités – qui augmentent le bien être des individus qui y sont présents

– aura tendance à être plus attractive, ce qui crée une pression à la hausse sur les loyers et à la baisse

sur le salaire d’équilibrevia le jeu de l’offre et de la demande sur ces deux marchés (Clark et Kahn, 1988 ; Roback, 1982, 1988). Par exemple, la possession d’un bien immobilier situé dans un quartier historique

implique une prime sur la valeur immobilière dans la mesure où les caractéristiques du quartier lui

assurent un niveau d’attractivité plus élevé, et donc une demande plus forte. Du point de vue

économique, la nature de l’aménité reste ici aussi assez floue. Est-ce qu’il s’agit des caractéristiques

historiques du quartier ou du flux de valeur que les caractéristiques historiques contribuent à créer dans le quartier et qui est capitalisé sur le prix des biens immobiliers ?

Les approches anglo-saxonnes et latines permettent ainsi de souligner différentes facettes du concept

d’aménité et de ses implications pour le territoire. Mollard et al. (2014) résument cela en une approche latine qui met l’accent sur le fait que l’aménité caractérise l’existence d’un effet positif sur le bien-être

d’un individu. L’approche anglo-saxonne met, quant à elle, l’accent sur les conséquences de l’existence d’aménités sur certaines dynamiques territoriales, notamment en termes de prix de l’immobilier.

Aucune attention n’est réellement portée sur la nature de la cause de ces dynamiques territoriales,

c’est-à-dire sur la nature des aménités.

1.2.2.2.Le point de vue des philosophes et sociologues

La sociologie et la philosophie fournissent un éclairage sur la nature des aménités. Ces dernières permettraient de mettre en évidence le lien entre les lieux et les individus. Selon T.Paquot (cité par Le Floch, Candau, et Deuffic, 2002), le terme aménité est synonyme de convivialité et de cohésion sociale

au sein d’un lieu. Le concept serait donc supra-économique (Le Floch, Candau, et Deuffic, 2002) dans

le sens où l’aménité renforce le lien entre les individus, indépendamment des forces du marché. En

d’autres termes, les aménités amélioreraient la qualité des interactions sociales sur un territoire. Cette

dimension sociale expliquerait pourquoi les économistes assimilent les aménités à la qualité de vie (Blomquist, Berger, et Hoehn, 1988 ; Blomquist, 2006). Le terme d’aménité permet de connecter le

spatial et l’humain et fait référence aux actifs d’une ville qui ne sont pas purement fonctionnels ni

matériels. La citation suivante confirme cette idée : « T. Banerjeesemble lier de manière indissociable

25 Traduit de l’anglais : « A feature that increases attractiveness or value, especially of a piece of real estate or a geographic location. »

32 les caractéristiques physiques de l’aménagement de la ville aux objectifs à l’origine de ces aménagements : les aménités seraient la qualité d’un équipement ou d’un projet d’aménagement mis

en place avec le but de contribuer à la convivialité — rendant les villes vivables (amenities that contribute to the livability of cities) » (Le Floch et al., 2002). Une distinction entre les caractéristiques tangibles du territoire et les aménités apparait ici et laisse penser que l’aménité correspondrait à une sorte de service offert par une caractéristique du territoire, rapprochant alors ce concept d’aménité de celui d’externalité.

1.2.2.3.Le point de vue des économistes

Pour ce qui est des définitions économiques, celle proposée par Bartik et Smith (1987) sert généralement de référence en économie de l’environnement et en économie urbaine. Ils conçoivent l’aménité comme une caractéristique géographique qui influence le bien-être des individus de manière positive ou négative.

Ils identifient trois dimensions qui permettent d’englober la diversité des aménités : l’échelle géographique à laquelle l’aménité a un effet, c’est-à-dire le périmètre sur lequel elle produit du

bien-être ; le degré de permanence de l’aménité sur le territoire ; et le caractère plus ou moins tangible de

l’aménité (Bartik et Smith, 1987). Malgré le fait que cette définition permette d’englober un nombre important d’éléments cités précédemment, elle ne permet pas de répondre à la question de la nature

économique de l’aménité. On peut se demander si elle correspond à un bien privé producteur

d’externalité ou à une externalité en elle-même ? La section qui suit synthétise les différentes caractéristiques qui sont associées aux aménités (culturelles), afin d’en faire émerger une définition.