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7.2. Effectivité psychologique du problème d’ancrage

7.2.2.2. Théorie de la structure des représentations sociales

On a beaucoup recouru en psychologie sociale aux travaux de Rouquette et Rateau (1998) comme à de solides et consensuelles références pour penser la structure des représentations sociales. Ces travaux se basent eux-mêmes sur ceux d’Abric (1976) concernant la théorie du noyau central comme étant « la clé de voute de la représentation » (Rouquette & Rateau, op.cit., 32). Le noyau est effectivement pour Abric (op.cit.) un élément déterminant autour duquel se génèreraient et s’organiseraient des éléments périphériques. Il « donne à la représentation sa significations et sa cohérence » (Abric, 1976, 117). On voit ici déjà comment est mis en place avec un présupposé unidirectionnel la fonction du noyau. Mais ce qui frappe d’abord quand on prend connaissance de certains travaux actuels – du moins en psychologie – d’auteurs qui privilégient la méthode structurale, c’est bien des fois, le rejet des effets de sens présenté comme la condition sine qua non d’une pratique scientifique. Ainsi, pour Rouquette et Rateau (1998), ne pas se résoudre à l’impossibilité de rendre compte du sens par le sens, « revient à confondre l’ambition de la science avec l’art de la glose ou la magie de l’interprétation » (Rouquette & Rateau, op. cit., 25-26). Nous ne sommes pas en désaccord avec le fait que certains usages du sens – tout comme certaines philosophies – soient à déplorer dans la pratique scientifique, mais c’est que et justement, pour annuler un certain sens il faut encore y revenir. Cette conception assez similaire à celle de la rigueur scientifique telle que présente chez Popper (1963), n’est pas celle que nous partageons. Cela est d’autant plus étonnant que dans les premières lignes du même ouvrage, les mêmes auteurs font la remarque suivante : « l’expression de « pensée sociale » désigne à la fois la spécificité de la pensée quand elle prend pour objet les phénomènes sociaux et la détermination constitutive de cette pensée par des facteurs sociaux » (Rouquette & Rateau, op. cit., 13). On ne peut donc comprendre comment pratiquer la science en société en abandonnant les effets de sens. Mais il s’agirait pour les auteurs « de pouvoir mettre en évidence les invariants formels, [de] dépasser la diversité des contenus, par essence inépuisable, pour gagner en puissance prédictive et en capacité de généralisation » (op. cit., 29).

105 N’est-ce pas encore là le souci d’invariance de la structure qui fait unilatéralement considérer la généralité du tout sur les parties ? N’est-ce pas voir dans la structure comme un même ensemble des aspects distincts dont l’un importe unilatéralement sur l’autre ? En fait d’avoir quitté le sens pour réaliser la science rigoureuse, il semble encore ici comme ce fut le cas plus haut chez Popper (op. cit.), que l’on se soit plutôt laissé abuser par le sens et que l’on soit parvenu à en faire usage en ne voyant pas au moment même où on utilise, qu’on l’utilise. C’est ici encore, une manière de se laisser manipuler par le sens pour n’être pas au clair avec la manière dont le sens peut être une réalité positive. On peut voir là une manière de considérer une finalité intermédiaire, subalterne, de la pratique scientifique pour la finalité même. Cela peut bien correspondre à un objectif scientifique de rechercher la manifestation réduite d’une réalité beaucoup plus complexe. C’est ce que la science fait quand elle circonscrit et définit sous la forme d’une loi un processus. Mais ni la loi prise pour elle seule, ni la complexité dans la richesse insaisissable de sa forme ne sont des réalités existantes l’une sans l’autre.

La théorie du noyau central d’Abric (1976, 1987) présente l’organisation interne d’une représentation sociale comme dotée d’une caractéristique invariante. Elle distingue dans le fonctionnement interne des représentations : le noyau central de la représentation et ses éléments périphériques. La fonction du noyau central est génératrice au sens où c’est par lui que se crée et se transforme la signification des autres éléments constitutifs de la représentation. Le noyau a aussi une fonction organisatrice, il unifie et stabilise les représentations, tout élément de la représentation est dépendant du noyau central. Cette conception du noyau central viendrait elle-même des travaux de Moscovici (1961), qui s’apercevait suite à ses travaux sur la représentation de la psychanalyse, que ses sujets avaient tendance à ne retenir qu’une partie des informations qui, dans la sphère sociale tournaient autour de cet objet. S’étant rendu compte que les sujets résolvaient le trop de sens sur la pratique psychanalytique en une forme réduite et simplifiée, il employa les termes de modèle ou noyau figuratifs pour désigner le fait de cette opération qu’il voyait comme une objectivation. Mais chez Moscovici (op. cit.), on perçoit nettement le fait qu’une objectivation a le sens d’une manière de faire en même temps que celui d’un produit. Une objectivation est en même temps qu’un le résultat, une activité. C’est ce sens qu’il conviendrait donc de garder en vue quand il est question d’envisager une représentation sociale, même si ici plutôt que dans le cas du terme d’objectivation – qui évoque aussi l’idée d’un processus –, on a l’impression d’avoir affaire à un résultat accompli. Ce qui justifie d’ailleurs l’image assez fréquente chez Abric (1994), de "la représentation élaborée".

106 Il affirme qu’ont été obtenus des résultats importants montrant que : « les représentations élaborées ou induites (…) jouent un rôle souvent plus important que les caractéristiques objectives dans les comportements adoptés par des sujets ou les groupes » (Abric, 1994/2011, 11). Intéressons-nous encore ici au point de départ d’Abric et voyons s’il est saisi en une acception dialectique comme point de départ concret avec son pendant non récapitulé, voyons si ce point de départ est abordé de manière non partielle. Abric (op. cit.) mentionne bien, sur les représentations dont il est ici question, qu’elles sont élaborées ou induites. C’est donc qu’il existe non pas seulement les représentations à partir desquelles il y aurait fonctions et rôles générateurs puis organisateurs, mais aussi génération et organisation antérieure dans le travail qui a élaboré et induit ces mêmes représentations. Or ce travail antérieur qui permettra aux représentations élaborées et induites d’élaborer et d’induire leur tour est déjà l’objectivité même qui, sous la forme du résultat concret d’où part Abric, n’est pas prise en compte. Ce ne sont pas les représentations élaborées et induites qui viendront ex nihilo jouer un rôle en confrontation avec d’autres caractéristiques objectives et qui les domineront. C’est la même objectivité qui, déjà à œuvre dès l’élaboration et l’induction antérieure des représentations, continue d’agir, mais bien entendu, autrement que s’il n’y avait pas eu un travail antérieur d’élaboration et induction des représentations. Ce qu’il faut comprendre par là c’est qu’il n’y a pas deux types de déterminations radicalement distinctes dans le fait que des représentations constituées jouent un rôle "plus important" que d’autres caractéristiques objectives qui devaient avoir leurs déterminations propres et isolées. Il existe déjà une pratique que mettent en œuvre soit le chercheur ou l’expérimentateur en laboratoire – pratique qui n’est pas moins sociale parce qu’elle est celle du scientifique ou parce qu’elle se déroule en laboratoire –, soit en d’autres endroits les agissements populaires complexes. Ce sont ces pratiques qui vont précisément élaborer et induire les représentations sociales en sorte qu’elles puissent elles aussi jouer leurs rôles organisateurs. Dire donc que les représentations jouent des rôles "plus importants" contre des caractéristiques objectives sans préciser qu’elles tiennent elles-mêmes leurs rôles de pratiques sociales n’est pas très exact.

Il est vrai par ailleurs que la théorie du noyau central ne présente pas que les choses du côté du noyau. En vérité, Abric (op. cit.) y présente certes les choses du côté du noyau, mais il précise bien l’importance du rapport du noyau central d’une représentation avec un ensemble d’éléments dits périphériques de la représentation. Les éléments périphériques « proches du noyau central, (…) jouent un rôle important dans la concrétisation de la signification de la représentation » (Abric, op. cit., 33). La conceptualisation donc de la théorie du noyau ne met

107 pas qu’en jeu le noyau central. Elle présente aussi des éléments périphériques interagissant dans la réalité d’une représentation. On retrouve par ailleurs qu’Abric a bien en vue que la détermination du noyau central est « essentiellement sociale, liée aux conditions historiques, sociologiques, et idéologiques » (op. cit., 36). Mais il ne suffit pas de ça. Lorsqu’on se réfère aux travaux menés dans le sens d’élaborer une théorie de la structure des représentations, il est bien mentionné que l’idée d’un noyau central comme élément explicatif de la fonction des représentations a une histoire. Et quand on remonte à Moscovici (1961), on peut noter que ce qui caractérise le noyau figuratif est qu’il est : simple, concret, imagé, et cohérent (Rouquette & Rateau, 1998 ; Abric, 1994), chez Flament (1989), le noyau se compose d’éléments (ou schèmes) qui ont pour caractères d’être plus abstraits. Plus tard Moliner et Martos (2005) envisageant de nouvelles situations et venant à s’interroger sur la fonction des éléments centraux des représentations, prennent appui sur d’autres travaux de Flament (1994), et soutiennent : « ce serait les éléments périphériques, concrets et contextualisés qui moduleraient le sens des éléments centraux abstraits et symboliques » (Moliner & Martos, 2005, 3.3). Il semble donc que dans la théorie de la structure des représentations, l’on soit amené tantôt à considérer que le noyau est concret, tantôt qu’il est abstrait.

Toutes ces prises de position qui affirment tantôt que le noyau est concret, et tantôt que les éléments périphériques sont, dans le fonctionnement des représentations, ce qu’il y a de concret ne sont pas toutes fausses. Mais il est à craindre qu’elles soient partielles pour la raison que les pratiques sociales se trouvent très souvent évacuées dans la question des représentations sociales. Même quand il est affirmé que le noyau central se trouve dans un rapport dialectique avec les éléments périphériques (Flament, 1994), nous pensons que c’est là une manière de résoudre un problème théorique majeur en psychologie avant même d’en avoir sérieusement pris la mesure. Chez Abric (1994), la question se pose toujours et fait l’objet de débats actuels, de savoir si ce sont les pratiques sociales qui déterminent les représentations ou l’inverse, ou encore s’il faut considérer que les deux soient indissociablement liés ? En attendant, il prend soin de lister des cas particuliers ou des pratiques sociales pourraient déterminer les représentations. Le problème en son fond n’est pas de savoir si les pratiques sociales déterminent les représentations ou si ce sont les représentations qui déterminent les pratiques. On poserait que les deux soient indissociablement liés qu’on ne serait pas plus avancé. La question est de savoir comment représentations sociales et pratiques sociales, sous deux manifestations sont la même chose soit un même développement. C’est dans un premier temps de voir par quels détours de médiation pouvoir orienter la production puis si besoin, la

108 liquéfaction de noyaux à partir de la pratique sociale. C’est ensuite une fois cela compris, d’utiliser la pratique la plus large possible et donc universelle pour réaliser des singularités pleines. C’est un projet universel auquel la psychologie, mais à vrai dire la science doit pleinement prendre part. Mais la science n’en est pas encore là.

La dialectique comme science de la médiation n’y est encore qu’un vulgaire sac fourre- tout et n’y vient jamais qu’en dernier recours mettre tout le monde d’accord là où des positions sont inconciliables. En psychologie, sous la position dialectique ce sont en réalité des visions structurales qui continuent de survivre. La mentalité théorique y est encore largement structuraliste. Lorsqu’on ne sait plus quoi penser on utilise la dialectique à la manière dont on évacue une question dont le développement est devenu une telle chimère qu’il reste à la ranger dans le fourre-tout dialectique en attendant de pouvoir la soumettre la rigueur de la science des savoirs et définitions d’autant plus précises qu’elles sont closes24. Comment expliquer sinon

que les solutions structurales une fois épuisées, l’on recoure à l’explication dialectique alors que la dialectique demeure la grande inconnue des théories psychologiques ? Comment se faire comprendre dans les manuels pédagogiques quand on emploie comme un terme bien connu le terme "dialectique", alors précisément qu’aucun des enseignements en psychologie et très peu de manuels introduisent à la pensée dialectique ? Ce qui est amené ici comme ce dont on a tous entendus parler, comme le bien connu (Abric, 1994), se trouve précisément être non seulement ce dont on parle le moins mais aussi de beaucoup une pensée plus subtile et complexe que la pensée structurale. A cet égard n’est-il pas intéressant de voir qu’Abric (op. cit.), se proposant d’offrir une critique de la sociologie "marxiste" – terminologie assez pratique pour recourir à Marx sans y vraiment recourir – présentée comme une conception radicale et centrée exclusivement sur les pratiques, détourne cette critique à finalement n’en rester qu’une critique des illustrateurs de ladite conception radicale ?

24 Il existe en ce sens une vieille distinction philosophique qui se faisait entre un intellect d'entendement

et un intellect de raison. Cette distinction développée dans les travaux hégélien, renverrait elle-même au problème de la contradiction telle qu'il fut posé et traité depuis les travaux kantien. L'intérêt de cette distinction est de faire voir deux manières pour la pensée de traiter le problème de la contradiction. L'entendement, pour parler ainsi, n'aime pas la contradiction. Il ne sait pas penser la réalité concrète au-delà de ce qu'elle est ici et maintenant, notamment au-delà de ce que la chose concrète tient des réalités contraires à sa manifestation concrète dans l'ici et maintenant. Par exemple le pain servi à table se définit comme le pain ici et maintenant abstraction faite de ce que sa présence à table contient comme multitude de réalités qui ne sont pas sur la table ; par exemple le réveil matinal du boulanger, sa santé, la farine, le travail, le feu, mais encore plus au-delà, le pétrole, l’histoire. Toutes ces réalités par lesquelles la simple présence du pain sur la table concrétise et récapitule l’universel, n'ont pour l'entendement rien à voir ! La raison au contraire est dialectique. Elle cherche dans le concret le développement vivant qui y est caché. « Comprise positivement, la dialectique rétablit donc l'unité entre les abstractions que l'entendement sépare, le mouvement du passage des unes aux autres, et par là le lien de l'universel et du particulier » (Sève, 1980, 60).

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Problématique

L’objectif que nous poursuivons à travers cette étude est d’élargir à la réalité des objets, les éléments fondamentaux qui entrent en jeu lorsqu’il est question du développement subjectif en particulier. Mais nous pensons ce faisant que la question du développement particulier est liée à celle du développement général. Nous nous servons ici de la question du développement subjectif des enfants d’Afrique subsaharienne pour pousser plus avant la question des fondements objectifs indispensables à soutenir un tel développement. Partant d’où nous partons, il s’agit moins de faire des enfants d’Afrique subsaharienne une réalité particulière que de donner à voir comment une réalité particulière, quelle qu’elle soit prend déjà sens comme étant le résultat d’un développement général. Dans le cadre de l’Afrique subsaharienne nous nous sommes intéressés à l’eau comme objet. Il nous revient dès lors de nous saisir d’un tel objet comme objet social et de faire réaliser à quel point en tant que tel, il détermine pour beaucoup le développement subjectif des enfants.

8.1.

La subjectivation au prix d’un développement