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7.2. Effectivité psychologique du problème d’ancrage

7.2.2.1. La structure en psychologie

L’introduction de la notion de structure en psychologie en son acception moderne peut- être difficile à cerner avec précision. Comme nous l’avons dit, son utilisation n’est pas vraiment nouvelle et un peu au moins être resituée depuis les travaux freudiens. Chez Piaget (1964), l’usage de la méthode structurale ne révélera pas moins de problèmes que ce qu’il en a été en anthropologie, en ethnologie, en philosophie ou en sociologie. Elle révèle de nos jours encore bien des difficultés chez les auteurs qui s’en servent notamment sur cette question de la structure des représentations sociales. Pourtant, pour revenir à Piaget (op. cit.), il n’y a pas à douter qu’il ne fit usage de la méthode structurale sans chercher par quelque côté à en améliorer la théorie. Le même effort sera perceptible chez les auteurs qui actuellement en psychologie, se consacrent à penser la structure des représentations sociales. C’est aussi une caractéristique qu’il est possible de retrouver chez nombre de théoriciens qui se sont affairés à l’usage de la méthode structurale en général. Nombre d’entre eux, en effet y ont apporté des ajouts ad hoc qui ont ainsi pu paraître rétrospectivement comme faisant corps avec la méthode structurale.

102 Il pourrait paraître éclairant de ce point de vue que même selon Piaget (1968), l’on ne saisisse un dénominateur commun à la diversité des formes de structuralisme que par un effort de synthèse. En posant par exemple d’une part, que tous les structuralismes partagent un idéal d’intelligibilité intrinsèque, et d’autre part, que tous visent la finalité d’un pouvoir explicatif général. Mais encore, il peut être intéressant de noter qu’il aura lui-même la vigilance de ne pas se présenter comme structuraliste tout court, il voyait à quel point n’avancer que des explications structuralistes ne suffisait pas. Ainsi le structuralisme piagétien se trouve assez souvent associé à une autre terminologie. Il est connu comme un structuralisme génétique. Le terme génétique évoquant plutôt un développement. Mais le développement même, tel qu’envisagée chez Piaget (1964), amoindrit quelque peu la réelle portée que peut avoir le sens de cette distinction. Piaget dira. « Quand on parle de genèse dans le domaine psychologique, – et sans doute dans d’autres domaines aussi, – il faut d’abord écarter toute définition à partir de commencements absolus. Nous ne connaissons pas en psychologie de commencement absolu et la genèse se fait toujours à partir d’un état initial qui comporte lui-même éventuellement une structure » (1964, 192). C’est une vue très pénétrante qu’il expose ici. Il dit qu’un état de développement, quel qu’il soit et sous son apparence d’"état", cache bien plus de choses que la configuration concrète sous laquelle elle apparait dans l’ici et maintenant comme un "état". Dans l’"état" de développement d’un enfant par exemple, il y aurait déjà caché l’histoire du développement naturel de l’espèce humaine, celle de ses ancêtres, de ses parents et donc bien plus qu’un "état" tout court à voir comme simple point de départ ou de commencement absolu. Au point de vue même de l’histoire naturelle donc, l’"état" concret de développement d’un enfant comme structure, est aussi et déjà une longue et complexe histoire naturelle qui en tant qu’"état" se présente sous forme abstraite, résumée, agglomérée ou récapitulée.

On voit donc ici aussi, – avant même qu’il ne soit question de faire entrer en considération une histoire sociale bien plus riche en rebondissements que l’histoire naturelle – que dans la nature même un état de développement n’a pour point de départ que du déjà développé mais donné sous une forme ramassée, concrète23. De fait, est-ce vraiment une erreur

d’expliquer un développement par du déjà développé ? C’est le moment de clarifier ce que nous n’avons fait qu’indiquer plus haut. Rendre compte du développement par du déjà développé ne

23 Étymologiquement le mot concret renvoie en fait à une agglutination. On peut aussi penser au verbe

concréter qui lui veut dire rendre solide, ou durcir. Mais notons que dans une acception dialectique du terme que nous utilisons ici ce que nous voulons montrer c'est plutôt la manière dont là où la forme concrète est donnée comme agglutinée elle n'est que la manifestation méconnaissable, la résultante d'un procès qui dans sa réalité est de forme toute contraire que ramassée (Cf. aussi note infrapaginale page 108 du présent document).

103 devient une erreur que lorsqu’on ne voit pas qu’on est en train de rendre compte du développement par du déjà développé seulement aggloméré, et que, dès lors l’on n’est pas en mesure de saisir la réalité historique "non-ramassée" du point de départ derrière la forme ramassée sous laquelle elle se donne comme un point de départ. Lorsque par conséquent, la complexité même non-ramassée d’un processus de développement est réduite à des considérations unilatérales. D’ailleurs, Piaget lui-même (op. cit.), malgré sa vue pénétrante de la détermination historique d’un point de départ ne manquera lui-même de tomber dans ce travers unilatéral. Son erreur n’a pas été d’expliquer un état de développement par du déjà développé. Elle n’a pas été non plus de ne pas voir qu’il expliquait le développement par du déjà développé. C’est au contraire là que s’est exprimé chez lui comme on dirait, "un trait de génie". Bien qu’il l’ait saisie, il saisit encore mal la réalité historique d’un point de départ. Il est partiel dans sa manière de considérer l’histoire. Le point de départ historique qui chez lui déterminerait un état de développement est considéré unilatéralement comme histoire naturelle. Il est en effet capable de voir que l’"état" développement d’un enfant résulte d’un développement biologique dont il est la manifestation concrète. Il voit à juste titre dans l’"état" de développement de l’enfant le développement de fonctions naturelles, mais ne voit pas que le développement de l’espèce humaine est bien plus que biologique. A vouloir trouver la loi générale, l’explication universelle apte à rendre compte de l’ensemble des cas et dans la structure réalisée, le modèle des sciences de la nature, Piaget ne saura pas – ou du moins très peu – voir comment la saisie singulière d’une histoire contient dans sa singularité même une réalité pas moins universelle parce que singulière.

L’apriorisme structuraliste qui, ne se voyant pas passe pour la méthode scientifique même, dans le fait d’exprimer unilatéralement que le tout détermine les parties, sans autre égard dans la possibilité qu’une partie soit elle-même la manifestation d’un tout, semble ici illustrée dans l’un des plus grands penseurs de la psychologie de notre époque. Ainsi donc Piaget voyait moins dans l’état de développement d’un enfant du XXème siècle, son histoire sociale que son

histoire naturelle. Il ne voyait pas dans l’"état singulier" la réalité toute aussi universelle de la découverte du feu, de l’invention de l’écriture, d’un état juridique, d’une école, d’un hôpital et ainsi de suite. C’est ainsi qu’à son époque et en toute bonne foi, la psychologie piagétienne pouvait avoir tendance à réaliser la mauvaise abstraction de l’enfant naturel. Par exemple il affirmera dans un de ces travaux que la notion de proportion mathématique ne s’enseigne que vers 11-12 ans, puis pour justifier cette affirmation il dit : « si elle était de compréhension plus précoce, on la mettrait certainement programme bien plus tôt » (op. cit., 197). Le propos n’est

104 pas complètement dénué de sens. Mais l’on pourrait aussi se demander si c’est vraiment parce que la notion de proportion ne s’assimile chez les enfants que vers 11-12 ans qu’elle n’est pas mise au programme avant, ou si à l’inverse c’est parce qu’elle n’est pas mise au programme avant que les enfants ne peuvent l’assimiler que vers 11-12 ans. Bien sûr la réponse à cette question divergera selon qu’on explique l’"état" de développement des enfants par du développement social ou naturel.