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5.1. La question de l’intentionnalité

5.1.2.1. L’intentionnalité comme inaccompli de l’objet réel

Si les développements de Brentano (1874) au sujet de l’intentionnalité ont été décisifs à orienter chez Meyerson (1948) la question du processus d’objectivation, chez lui-même, la manière d’aborder l’intention reste encore partielle. Là où dans la pensée d’une chose on était accoutumé à ne voir que la chose, il attire l’attention sur le fait que la pensée de la chose n’est pas simple. « Qui pense une pierre (…) ne la pense pas comme une pierre pensée, mais comme une pierre » (Brentano, in Meyerson, 1948, 31). Ce qu’il parvient à souligner, c’est que la pensée – immédiatement vécue comme simple – est de l’ordre d’une composition, que la pensée d’une pierre, plutôt que d’être réduite à la pierre de fait, est ce que la pensée compose, accomplit

comme pierre sur le fait de la pierre. Ce qui donne la pierre c’est donc la pensée de la pierre,

c’est l’objectivation de la pierre. La conclusion qu’on a longtemps tirée d’un tel constat a été celle sceptique qui posera que le réel est inaccessible, car cherchant la réalité de la pierre on ne trouve jamais que pensée de la pierre. Il s’agit là de la conclusion qui s’impose quand du réel est exclu la vision semblable à la représentation qu’on en a, comme si cette dernière n’était pas elle-même réelle. Nous sommes arrivés à trouver fondé de pouvoir tirer du même constat, la conclusion toute contraire ; plutôt que la pierre isolée la pensée de la pierre est la pierre réelle, la pierre objectivée est l’objet pierre. Ce qui fait la pierre c’est moins elle-même posée sur la planète mars que la ressaisie pensée qui, même depuis la terre, l’objective. Ces déductions

75 sont permises à partir des développements de Brentano (op. cit.) sur l’intentionnalité. Mais lui- même n’ira pas jusque-là.

Brentano (op. cit.), ne va pas jusqu’au bout du dévoilement de la réalité de la pensée comme représentations et comme intentions. Remarquons la pluralité dont nous affectons ces activités mentales pour en souligner le fonctionnement social, ensuite songeons que la seule pensée ne peut en réalité être pensée de rien mais nécessairement pensée pratique de quelque chose, et nous verrons ce que l’on manque quand on donne la pensée comme idée sans contextualisation. De la pensée, on ne saisit alors que le mécanisme fonctionnel vide non rapporté au cadre social de la pratique communautaire des hommes où l’intention rencontre le cadre coercitif de sa nécessité. Le problème des travaux psychologiques qui étudient les fonctions psychologiques comme de strictes productions mentales, c’est que traitant de facultés fonctionnelles comme la mémoire, la volonté, l’imagination, etc. ils les examinent, la plupart du temps, sans les rapporter à l’ordre nécessaire et à la temporalité sociale qui les concrétise tels qu’ils sont à un moment donné d’une configuration sociale donnée. La réalité concrète de l’intention n’est pas la fonction envisagée comme faculté potentielle, c’est son effectivité historico-sociale. Ce n’est pas l’intentionnalité à vide qui ne révèle rien sur la donne actuelle de sa réalisation, qui ne dit rien sur les modalités et les formes concrètes où cette faculté est socialement menée à réalisation aujourd’hui en tant qu’intentions de travailler ou pas, d’aller pour certains enfants à l’école ou pas, intentions de manger ou pas, de se doucher ou pas…

Dans tous ces cas, on a vite fait de comprendre que la réalisation effective d’une intention, comprise jusque dans ses tenants et aboutissants sociaux n’est pas que psychologique (Politzer, 1947), sinon que c’est l’intentionnalité telle qu’abordée en psychologie qui n’en vient jamais aux ordres réels de nécessités sociales. Car les ordres sociaux actuels sont tels que les intentions de travailler ne réalisent pas nécessairement le travail, tels qu’il ne suffit pas d’avoir l’intention d’aller à l’école pour y aller réellement et y apprendre. Aux intentions psychologiques comme telles, les ordres des nécessités sociales sur la complexe évolution historique qui les fonde impriment une tournure actuelle qui déterminera leurs réalisations concrètes. L’intention psychologique est du coup susceptible de perdre son sens et sa réalité si l’ordre des nécessités sociales lui oppose un démenti réel qui du coup, serait aussi celui adressé à une certaine psychologie. Sur notre question de l’eau et des enfants d’Afrique subsaharienne, nous figurant que le taux de connexion à l’eau potable à domicile ; près de 100 % dans les pays du nord, de 44% dans le pays en voie de développement, n’avoisine que de 16 % en Afrique subsaharienne, est-on fondé de penser que se doucher pour ces derniers tienne réellement de

76 l’effet de l’intention ? Penser un objet pour un sujet n’a de sens que si l’objet pensé advient comme correspondant réel à la pensée exercée, en cas contraire se justifierait alors psychologiquement qu’on ne se consacre à penser l’objet ou à avoir l’intention de… pour rien ! Autrement dit, bon nombre ces enfants auront pratiquement saisi – fut-ce sans pouvoir l’expliquer comme nous le faisons – qu’ils n’ont pas à penser à la douche si la réalisation effective de cette douche doit matériellement leur être impossible ou difficile. Dans notre examen du processus d’objectivation nous nous sommes certes efforcés d’inclure les activités humaine dans l’élaboration de l’objet, l’objet ne faisant plus indifféremment face aux hommes mais étant construit par eux et à finalité de leur rendre service. Pour cela, nous sommes arrivés à regarder l’objet en nous situant d’emblée dans un ordre social au sein duquel les activités des hommes s’organisent autour d’objets divers pour la commodité de la vie en société. Mais on ne peut penser qu’en société, seul le sujet organise, seul lui est actif.