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7.2. Effectivité psychologique du problème d’ancrage

7.2.1.1. Résultats et processus

Les élaborations qui ont suivi les travaux théoriques de Moscovici (1961), ont quasiment toutes reconnu en ses vues une contribution fondamentale et pionnière pour ce qui est d’engager cette problématique des représentations sociales (Jodelet, 1989a. ; Abric, 1994 ; Rouquette & Rateau 1998 ; Moliner, 2001). Nous avons nous-mêmes reconnus, bien que venant au problème des représentations par la question des objectivations, en quoi ses travaux pour ce qui concerne un abord du processus d’objectivation, pourraient constituer une base de travail appréciable. Mais nous y avons aussi émis nos quelques réserves. Il va dans quelques lignes, être question

95 de réfléchir à propos d’une théorie de la structure des représentations sociales ; la théorie du noyau central d’Abric (1976, 1987). Ce qui pourrait se passer dans la formulation théorique du fonctionnement des représentations en termes de structure, nous intéresse. Nous voyons en effet, de la manière dont nous nous avançons sur la question des objectivations bien de points de recoupement possibles avec ce qui se conceptualise en psychologie sociale à propos des représentations. Mais tandis que nous aurions beaucoup de mal à envisager une structure du processus d’objectivation sans avoir l’impression d’avoir sacrifié à la fonction d’une objectivation comme processus, il semble que d'envisager les choses du côté des représentations rende possible d’avancer vers une structuration de celles-ci. Dès lors, nous ne pouvons manquer de poser la question de savoir si la conceptualisation en psychologie sociale d’une structure des représentations pourrait aider à penser une structure du processus d’objectivation. En effet il s’avère, en psychologie sociale même, que l’on ne puisse penser les représentations sans avoir en vue un procès ; c’est-à-dire un processus d’élaboration des représentations sociales.

Commençons donc par envisager les deux termes. Il semble a priori que l’on puisse penser également à propos de ces deux termes, soit le fait d’une objectivation ou encore le fait

d’une représentation sociale. En ces premiers sens ce qui s’entend comme fait d’une objectivation ou fait d’une représentation sociale, semble n’être qu’uniquement le résultat ou

le réalisé de ces deux processus. Autrement dit, on ne s’intéresserait ici qu’au produit final et en un sens développé qu’auraient laissé les processus d’objectivation et de représentation après leurs accomplissements. On pourrait encore dire selon ces premières acceptions qu’en termes d’objectivation l’on entendrait plutôt des "objectivés" et qu’en termes de représentations l’on entendrait plutôt des "représentés sociaux". Il s’agit ici de bien faire percevoir la différence entre une réalisation comme procès et une réalisé comme résultat. On pourrait aussi envisager une seconde acception des termes objectivation et représentation. Cette fois-ci, l’acception de ces termes renverrait directement aux procès eux-mêmes. Nous sommes alors d’avis que s’agissant d’avoir en vue le procès comme mouvement de développement réel, il ne peut être que très difficile d’en envisager la structure si l’on n’en a pas déjà isolé ou distingué la forme

résultat. Distinguer d’un procès sa forme résultat ce n’est pas examiner le résultat comme résultat d’un procès. Envisager un résultat comme résultat d’un procès c’est encore ne pas se

laisser prendre à la forme résultat indépendamment du procès ou du développement qui le produit. Ces propos que nous tenons ici, peuvent paraître comme une évidence et l’on serait tenté de se demander à quoi bon cette insistance que nous avons à penser la nuance à faire entre

96 présuppose comme allant de soi que l’on pense en même temps le résultat d’un procès. Mais c’est dans cette présupposition, cet allant de soi que se glisse ce qu’il nous intéresse à saisir. La pensée d’un ancrage en dehors du processus d’objectivation ouvre déjà la voie qui permet de penser insensiblement un résultat en dehors du développement qui le produit ; et ici précisément, ce qui paraissait comme une évidence les lignes plus haut ne saute plus aux yeux.

7.2.1.2. Réalité d’une représentation

La science n’a pas d’autres moyens d’appréhender le réel que de se le représenter. Lorsqu’elle se représente la réalité elle se la re-présente. Cette graphie a déjà été utilisée plusieurs fois pour attirer l’attention sur le fait que le sens d’une représentation est de présenter à nouveau. La représentation d’une réalité en un sens n’est pas la réalité elle-même. Mais en un autre sens que nous n’avons cessé de souligner ici, elle est l’unique moyen qui, par un nombre incalculable de détours ou de médiations, permette d’accéder à la réalité. De fait, comme nous l’avons fait pour les définitions plus haut, il convient de voir une représentation comme une manifestation dont la saisie scientifique inciterait à dépasser les aspects immédiats. Elle induirait et serait disponible à objectivation. En ce sens, une représentation correspond bien ce que nous avons identifié plus haut comme une abstraction. Le terme de concept plus fréquent dans le jargon scientifique y désigne précisément cette fonction outillée et heuristique de la représentation. Vu comme cela, une représentation comme abstraction ou concept n’a pas à être ancrée. Elle ne trouve sa fin pratique ni dans un ancrage ni dans une structuration qui ne soit provisoire. La finalité d’une représentation est de donner suite à un travail d’objectivation suscité dès elle-même pourrait-on dire, mais en réalité, chez le scientifique par exemple. Aux yeux du scientifique parvenu à son accomplissement par un ensemble complexe de déterminations concrètes, le concept pourrait révéler un manque à traduire complètement ce réel comme réalité concrète. Il faudrait alors seulement que le scientifique lui-même, ne se laissant par étourdir par les apparences immédiates, sache s’identifiant comme tel, ne pas radicalement distinguer le produit social qu’il est devenu – comme résultat – du parcours non moins social, développemental et complexe – comme processus – à l’issue duquel il est devenu. En effet, la forme finale dans laquelle se donne le "scientifique", prise pour elle seule et cela d’autant plus qu’il paraitra à travers ses distinctions, peut être trompeuse. Elle masquerait alors derrière une forme achevée – la forme résultat –, le long parcours bien des fois laborieux, dirigé souvent chaotique, fortuit ; elle cacherait à travers toutes ces différentes étapes l’étayage constant d’un matelas social de plus ou moins bonne qualité qui a abouti comme processus à sa

97 production tel qu’il est. Cette forme immédiate et impressionnante du "scientifique" dans tous ses honneurs est justement une forme bien faite pour recouvrir ce qu’un tel produit tient d’un ailleurs que lui-même notamment de la société. Nous utilisons l’exemple du scientifique parce la figure du scientifique nous maintient côté de notre objet, mais intéressons-nous par exemple à de la figure du "criminel". Elle paraît si scandaleuse au premier abord que pour avoir étourdiment pris cette habitude de séparer les choses, comme ferait un intellect d’entendement, dans bon nombre de sociétés on s’imagine avoir faire preuve de justice quand on l’a mis à mort. Il s’agit là encore, comme nous l’avons vu concernant la figure du "scientifique", d’une manière d’isoler un résultat social du développement non moins social qui le produit, et de s’imaginer qu’on a supprimé un mal quand en vérité, on s’en est seulement pris de manière unilatérale à la figure immédiate sous laquelle s’est concrétisée une logique sociale. C’est là des manières de faire percevoir de façon imagée les erreurs auxquelles peuvent conduire la saisie unilatérale d'une abstraction ou d’une représentation ancrée pour la chose même. On l’aura sans doute compris, le problème ici n’est pas le fait de l’abstraction ou de la représentation, mais plutôt le fait d'une mauvaise utilisation des abstractions ou des représentations.