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Situations d’objectivation

Au moment où l’eau se dispose comme objet à objectiver pour l’enfant sa forme d’objet n’est pas celle d’un objet isolé mais d’un objet social. Cette forme sociale, il conviendrait de la saisir afin pouvoir déterminer la mesure dans laquelle l’enfant pourra y trouver un objet soutenant ou faisant obstacle à son propre développement. Pour se saisir de la forme sociale d’objets, nous devons rompre avec notre vision d’objets se constituant d’eux-mêmes dans leurs clôtures "naturelles", sinon chercher dans la forme naturelle ce dont l’objet est le résultat dans l’ordre des médiations. Nous ne sommes pas parvenus à déterminer complètement ce dont la forme de l’eau peut être la fonction sur nos terrains mais nous en avons pu saisir quelques réalités dont nous espérons faire montre à partir de l’outil que nous présentons.

L’eau en objet social "naturel" : La première forme sociale de l’eau que nous comptons éprouver dans le rapport à l’enfant est celle que nous présentons comme "naturelle". Nous tentons ici de considérer l’eau comme un objet isolé. Nous ferons comme si pour que l’enfant objective l’eau de manière qu’elle lui soit profitable, il suffirait de le mettre comme sujet individuel, en face de l’eau de son milieu. Nous confronterons l’enfant seul à la diversité des eaux de son milieu. Il devra alors instrumenter l’eau envisagée comme si elle était indépendante des actions des adultes et du cadre social. En toute rigueur la production, même expérimentale, d’une telle situation d’objectivation est tout bonnement impossible. Mais proposant ici de produire une telle situation pour que l’enfant y puisse objectiver l’eau, nous n’avons en vue qu’une situation minimale et réduite de médiation sociale. Nous voulons montrer que l’enfant aura d’autant plus de mal à y utiliser l’eau de manière qui lui profite, qu’il y bénéficiera d’un appui social moindre. Nous mettrons cela en œuvre avec l’outil, en proposant dans un premier temps à l’enfant d’assigner tout seul, le sens qui lui semble être le bon aux diverses eaux et dans les diverses situations d’objectivation d’eau vues ci-dessus. Ce sera la première situation de passation.

137  L’eau en objet social concerté : Nous mettrons en œuvre une deuxième situation expérimentale où le rapport de l’enfant à l’eau inclura dans une forme plus développée que dans la situation précédente, la médiation sociale. Le rapport à l’eau de l’enfant n’aura pas la forme de son individualité face à une eau de forme close, réduite à elle-même et indépendante des activités sociales. Elle inclura sa ressaisie par les adultes la disposant comme objet transformé dans la pratique sociale. La complexe réalité intégrale de l’objet social est certes bien loin de pouvoir trouver sa place dans la concertation sociale d’un adulte et d’un enfant autour d’un objet. Mais, même sous cette forme réduite, nous pourrons trouver de quoi appuyer notre thèse sur l’opportunité développementale pour l’enfant d’un objet incluant de la médiation sociale par rapport à un objet n’en incluant que trop peu. Pour mettre en œuvre cette situation d’objectivation concertées avec l’outil, nous proposerons cette fois à l’adulte significatif de l’enfant de l’assister dans sa tâche d’assignation de sens aux eaux dans les diverses situations d’objectivation. Objectivations qui impliqueront, ici, dans la réalité de l’eau, le développement social dont l’adulte lui-même est le produit. On verra ensuite dans quelle mesure, une instrumentation par l’enfant d’une eau inclusive de la médiation d’autrui, lui aura été profitable par rapport à la situation précédente d’objectivation d’une eau "naturelle".

L’eau en objet social rémanent : Nous mettrons ici en œuvre en une troisième et dernière situation expérimentale le rapport de l’enfant à l’eau comme objet faisant suite à la médiation entre l’adulte et l’enfant. Ici, le rapport de l’enfant à l’eau aura la forme d’une relation de l’enfant à un objet déjà marqué d’une implication de l’adulte. L’enfant devra retravailler seul sur le troisième carnet de passation. A cet égard, pouvant sembler seul face à l’objet, il se trouvera dans un rapport qui diffère de beaucoup de la première situation où il se trouvait face à un objet "naturel". L’objet ici, sans avoir la forme concertée de la deuxième situation, gardera néanmoins une forme sociale : résultat de la concertation ayant eu lieu entre l’enfant et l’adulte, à l’issue de laquelle, l’eau dans le rapport à l’enfant est devenue un objet social transformé avec lequel il s’agira de renouer. Dans cette situation et de manière identique à la première, il sera immédiatement seul en face de l’objet. Mais considérant les choses dans leur ordre de médiation, la réalité sociale de sa situation sera plutôt celle d’une disposition qui, même dans sa solitude de prime abord, aura déjà travaillé par la concertation antérieure,

138 à faire de lui seul une aptitude objectivante qui tienne à plus que lui tout seul. Il s’agira à la suite d’une telle mise en situation de rapporter l’objectivation faite par l’enfant de l’eau ici, aux objectivations qu’il aura faite en présence de l’eau "naturelle" et en présence de l’eau comme objet social concerté.

Il s’agit en ces trois situations expérimentales, de donner à voir quelques-unes des configurations sociales au sein desquelles la réalité de l’eau se révèle être modulable selon la réalité des médiations sociales au sein desquelles elle se produit. Reste à faire état de la manière dont nous procéderons avec l’outil, pour mettre l’enfant en condition de pouvoir disposer des eaux de leur entourage telles que l’outil en fait la présentation.

La page frontispice (1

ère

et 2

ème

étapes d’administration)

Figure 10 : Feuille frontispice de choix de couleur des eaux à la première et la deuxième passation.

L’administration du test à partir de l’outil s’est faite en trois étapes. La première a toujours été précédée de l’entretien que nous avons mené avec les adultes en absence des enfants29. La première étape d’objectivation d’eau comme objet "naturel", ainsi que la deuxième

ont tous deux été précédées d’un travail préliminaire sur une page frontispice. Le travail était destiné à aider les enfants à faire l’appropriation d’un outil qui, même confectionné pour eux, pourrait présenter quelques difficultés à l’appropriation. Pour ces enfants ruraux vivant au sein de milieux éducatifs aux moyens limités, la pratique du coloriage et d’un mode de communication privilégiant des représentations picturales d’eau, l’association de couleurs à un objet si souvent perçu comme clair et sans couleur, n’ont pas fait de l’outil, malgré les efforts que nous y avons consacré, un outil d’appropriation facile.

29 Lorsqu’ils étaient présents, nous leur demandions d’aller jouer, en leur précisant de ne pas s’éloigner

139 Il s’agit sur cette page de commencer à introduire les enfants à l’idée que l’on puisse représenter l’eau en lui attribuant une couleur. Au regard de notre démarche qui les confrontait à une drôle de manière de concevoir l’eau, la fonction de la page frontispice était moins de mesurer l’aptitude des enfants à reconnaître les photos d’eau que d’évaluer la mesure dans laquelle ils seraient capables d’en faire l’objectivation sous cette présentation imagée les menant à assigner des couleurs à l’eau. La tâche pouvant paraître facile pour des enfants citadins bénéficiant de système éducatif plus ou moins développé, a certainement présenté un niveau de difficulté accru pour des enfants vivant en milieux ruraux dont beaucoup, se livraient pour la première fois à l’exercice de coloriage. De fait, la page frontispice aura moins pour but d’évaluer les enfants que de leur faciliter l’adoption d’une consigne qui nous permettra de suivre leurs objectivations. Les enfants commenceront, dans la majorité des cas, par ne pas reconnaître l’eau. Quand ils avaient du mal à identifier l’eau à la page frontispice, nous commencions par leur faire visionner les scènes en leur demandant de les décrire. L’identification de l’eau sur la page frontispice pour la première passation, se faisait en général après le visionnage des planches figuratives. La page frontispice nous fournira l’occasion de voir, à la répartition faite des couleurs par les enfants de la première passation à la suivante, qu’ils ne seront pas hermétiques à un tel mode de saisie de l’eau bien qu’il ne leur sera pas familier. Faisons état de la manière dont les enfants ont répondu à ce travail, notamment pour ce qui était de la reconnaissance des "photo 1" et "photo 2" par lesquelles nous souhaitions les introduire à l’idée que l’on puisse se représenter l’eau en lui attribuant des couleurs. Idée capitale pour nous, puisque c’est sur elle que nous avons fait reposer la réalité des formes d’eau telle que nous la présentions aux enfants.

Nous donnons ici à voir, l’évolution qui a été celle des enfants pour autant qu’il ait fallu se faire à l’idée de couleurs d’eau, de la première situation expérimentale à la deuxième. Les Tableaux 11 et 12 que nous présentons figurent le tri à plat des réponses obtenues les enfants à l’une des premières questions que nous leur posions quand, leur présentant la page frontispice, nous leur demandions à propos de la "photo 1" et de la "photo 2" ce que ces photos représentaient30. Nous avons enregistré les réponses des enfants par couple de réponse. C’est

30 Ne pouvant faire figurer ici l’ensemble des tableaux rendant compte de la manière dont les enfants ont

réagi au travail fait sur les pages frontispices, nous nous limiterons ici à présenter les réponses des enfants aux questions relatives à l’identification des photos 1 et 2. Nous ferons figurer dans les annexes d’autres tableaux qui recenseront d’autres réponses des enfants relatives à leurs préférences et à la manière dont ils tentèrent de justifier celles-ci.

140 dire qu’au cas où figurerons dans les tableaux deux mêmes termes, le premier terme renverra à la "photo 1" et le deuxième la "photo 2".

Tableau 11 : Réponses des enfants aux questions d’identification des photos de la page frontispice à la première passation

Tableau 12 : Réponses des enfants aux questions d’identification des photos de la page frontispice à la deuxième passation

Réponses des enfants Effectifs Pourcentage

réponse couleur 2 2,9%

eau et sable 8 11,8%

eau et eau 54 79,4%

autre 4 5,9%

Total 68 100,0%

Ces deux tableaux montrent l’inscription progressive des enfants au mode de représentation que leur suggérait l’outil. On peut noter qu’en première passation où les enfants étaient seuls impliqués à saisir la réalité de l’eau, seulement 29,4 % des enfants sont arrivés à la reconnaître dans les différentes formes que proposait l’outil. La plupart de ces reconnaissances n’ont pu s’effectuer qu’après le visionnage des différentes planches figuratives du carnet de la première passation. En deuxième passation en revanche, lorsque la reconnaissance des photos n’était plus fonction des enfants seuls, mais de la concertation entre eux et les adultes l’aptitude des enfants à s’inscrire dans une telle représentation de l’eau s’améliorait nettement. Ils étaient 79,4 % à être en mesure de reconnaître l’eau sous les diverses formes que mettent en exergue l’outil. Il y a déjà dans cette différence de prestation des enfants liée aux conditions sociale de saisie de la forme de l’eau, la préfiguration des résultats que nous allons obtenir selon que les enfants se trouveront consister d’eux-mêmes en tant qu’individus

31 Nous appelons ainsi les réponses que donnent les enfants en faisant simplement mention de la couleur

lorsque nous leur demandons ce que représentent les photos, sans pouvoir dire ce qui est bleue ou jaune voire brun.

Réponses des enfants Effectifs Pourcentage

pas de réponse 27 39,7% réponse couleur31 5 7,4% eau et sable 3 4,4% ciel et sable 1 1,5% eau et eau 20 29,4% autre 12 17,6% Total 68 100,0%

141 isolés ou selon qu’ils se trouveront consister dans le rapport social à autrui au regard de l’objet ; ici l’eau.

Procédure d’administration

L’administration de l’outil se fait sur un mode identique à la première et à la deuxième étape de passation. La troisième et dernière étape de passation aura été plus courte parce que nous n’avons pas utilisé la page frontispice. Cette page, ayant une fonction facilitatrice ou introductive, aura atteint sa pleine fonction au cours de la deuxième étape de passation qui sera celle ou l’objet qui nous intéresse, sera envisagé sous la forme sociale la plus propice aux apprentissages. Cette étape passée, il était très improbable que l’enfant objective mieux l’eau à la troisième étape d’objectivation qui sera plutôt une étape de rémanence des objectivations de la deuxième étape. Nous aurions pu maintenir cette page frontispice qui, alors, nous aurait permis de mesurer chez l’enfant ce qu’il lui reste d’aptitude à identifier l’eau après la situation d’objectivation avec médiation avec l’adulte. Nous ne l’aurons pas fait parce que les conditions de terrain dans lesquelles nous réalisions notre travail de recueil de données, nous mettaient dans des situations les plus contraignantes en termes de temps et de capacités à réunir les enfants de nos échantillons en troisième étape de passation. En bref, et pour des raisons variées, les caractéristiques de notre terrain nous mettaient à chaque fois en situation de disposer de très peu de temps pour les troisièmes passations.

Première étape : Il se trouve que nous avons déjà eu le temps d’interroger un parent significatif de l’enfant (le plus souvent la mère, mais parfois le père, le grand frère, la grande sœur, la tante, la grand-mère, le grand-père), nous commençons par expliquer à l’enfant que l’exercice que nous allons faire n’est pas un exercice scolaire, qu’il n’y aura pas de bonnes ou mauvaises réponses, mais qu’il faudra qu’il parle et dise ce qui lui vient dans la tête. Nous lui faisons savoir que s’il faisait tout cela, en récompense il pourra garder sa pochette de crayons de couleur et qu’à chaque fois que nous passerons travailler avec lui, nous lui apporterons de petites confiseries32. A la suite de cela, nous lui présentons le premier carnet de l’outil et lui

demandons de bien regarder la première photo de la page frontispice. Au bout d’un laps de temps accordé pour l’examen la photo 1, nous lui demandons ce que cela peut être. Une fois

32 En vue de récompense offertes aux enfants pour les intéresser et surtout pour ne pas les perdre, nous

nous sommes équipés de pochettes de douze crayons de couleurs que nous donnions à chaque enfant mais qui, avant les trois séances de travail, était confié à l’adulte qui en assurait la garde. Il pouvait le remettre à l’enfant après la troisième séance de travail. Nous avions aussi des bonbons que nous offrions aux enfants à chaque séance de travail.

142 qu’il a répondu nous faisons pareil avec la photo 2. Ensuite nous lui demandons de choisir parmi les crayons de couleur que nous lui proposons, un crayon dont il lui semble que la couleur corresponde à la photo 1. Quand il a fait son choix, nous lui proposons de refaire la même opération pour la photo 2. Il est arrivé plusieurs fois que l’enfant choisisse un crayon de couleur qui ne ressemble pas à la couleur de la photo. Dans ce cas nous lui avons demandé s’il voulait refaire son choix. En cas de réponse positive nous lui laissons refaire son choix, mais en cas de réponse négative, nous notons la couleur du crayon choisi et lui faisons continuer son test. Il s’agira ensuite pour l’enfant de colorier les cadres laissés vides à côté des photos d’une couleur à chaque fois similaire à celles des photos. Une fois cela fait nous lui demandons de nous dire laquelle il préfère des deux photos et pourquoi il préfère celle qu’il indiquera s’il en indique une. Sinon nous poursuivons le test. S’il n’a pas du tout ou s’il a peu parlé pendant cette phase de l’étude, nous lui disons que l’on pourra commencer par lui faire voir des dessins qu’il n’aura qu’à décrire, ensuite nous pourrons revenir sur la page frontispice.

Nous faisons ensuite visualiser toutes les planches du carnet à l’enfant et lui demandons de nous les décrire. S’il n’y arrive pas nous lui présentons la suivante en lui disant que nous y reviendrons. En général, les enfants même timides, prennent du plaisir à décrire ce qu’ils voient sur les dessins et se mettent à parler plus qu’ils ne l’ont fait à la phase de la page frontispice. Quand nous avons fini de faire visionner toutes les planches à l’enfant, nous revenons à la planche frontispice pour le ramener aux questions qui avaient été laissées en suspens. Nous lui donnons enfin la consigne en lui expliquant au préalable que la photo 1 représente de l’eau propre tandis que la photo 2 est celle d’une eau comme l’eau du fleuve ou de la rivière que l’on ne peut pas utiliser pour tout faire. Nous lui rappelons les couleurs qu’il aura précédemment choisies pour indiquer chacune des eaux, nous lui indiquons que, dans toutes les planches visionnées, les personnes utilisent de l’eau, et que sa tâche consistera à colorier sur chacune des planches l’eau selon qu’il lui semble que l’eau utilisée pourrait être l’eau propre de la photo 1, ou l’eau troublée de la photo 2. Nous n’aurons pas de mal à faire évoquer aux enfants l’idée de l’eau troublée qui correspond à celle de la photo 2. Nous nous rendrons compte sur le terrain au cours des travaux préparatifs avec les interprètes, qu’il existera déjà dans les langues des enfants, des terminologies spécifiques pour renvoyer à l’image de telles eaux très présentes par ailleurs dans les divers environnements qui ont constitué nos terrains. Il pourrait sembler, dans la consigne donnée aux enfants, que nous leur indiquons déjà les réponses adéquates à réussir le test en leur disant d’attribuer une couleur à l’eau propre, et une autre à l’eau troublée. Mais il n’en est rien.

143 D’une part, parce qu’attribuer des couleurs à l’eau comme nous l’avons mentionné constitue déjà une première difficulté pour les enfants qui, la plupart du temps, ne reconnaissent plus l’eau telle qu’ils l’expérimentent quotidiennement du moment où ils lui attribuent une couleur. Ce qui fait d’ailleurs la difficulté à utiliser cet outil à laquelle nous n’aurons pu remédier que – dans une certaine mesure – par l’introduction du travail sur la page frontispice. Ensuite parce que faire usage et donc faire l’objectivation d’"eaux bleues" et d’"eaux brunes", ne peut être une tâche que les enfants réussiraient seulement parce qu’ils en auraient reçu la consigne claire. Objectiver de l’eau propre ou troublée de comme nous l’entendons ici, c’est-à- dire de manière à ce que de cette objectivation découle les conditions favorables à son développement subjectif, ne peut être une tâche qu’un enfant réussirait pour en avoir simplement reçu la consigne claire vu la complexité du développement social qu’une telle objectivation de sa part présupposerait. C’est un peu comme si l’on affirmait que pour confectionner un meuble ou une chemise il suffisait d’en avoir reçu la consigne claire sans faire état des apprentissages nécessaires à la réussite d’une telle tâche et du cadre des rapports sociaux indispensables à la réalisation d’une ébéniste ou d’un couturier. La question ici de la forme complexe du processus à étudier chez l’enfant, ne pourrait donc être ramenée à la consigne que