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sujet ?

La notion de subjectivation elle-même paraît dans la psychologie moderne, empreinte d’une situation singulière. Sans manquer de renvoyer à la notion de "sujet" chère à la psychologie, elle a au sein de cette discipline même suscité un intérêt tardif. Parot (1992) fait remarquer que la théologie fut avec la philosophie des siècles durant l’unique berceau des problématiques aujourd’hui constitutives du champ de la psychologie. Cela pourrait expliquer la récence psychologique du concept comparativement à son abord philosophique. Mais il y a encore à expliquer autrement ce retard qu’accuse l’introduction de la notion de subjectivation en psychologie. Allant volontiers dans le sens de la première remarque, c’est néanmoins une

59 autre piste que nous emprunterons à rendre compte du fait que le concept de subjectivation ne devienne que tardivement en psychologie, l’objet d’une préoccupation sérieuse. La question de la subjectivation ne pourrait s’envisager qu’au regard des conditions d’objectivations qui la supportent. Ainsi le choix du sujet par lequel il se choisit lui-même se fait toujours avec en arrière fond une constellation déjà objectivée. C’est ce dont nous allons maintenant traiter en termes de subjectivation, en mettant à contribution d’autres disciplines.

Un sujet "envahissant" en psychologie

Interroger la singularité liée à la notion de subjectivation dans la psychologie contemporaine, revient aussi à tenir compte de la complexité sociale de la situation, qui d’abord engage d’emblée la psychologie sur des questions brûlantes et déjà traitées par d’autres approches, et ensuite attend d’elle qu’elle fasse preuve d’originalité là où les autres semblaient déjà avoir échouées. Cette situation sociale au sein de laquelle la psychologie prend fonction est éminemment illustrative de la pesanteur sociale sur toute pratique scientifique. Autant il est vrai que l’avènement de la psychologie réponde à une aspiration sociale, autant il serait illusoire de penser qu’une telle aspiration n’imposera les termes sociaux de ses attentes. La psychologie dût donc en passer par ses propres épreuves au sein de la communauté qui la génère. Notons déjà cette vue née de la controverse au XIXème siècle entre psychologie et médecine, dans leurs

positionnements respectifs, au regard de la maladie : « dans la médecine scientifique le malade est considéré comme objet, et lui est imposé presque dédaigneusement une passivité absolue ; il n’a rien à dire ni à demander, rien à faire qu’à suivre docilement, sans réfléchir, les prescriptions du médecin et à éviter le plus possible d’intervenir dans le traitement. La méthode psychologique, elle, exige avant tout du patient qu’il agisse lui-même, qu’il déploie la plus grande activité contre la maladie, en sa qualité de sujet, de porteur et de réalisateur de la cure » (Zweig, 1931/1991, 16)10. Il semble donc que la psychologie advienne dans l’histoire des

sciences à la rescousse des autres se saisir de l’objet atypique du sujet (Jalley, 2006).

Mais, la psychologie comparée, la branche de la cognitive qui se voue à l’étude des intelligences artificielles, sont autant de domaines d’application où s’investit la psychologie sans qu’il y ait la moindre trace de sujet. Pourtant, nous sommes bien obligés d’admettre qu’y arrivent aussi ces moments où se pose comme de façon inéluctable la question du rapport des hommes aux animaux (Guillaume, 1948), ou aux machines (Suchman, 1987). D’où ce que Meyerson (2000), dès ses leçons de 1975, identifiait tel un anthropomorphisme à la Montaigne

60 qui n’en continuait pas moins de faire des adeptes parmi des auteurs bien au fait de la perspective mécaniste cartésienne. Cette remarque ne traduit pas seulement la coexistence au sein de la discipline de deux tendances d’étude. Il faut aussi y voir la difficulté inhérente à la psychologie de penser tout objet comme pur, sans qu’y soit déjà impliqué l’œil intéressé du sujet. C’est montrer là, comme il peut s’avérer difficile en cette discipline de faire l’économie du concept de sujet. Toujours, par un tour de force d’autant plus implacable qu’imperceptible, l’expulsion d’un tel objet comme sujet se révèle à un point inattendu être sa réintroduction.

Une seconde jeunesse ?

Considérer la psychologie comme une jeune discipline n’est admissible que sous certaines réserves (Parot 1992). Qu’on dise la psychologie vielle ou jeune, les deux propos s’appliquent à des visions différentes de la dynamique qui nous mène à la discipline telle qu’elle paraît de nos jours. Ce qui n’est pas récent, c’est une gestion, consciente ou pas, des mentalités dont il n’est pas raisonnable d’exclure un seul homme si loin que l’on puisse remonter dans l’histoire de l’humanité. On ne peut imaginer une société sans penser en même temps qu’elle ne soit le lieu d’expression de mentalités. Les religions, les coutumes, les festivités etc. rendent bel et bien compte déjà de l’effectivité universelle d’un souci des mentalités. Elles témoignent des effets d’une psychologie déjà à l’œuvre, mais encore au besoin, activement mise en œuvre, maniée, conservée, et entretenue dès la plus petite communauté humaine.

Ce qui est récent, c’est la manière dont un souci des mentalités se remettant en question à la fin du XIXème siècle se transforme avec son monde (Bruner, 1996). Il est commode de ne

noter que cela qui donne à ce souci ses lettres de noblesse, en n’en faisant non plus ce simple souci que l’on retrouvait épars un peu dans toutes les questions, mais une discipline proprement dite. La psychologie naissant à une discipline dirait-on, naît proprement et devient une science. C’est à la réponse à apporter à la question de savoir ce qu’être scientifique pour un psychologue que quelques-uns de ceux-ci surprennent à vouloir y remettre de l’histoire quand on attend du scientifique. Pour ces derniers, cela n’excluant pas ceci, il faudrait en fait parler de la jeunesse de la psychologie comme d’une seconde jeunesse. Dès ce moment initial de l’inscription de la psychologie dans le vouloir scientifique qui marque pour elle un tournant, une polémique l’engage sur la manière dont elle pourrait concevoir la marche de la science et s’y engager.

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Philosophie et psychologie