• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 - Les fondements théoriques de la relation de franchise

1.2. Les travaux sur les mécanismes de choix de la franchise

1.2.1. Les mécanismes de choix de la franchise et l’analyse économique des contrats

1.2.1.2. La théorie des coûts de transactions

La théorie des coûts de transaction, qui s’est développée autour de la personnalité de Williamson (1975, 1985) se veut d’une portée plus générale que la théorie de l’agence dans la mesure où elle ne se réduit pas à l’étude des seules relations d’agence (Brousseau, 1993)2. Certains ont pu énoncer qu’elle constitue un nouveau paradigme de la théorie de la firme (Baudry, 1999). Dans la lignée des travaux de Coase (1937)3 sur la nature de la firme, devenue objet d’analyse, alors qu’auparavant les économistes ne s’intéressaient qu’aux mécanismes de marché, la théorie des coûts de transaction place au cœur de ses analyses, les

questions des frontières de la firme et des choix des arrangements organisationnels

(arbitrage entre firme et marché). Elle explique dans un premier temps (1975-1985) le développement des firmes par la préférence d’une coordination par la hiérarchie, lorsque la

1 Fama E.F. et Jensen (1983), Separation of Ownership and Control, Journal of Law and Economics, 26 (2), 327-349.

2

Brousseau E. (1993), L’économie des contrats, technologies de l’information et coordination interentreprises, PUF, Economie en liberté.

médiation marchande, mesurée par les coûts liés à la transaction et donc le recours au marché, s’avèrent trop coûteux. A la fin des années 1980, l’observation empirique du développement de partenariats et de coopérations interentreprises, amène Williamson à reconnaître un troisième mode de coordination, qualifié de « formes hybrides » entre marché et hiérarchie. La théorie est très connue et largement commentée, parfois critiquée, aussi nous ne reprendrons que les principaux éléments, susceptibles d’éclairer le choix de la franchise et la nature de cette relation.

Les hypothèses de la théorie des coûts de transactions. Le point de départ de la Théorie de Williamson est l’hypothèse de la rationalité limitée des individus au sens de March et Simon (1958)1 qui empêche la complétude des contrats dans un contexte d’incertitude. Il en résulte l’existence d’une marge de liberté des individus au sein de l’organisation et donc la possibilité de comportements opportunistes du fait de contradictions entre les intérêts individuels. Le choix d’une structure de gouvernement protectrice, réductrice des

comportements opportunistes est alors déterminant pour l’efficience d’un arrangement

institutionnel. Nous ne détaillons pas dans le texte les hypothèses liées aux comportements des individus et à l’environnement des transactions, très connus. Elles sont présentées, avec les définitions précises des termes utilisés par Williamson, dans le tableau ci-après.

Tableau 7. : Les principales hypothèses de la théorie des coûts de transaction

Hypothèses Définitions

Rationalité limitée

La capacité cognitive et les connaissances des individus sont bornés : limite neurophysiologique d’assimilation, de compréhension, de calcul, etc.

Une des conséquences est l’incomplétude des contrats : il n’est pas possible de traduire, dans un document, fut-il de plusieurs dizaines de pages, l’ensemble des obligations incombant aux parties dans une relation d’échange.1 De plus, dans une relation d’échange amenée à durer dans le temps, qui évolue dans un environnement par essence incertain (voir infra), il serait illusoire de croire pouvoir tout prévoir à un instant t.

L’asymétrie informationnelle

Le fait qu’une partie détienne une information et pas l’autre ; elle est source de comportements opportunistes ; par exemple, le franchiseur connaît son marché, ses évolutions bien mieux qu’un candidat franchisé. L’asymétrie informationnelle peut être réciproque, dans ce cas, il y a un double aléa moral.

Comportements opportunistes

L’opportunisme de l’individu est une hypothèse comportementale centrale de la pensée de Williamson. Il consiste à rechercher son intérêt personnel en recourant à la ruse ou à diverses formes de tricheries2.

Williamson, qui défend l’idée que l’opportunisme est potentiellement présent dans toutes les transactions, énonce « par opportunisme , j’entends la recherche d’intérêt personnel qui

comporte la notion de tromperie ». Plus loin il ajoute que ces comportements se

matérialisent par « la divulgation d’informations incomplètes ou dénaturées, par des efforts

calculés pour fourvoyer, dénaturer, déguiser, déconcerter ou semer la confusion lors de transactions commerciales »3.

On distingue l’opportunisme ex ante - avant la conclusion d’un contrat- appelé sélection adverse4, lorsqu’un contractant (le franchiseur par exemple) détient une information qui modifierait les termes du contrat si le partenaire (franchisé) en avait connaissance, et l’opportunisme ex post ou hasard moral qui intervient lors de l’exécution du contrat..

Incertitude de

l’environnement

L’environnement est turbulent et ne permet pas d’anticiper les facteurs qui influeront sur la relation d’échange après l’accord sur le contrat.

Les principales contributions de la théorie des coûts de transactions. Le choix de la

structure de gouvernance la plus appropriée dépend des attributs des transactions, définies comme « l’interface qui réalise le transfert des droits de propriété entre deux unités

1

Alors que la théorie classique des contrats posait comme hypothèse la possibilité de contrats complets, capables de délimiter soigneusement toutes les contingences futures.

2 Les économistes attribuent à l’opportunisme un sens proche de la malhonnêteté qui n’est pas toujours présente dans les dictionnaires de la langue française. Si Le Petit Robert (2001) énonce que l’opportunisme consiste à « tirer partie des circonstances, à les utiliser au mieux, en transigeant, au besoin, avec les principes », celle du Littré par exemple définit l’opportunisme comme une « conduite qui se conforme aux opportunités, aux circonstances» : l’idée de transiger avec les principes est absente.

3 Williamson O. E. (1994), Les institutions de l’économie, traduit de l’américain par Coeurderoy R. et Vincent E. sous la dir. de Ghertman M., InterEditions, Paris, pages 70 et 71.

technologiquement séparables » (Allam et Le Gall, 1999)1. Pour Williamson, trois attributs permettent de différencier les transactions : la spécificité des actifs, la fréquence des

transactions et l’incertitude sur les comportements.

La spécificité des actifs est de loin l’attribut le plus important dans la détermination des formes d’organisation efficaces. Il y a spécificité des actifs lorsque l’échange entre les parties suppose des investissements (matériels et immatériels) durables et difficilement réutilisables dans un autre cadre, parce qu’ils sont spécialisés, dédiés et qu’il n’existe pas de marché d’occasion2. En conséquence, la cessation de la coopération engendre un coût, celui de la perte de la valeur des actifs spécifiques qui auront sur le marché « une valeur qui est par

définition beaucoup plus faible que dans l’usage particulier pour lequel ils ont été prévus »

(Williamson, 1994 : 55).

Williamson démontre qu’un degré élevé de spécificité des actifs change radicalement la nature des relations entre les agents et crée un lien de dépendance durable entre eux, qui oblige à édicter des règles de contrôle de l’activité de son contractant et de partage des résultats de la coopération. Il en résulte une augmentation des coûts de sélection des partenaires (coûts de transaction ex ante) et de contrôle (coûts de transaction ex post) tels qu’ils justifient d’abandonner le cadre du marché et le mécanisme de coordination par les prix, chaque fois que les échanges sont fréquents au profit :

de la coordination par la hiérarchie : c’est l’intégration verticale avec des droits de propriété et de décision concentrés entre les mains d’un acteur, qui obtient un comportement adéquat, sans coûts de contrôle très élevés, grâce au lien de subordination permis par le contrat de travail. C’est ainsi que Williamson justifie l’existence de la firme ;

ou de la coordination contractuelle, si les parties veulent rester juridiquement indépendantes, sans lien de subordination et si le degré de spécificité des actifs est moyen. Le contrat entre les parties qui se sont choisies mutuellement permet alors de réduire l’incertitude liée aux comportements opportunistes, par un engagement durable des parties et des mécanismes de contrôle et d’incitation adéquats, tout en autorisant le partage des droits de décision et de la rente générée par la coopération3. C’est ainsi que Williamson explique les coopérations interentreprises qu’il qualifie de « formes

1 Allam D., Le Gall Ph. (1999), La nature de la relation franchiseur-franchisé. Evolution, perspectives et

incidences stratégiques, économiques et juridiques, Rapport d’étude, Fédération Française de la Franchise, Paris.

2 Williamson (1975, 1985) emploie le terme « redéployables » dans le cadre d’un autre échange. 3

Les économistes parlent de quasi-rente pour évoquer le surcroît de profit dégagé par des partenaires du fait de leur coopération. La quasi-rente est donc le différentiel de deux profits : celui qui aurait été dégagé sans la coopération, celui qui est dégagé grâce à la coopération.

hybrides entre marché et hiérarchie ». Dans la relation de franchise, le contrat ou plutôt les clauses de restrictions verticales qu’il contient, permettraient d’organiser la relation, de créer une relation d’autorité, de contrôler le comportement des franchisés , à un coût acceptable. Le tableau ci-après présente l’analyse du degré de spécificité des actifs dans la franchise.

Tableau 8. : La spécificité des actifs investis par les franchiseur et franchisé

Actifs spécifiques du franchisé Actifs spécifiques du franchiseur

Actifs physiques

Investissements dans le design architectural du PDV franchisé et le mobilier, qui participent aux signes de ralliement de clientèle de l’enseigne et ne pourront être maintenus dans le point de vente en cas de rupture de la relation (non redéployables) Outils de production sur le point de vente (pour un service), par exemple chambres froides et

terminaux de cuisson pour la restauration

Outil de production ou de stockage (par exemple entrepôts) à proximité des points de vente

Actifs de site

Investissements pour le choix et l’acquisition du fonds de commerce, le pas de porte par exemple

Coûts des études préalables d’implantation, des recherches d’informations locales en vue d’établir le Document pré-contractuel

d’information

Actifs dédiés

Investissements pour établir et faire évoluer le concept et le savoir-faire (qui doit être substantiel, original,

expérimenté dans des PDV pilotes)

Actifs humains

Effort de formation du franchisé pour comprendre et appliquer le concept et le savoir-faire du franchiseur

Coûts de formation des franchisés et de leurs salariés au concept et au savoir-faire à la signature du contrat et ensuite Ressources humaines dédiées au système de franchise (équipe d’animation, d’assistance…)

Actifs

immatériels de réputation

Réputation du point de vente

Participation aux actions de communication nationales, locales ou régionales

Notoriété et imaginaire lié à la marque ou l’enseigne auprès du consommateur Réputation du franchiseur quant à sa capacité de manager le réseau

La lecture du tableau ci-dessus permet de conclure à un degré moyen à élevé de spécificité des actifs dans la franchise. Dans un système où le design architectural est imposé au franchisé, du bâtiment à la décoration en passant par l’outil de production (chaînes de restauration rapide par exemple), les actifs ont un niveau très élevé de spécificité. En cas d’interruption de la relation, les actifs physiques ne peuvent guère être utilisés dans un autre cadre. En revanche, dans le cas d’un système de franchise de distribution de produits, les actifs physiques spécifiques peuvent être moins lourds et le fonds de commerce du franchisé pourra être utilisé dans un autre cadre, pour une autre activité.

Validations empiriques de la théorie des coûts de transaction. Le tableau ci-après présente

quelques travaux empiriques réalisés sur les mécanismes de choix de la franchise, qui valident le rôle de la spécificité des actifs et des coûts de transaction pour le choix organisationnel.

Tableau 9. : Quelques travaux empiriques réalisés sur les mécanismes de choix de la franchise, à partir de la théorie des coûts de transaction

Questions de recherche / Hypothèses testées Résultats / Critiques/ Remarques Spécificité des actifs : Plus les actifs sont spécifiques (et

donc peu redéployables), plus le franchiseur s’expose au risque de passager clandestin des franchisés ; d’où des choix d’arrangements organisationnels permettant un contrôle, une autorité (intégration ou clauses

contractuelles restrictives)

Hypothèse testée : Préférence pour l’intégration lorsque la valeur de la marque, principal actif spécifique du franchiseur, est élevée

Concernant la spécificité des actifs du franchisé, des études suggèrent de la mesurer par le niveau des investissements dans le PDV (Brickley et Dark, 1987 ; Brickley et al., 2002)

Vérifiée : le franchiseur possède d’autant plus d’unités intégrées que le « goodwill » liée à la marque est élevé (Minkler et Park, 1994)1

Indicateur critiqué : dans l’industrie hôtelière ou dans la restauration rapide, les investissements initiaux du franchisé sont très importants et pourtant il n’y a pas de perte de valeur en cas de vente, donc les actifs semblent aisément redéployables (Kaufmann et Lafontaine, 1994 ; Lafontaine et Slade, 2001)2

Augmentation des coûts de transaction : Toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des coûts de transaction liée à la franchise incite le franchiseur à intégrer verticalement

Hypothèse : une législation qui limite les possibilités de rupture du contrat de franchise augmente les coûts de transaction associés au fonctionnement de la franchise et donc favorise l’intégration

Vérifiée : pour une même chaîne, la proportion de magasins franchisés, aux USA, est significativement plus faible dans les Etats où la législation restreint la possibilité de rupture du contrat (Brickley, Dark et Weisbach, 1991)3

Les franchisés des Etats où la législation est plus dure paient des royalties plus chères (Brickley et al., 2002) mais connaissent des taux de ruptures plus importants, ce qui est paradoxal. Explication proposée : En cas de législation limitant les

possibilités de rupture, les franchiseurs sanctionnent par la rupture dès l’apparition des premiers

comportements opportunistes (Beales et Muris, 1995)4

(Sources : Pénard, Raynaud et Saussier, 2004 ; Nègre, 2004 et auteurs mentionnés dans le tableau)

1 Minkler A.P. et Park T.A. (1994), Asset Specificity and Vertical Integration in Franchising, Review of

Industrial Organization, 9, 409-423.

2 Kaufmann P. et Lafontaine F. (1994), Costs of Control ; the Source of Economic Rents for McDonald’s Franchisees, Journal of Law and Economics, XXXVII, 417-453.

3 Brickley J.A., Dark F.H. et Weisbach M.S. (1991), The Economic Effect of Franchise Termination Laws,

Journal of Law and Economics, XXXIV, 101-132.

4 Beales H. et Muris T.J. (1995), The Foundation of Franchise Regulation : Issues and Evidence, Journal of

1.2.1.3. Les apports et limites de la théorie des contrats pour la compréhension de la

Outline

Documents relatifs