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- Résumé du chapitre 2 -

Chapitre 3 - le positionnement épistémologique, les choix méthodologiques et la mise en oeuvre de la recherche

3.1. Une approche interprétative, une démarche abductive

3.1.1. Le rappel des paradigmes épistémologiques en sciences de gestion

Traditionnellement, trois approches de la réalité ou paradigmes, sont distingués dans les sciences de l’organisation (Girod-Séville et Perret, 1999 : 14 ; Allard-Poesi et Maréchal, 1999 : 40) : le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme.

L’approche dominante est le positivisme, dont le projet est d’expliquer la réalité perçue comme indépendante, extérieure au sujet et à l’objet. Le chercheur se concentre alors sur les faits, recherche les liens de causalité et les lois fondamentales, tente de réduire les phénomènes à leurs plus simples éléments et formule des hypothèses en vue de les tester (Usunier et al., 2000 : 37). La démarche de recherche associée est la démarche

1 Girod-Séville M. et Perret V. (1999), Fondements épistémologiques de la recherche, in Thiétart R.-A. (éd.),

Méthodes de recherche en management, Paris, Dunod, chapitre 1, page 13.

2 Usunier J.-C., Easterby-Smith M. et Thorpe R. (2000), Introduction à la recherche en gestion, Economica, collection gestion, page 100.

déductive qui répond à une logique de déduction : le chercheur formule des hypothèses a

priori, issues de l’accumulation des connaissances précédentes exposées dans la littérature ou

révélées lors d’observations sur le terrain (on parle alors de propositions) et après avoir opérationalisé les concepts identifiés pour les rendre opératoires, teste les hypothèses formulées a priori pour les valider ou les réfuter. La figure ci-dessous expose le détail de la démarche hypothético-déductive qui se déroule en deux phases séquentielles : la phase de formulation des hypothèses, celle de test.

Figure 11. : La démarche hypothético-déductive

Revue de littérature Formulation d’hypothèses de recherche Observations sur le terrain Formulation de propositions de recherche Formulation de conjectures Elaboration de concepts opératoires

et/out

Test des hypothèses, propositions ou conjectures Phase d’élaboration du construit Phase de test Point de non-retour Méthodes quantitatives ex questionnaire Méthodes qualitatives ex : Etude de cas

Validation ou infirmation des hypothèses, propositions ou

conjectures

Les deux autres approches de la réalité, que certains réunissent sous le terme de position phénoménologique (Usunier et al., 2000) sont le constructivisme et l’interprétativisme. Elles ont en commun d’abandonner la croyance d’un possible accès objectif au réel (Wacheux, 1996)1 et de considérer que le monde et la réalité ne sont pas extérieurs et indépendants du sujet et de l’objet mais socialement construits et subjectifs, qu’ils sont le produit d’une construction à laquelle les gens attribuent du sens (Husserl, 1946, cité par Usunier et al., 2000 : 32). Le monde social est fait d’interprétations construites grâce aux interactions entre acteurs, dans des contextes toujours particuliers (Girod-Séville et Perret, 1999 : 19). Le rôle du chercheur n’est pas alors d’expliquer La vérité unique et objective, en s’en tenant aux faits mais de mettre en lumière le sens, les différentes constructions et significations que les gens attribuent à leur expérience (Usunier et al., 2000 : 33).

Les approches interprétativiste et constructiviste différent toutefois sur leurs projets de recherche. Dans l’approche constructiviste, la plus audacieuse, le chercheur a pour objectif de construire et de donner à voir une réalité qu’il élabore, à partir des observations de situations dans leur totalité. Il a l’ambition de construire de la connaissance avec des visées transformatrices (Allard-poesi et Maréchal, 1999 : 45). Il va contribuer à construire, avec les acteurs, la réalité sociale (Girod-Séville et Perret, 1999 : 21).

L’approche interprétative, encore appelée compréhensive, est plus modeste. Elle est d’ailleurs appréhendée comme une position intermédiaire entre les deux autres paradigmes d’où le qualificatif de constructivisme modéré (Girod-Séville et Perret, 1999 : 14) quand elle n’est pas considérée comme une variante de la phénoménologie (Usunier et al., 2000 : 33). Dans l’approche interprétative, le chercheur a pour objectif de « comprendre un phénomène de l’intérieur pour tenter d’appréhender les significations que les gens attachent à la réalité sociale, leurs motivations et intentions.» (Allard-poesi et Maréchal, 1999 : 34).

En termes de méthodologie pour accéder au réel, les approches phénoménologiques concentrées sur le sens permettent d’accepter et de défendre des méthodes variées. La déduction n’est pas exclue a priori. Mais les méthodes qui permettent de comprendre en profondeur sont privilégiées et notamment les méthodes qualitatives qui laissent une large place au discours des acteurs, à la formulation, aux analogies ou métaphores. Surtout, le chercheur n’est pas contraint de suivre, comme dans une démarche hypothético-déductive, un

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cadre de recherche figé en amont de l’étude empirique et immuable. Au contraire, l’objet même de la recherche (appréhender un phénomène selon le prisme des acteurs) suppose qu’il s’élabore au fur et à mesure que la compréhension se développe (Allard-poesi et Maréchal, 1999 : 43). Nous constatons cependant que cet élément n’est pas toujours pris en considération dans les recherches publiées, du fait des exigences des revues académiques, américaines notamment, qui incitent les auteurs à donner le sentiment d’une structuration a

priori de l’objet, comme dans une approche positiviste (Allard-poesi et Maréchal, 1999 : 44).

De ce fait, l’approche phénoménologique repose souvent sur une démarche abductive, qui autorise des aller-retours, tout au long de la recherche, entre l’étude empirique, l’observation sur le terrain et les théories pouvant être mobilisées afin de « donner à voir » ou représenter de manière intelligible le phénomène étudié, l’éclairer, l’interpréter ou le modéliser. La démarche abductive est parfois qualifiée de logique « inductive aménagée ». Ce terme est affilié à celui d’induction définit comme « un processus de production de connaissances qui part des réalités empiriques pour formuler des représentations » (Wacheux, 1996 : 264) ou comme un raisonnement par lequel on passe directement du particulier au général, des faits aux lois, des effets à la cause et des conséquences aux principes (Charreire et Durieux, 1999)1. Au contraire, la déduction est un processus positiviste de construction de la connaissance où il y a théorisation a priori puis vérification par l’expérience dans le réel (Wacheux, 1996 : 263). Le schéma ci-après, adapté de Chalmers (1987)2 illustre ces deux modes de raisonnement pour produire de la connaissance scientifique.

1 Charreire S. et Durieux F. (1999), Explorer et tester, in Thiétart R.-A. (éd.), Méthodes de recherche en

management, Paris, Dunod, chapitre 3, page 60.

2

Figure 12. : Les modes de raisonnement et connaissance scientifique

(Source : adapté de Chalmers, 1987 : 28)

Figure 13 : La démarche inductive pure

Lois et théories universelles

Conceptualisations (hypothèses, modèles, théories)

Faits établis par l’observation Explications et prédictions Démarche abductive Démarche hypothético -déductive Logique déductive u Logique inductive

Définition d’un champ, d’un objet et d’un thème de recherche

Etude empirique Observations

Représentation intelligible du phénomène étudié, interprétation t

Eventuellement : formulation de lois et théories universelles a

La démarche inductive pure n’est guère utilisée dans les recherches en sciences des organisations, d’une part parce que l’objectif n’est pas de produire des lois universelles mais plutôt de proposer de nouvelles conceptualisations théoriques, valides et robustes, rigoureusement élaborées (Charreire et Durieux, 1999 : 40), d’autre part parce qu’il n’est ni réaliste ni souhaitable que le chercheur travaille selon une logique de « table rase ». Le chercheur ne peut faire abstraction de ses connaissances antérieures. Il risquerait, dans une approche inductive pure, sans référence aux théories et connaissances accumulées, de produire des connaissances déjà largement diffusées. C’est pourquoi la démarche abductive est privilégiée. Elle laisse une large place à l’induction sans se priver de la connaissance accumulée pour éclairer et interpréter les observations empiriques. Parmi les nombreuses définitions de la démarche abductive, nous retiendrons celle de David (2003)1 : « L’abduction est le raisonnement que l’on tient lorsqu’il s’agit d’interpréter ce que l’on observe, donc de faire coïncider des faits mis en forme et des théories de différents niveaux de généralités». Charreire et Durieux sont plus précises quant à l’articulation entre observations empiriques et connaissances théoriques (1999 : 69) : « L’exploration hybride consiste à procéder par allers-retours entre des observations et des connaissances théoriques tout au long de la recherche. Le chercheur a initialement mobilisé des concepts et intégré la littérature concernant son objet de recherche. Il va s’appuyer sur cette connaissance pour donner du sens à ses observations empiriques en procédant par allers-retours fréquents entre le matériau empirique recueilli et la théorie. La démarche est abductive dans ce cas. ».

Cette dernière définition met l’accent sur deux points :

 La démarche inductive est particulièrement adaptée lorsque l’objectif de la recherche

est l’exploration ;

 Dans la démarche abductive, la construction de connaissances passe par la nourriture

du terrain avec les concepts et théories. Elle permet l’accumulation de connaissances nouvelles.

1 David A. (2003), Etudes de cas et généralisation scientifique en sciences de gestion, Revue Sciences de

Figure 14. : La démarche abductive (logique inductive aménagée)

Notons que dans une démarche abductive, si le champ de la recherche, l’objet et le thème sont définis a priori, les résultats ne sont pas connus au début de la recherche et vont se construire au fur et à mesure de la recherche. Le tableau ci-après résume les caractéristiques des principaux modes de raisonnement.

Définition d’un champ, d’un objet et d’un thème

de recherche Revue de littérature Recherches de théories et de concepts clés, (dans le champ de recherche et en dehors) Etude empirique Observations Ex : étude de cas, recherche-intervention... Interprétation, Modélisation, Représentation intelligible du phénomène étudié Conceptualisation, faire coïncider des faits mis en

forme et des théories de différents niveaux de

généralité

Voies de recherche futures

Eventuellement généralisation

Tableau 20. : Les caractéristiques des principaux modes de raisonnement

Modes de raisonnement

Déductif Inductif Abductif

Caractéristiques

Démarche hypothético-déductive : on confronte les hypothèses élaborées à la réalité étudiée.

Sur la base de l’observation de phénomènes particuliers et sans préjuger des faits, on élabore des lois et théories universelles.

Sur la base de l’observation de phénomènes particuliers et en mobilisant un cadre conceptuel existant, le chercheur propose des explications qu’il conviendra par la suite de tester et discuter.

(Sources : Lepers, 2003 page 170 à partir de Charreire et Durieux, 1999)

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