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Chapitre 1 - Les fondements théoriques de la relation de franchise

1.3. La franchise et le triptyque « pouvoir-conflits-satisfaction » : état des connaissances

1.3.1. L’état de l’art sur les conflits entre un franchiseur et ses franchisés

L’interdépendance porte en elle-même un potentiel conflictuel, c’est pourquoi les conflits ne sont pas rares entre partenaires d’une relation commerciale verticale (Angelmar, 1992)1. Ils seraient particulièrement importants dans la franchise. L’idée est largement partagée que le conflit est inhérent aux réseaux de franchise (Combs, Michael et Castrogiovanni, 2004), notamment en raison du pouvoir considérable du franchiseur qui contrôle le système de franchise et en raison sa « centralité » dans le réseau (Parsa, 1999)2. De plus, les conflits seraient croissants avec le temps (Hoy, 1994).

1.3.1.1. Les définitions du conflit

De multiples définitions du conflit sont disponibles. Le concept semble élastique, polysémique (Fréchet, 2002)3. Ce dernier retient la définition suivante « un désaccord qui se manifeste par des actes de nature à empêcher l’autre partie d’atteindre ses objectifs » et souligne que le conflit comprend trois éléments :

1 Angelmar R. (1992), Les conflits dans les canaux de distribution, in Helfer J.-P., Orsoni J. (eds.), Encyclopédie

du Management, Vuibert, tome 1, 285-298.

2

Parsa H.G. (1999), Interaction of Strategy Implementation and Power Perceptions in Franchise Systems : An Empirical Investigation, Journal of Business Research, 45, 173-185. La centralité est une autre formulation du rôle de pivot du franchiseur (réseau « star ») évoqué en introduction.

3 Fréchet M. (2002), Les conflits dans les partenariats d’innovation, Thèse de doctorat ès Sciences de Gestion, Université de Toulouse 1, pages 5 et 39.

Un élément psychologique : le désaccord ;

Un élément matériel : des actes qui tendent à empêcher l’autre d’atteindre ses objectifs ;

Un certain niveau de gravité.

En conséquence le conflit suppose un désaccord important ou encore des intérêts divergents (Spekman et al, 1998)1 qui se traduisent dans des décisions opérationnelles (les actes) et entraînent des conséquences néfastes pour le partenaire. Soulignons que l’appréciation du caractère néfaste pour le partenaire relève d’une conception objective ou subjective (Angelmar, 1992), selon la perspective adoptée pour constater la présence d’un conflit :

Si l’observateur est neutre, le conflit est « objectif » ou « latent » (conception objective) ;

Si ce sont les firmes du canal qui constatent le conflit, celui-ci est un conflit « subjectif », « perçu » et « manifeste » (conception subjective).

Ainsi, dans la conception subjective, le conflit peut résulter de l’appréciation individuelle d’un acteur : ses intérêts lui semblent être contrariés par les actes de son partenaire. Un franchisé peut considérer par exemple que les visites fréquentes de l’animateur régional constituent une intrusion qui porte atteinte à son autonomie de commerçant indépendant, alors qu’un autre franchisé jugera ces visites bénéfiques car elles lui permettent d’accélérer son apprentissage. Le caractère subjectif du conflit n’est guère pris en compte dans les études empiriques sur la franchise, qui considèrent généralement les franchisés, comme un groupe homogène.

Nous exposons les principaux objets de conflit entre franchiseur et ses franchisés (1.3.1.2.) puis les modes de résolution identifiés dans la littérature (1.3.1.3.).

1.3.1.2. Les objets de conflits entre un franchiseur et ses franchisés

Entre partenaires d’une relation commerciale verticale, les conflits portent principalement sur quatre objets (Angelmar, 1992) :

La stratégie des membres du canal : conflits sur le portefeuille produits/ marchés entre firmes d’un même canal, conflits sur les objectifs à poursuivre, la différenciation par l’image ou le prix ;

La coordination des activités de contrôle ;

Les atteintes à l’autonomie et le style de gestion du leader du canal ;

1 Spekman R.E., Forbes T.M., Isabella L.A. et MacAvoy T.C. (1998), Alliance Management : a View from the Past and a Look to the Future, Journal of Management Studies, 35(6), 747-772.

La répartition des bénéfices : si d’un coté, plus la qualité de la coopération est grande, plus la performance et les bénéfices du canal sont élevés, en même temps, la répartition des bénéfices entre les partenaires les place en situation de conflit pur : ce que l’un gagne, l’autre le perd, d’où les questions de partage de la rente.

Les quatre même objets de conflit ont été identifiés dans la franchise. Parmi les conflits qui résultent d’objectifs divergents entre des membres du réseau figure en bonne place la

stratégie de croissance quantitative des franchiseurs1 : l’introduction de nouveaux points de vente peut entraîner une baisse de chiffre d’affaires des franchisés existants , une cannibalisation des ventes (Zeller, Achabal et Brown, 1980 ; Kaufmann et Ragan , 1990 ; Kalnins, 2004)2 qui vient contrarier les objectifs de croissance des franchisés. Ce phénomène connu sous le nom d’encroachment3 justifie la définition de zones d’exclusivité territoriale pour les franchisés. Dans leur modèle de décision, qui inclut les aspects territoriaux et le management de la relation de franchise, Kaufmann et Ragan (1990) proposent des solutions pour compenser la cannibalisation des ventes des points de vente existants lors de l’ouverture d’un nouveau magasin : elles consistent à augmenter la visibilité de l’enseigne par des efforts de communication dans le but d’accroître les flux de clientèle de l’enseigne. Ils suggèrent d’inclure dans le modèle de décision d’ouverture d’un nouveau point de vente :

Les coûts de management des conflits c’est-à-dire le budget communication nécessaire pour compenser la baisse des ventes ;

Le risque de réputation.

Dans une autre recherche, Kalnins (2004) observe qu’il y a plus de cannibalisation des ventes dans les réseaux franchisés que dans les réseaux succursalistes, car les franchiseurs ont intérêt à ajouter de nouvelles unités tant que le chiffre d’affaires additionnel est supérieur au chiffre d’affaires perdu dans les unités existantes, alors qu’un réseau intégré n’ajoutera une nouvelle unité que dans le cas d’un espoir de profit supérieur. Autrement dit le modèle de développement et le phénomène d’encroachment, sont liés à la franchise et à l’antagonisme entre les intérêts du franchiseur et ceux de ses franchisés.

Le positionnement de l’offre des réseaux franchisés fait parfois aussi l’objet de discussion. Lafontaine (1995) a observé par exemple que dans l’industrie de la restauration, les chaînes franchisées ont un rapport qualité-prix moindre que dans les réseaux intégrés.

1 Certains considère cette question comme la plus explosive aujourd’hui dans le monde de la franchise (Sheridan et Gillespie, 1995 : 64)

2 Zeller R.E., Achabal D.D., Brown L.A. (1980), Market Penetration and Locational Conflict in Franchise Systems, Decision Sciences, 11, 58-80 ; Kalnins A. (2004), An Empirical Analysis of Territorial Encroachment Within Franchised and Company-Owned Branded Chains, Marketing Science, 23(4), 476-489.

3

Une deuxième question source de conflits est liée au rôle des partenaires dans les décisions

et à la répartition particulière du risque au sein d’un système de franchise. La stratégie

du réseau est décidée par le franchiseur mais le financement du point de vente et le risque d’exploitation incombe au franchisé. L’entrepreneur classique au sens de Schumpeter prend un risque important au démarrage de son activité, avec l’espoir d’en retirer des profits conséquents et croissants au cours du temps. Le profit est interprété comme la rémunération de la prise de risque initiale. Dans la franchise, le franchisé achète, en entrant dans un système de franchise, une « assurance risque » : il accepte de payer un droit d’entrée et plus généralement de partager son profit avec le franchiseur par le mécanisme des redevances, pour avoir accès à un système de réussite éprouvé et à un accélérateur de connaissances (transfert de savoir-faire et assistance). Les conflits seraient expliqués par un risque entrepreneurial croissant du franchisé au cours du temps, du fait de la répartition des rôles entre franchisé et franchiseur : les profits futurs du franchisé pourraient être tronqués si le franchiseur n’assure pas correctement l’adaptation du concept aux évolutions du marché ou encore s’il l’empêche, par des clauses contractuelles trop restrictives, d’adapter son offre à la demande locale (Bennaghmouch et al., 2003). Le profit futur et plus généralement l’activité du franchisé dépend des actions futures du franchiseur, qu’il ne maîtrise pas lorsqu’il s’engage dans la relation. Les conflits se révèlent par exemple lors des changements de concepts nécessitant des investissements financiers chez les franchisés. L’objectif de standardisation du franchiseur impose une diffusion du concept qui peut venir contrarier les projets des franchisés. Certains sont tentés de ne pas investir (Caves et Murphy, 1976 ; Rubin, 1978) ou de retarder leurs investissements et sont alors considérés comme des passagers clandestins par le reste du réseau.

Enfin le partage équitable du profit dégagé par la coopération est une autre question délicate, du fait du mécanisme de rémunération des franchiseurs par les franchisés (Caves et Murphy, 1976). Les revenus du franchiseur sont dépendants de l’activité des franchisés. Ils se composent de la marge commerciale sur les produits vendus, des droits d’entrée versés par les nouveaux franchisés qui rémunèrent l’accès au système de réussite mis au point par le franchiseur et d’une redevance mensuelle, généralement calculée en pourcentage du chiffre d’affaires des points de vente franchisés. Des conflits peuvent résulter de modifications décidées unilatéralement par le franchiseur de ces éléments ou du sentiment d’un partage inéquitable de la rente.

1.3.1.3. Les modes de résolution des conflits.

Implicitement, le conflit est considéré comme néfaste, parce qu’il provoque des ralentissements, des blocages, voire la disparition de la relation partenariale (Fréchet, 2002 : 39). La littérature identifie plusieurs stratégies de modes de résolutions de conflits ou de situations difficiles qui s’appliquent aussi bien aux conflits de personnes qu’aux conflits interorganisationnels. Hirschman (1970)1 distinguait trois stratégies :

La rupture de la relation (exit) ;

La négociation avec intention d’améliorer la situation (voice). Hagedoorn et al.

(2000)2, après une étude sur les relations employeur-employés, distinguent deux voies dans le choix de la négociation : la première consiste à prendre en compte les préoccupations de chacun, c’est le dialogue constructif (a considerate voice), la seconde consiste à vouloir gagner en imposant sa position sans prendre véritablement en considération les préoccupations de l’autre (an agressive voice strategy). D’autres auteurs (Mohr et Spekman, 1994)3 parlent de domination pour qualifier cette stratégie ;

Le loyalisme (loyalty) qui consiste à poursuivre la relation sans manifester son mécontentement4. Angelmar (1992 : 296) précise qu’elle peut prendre la forme de la

négligence, si l’enjeu est faible ou si le coût d’une autre méthode est trop élevé par

rapport aux bénéfices attendus ou de l’accommodation, quand une partie est prête à faire des concessions sur un problème mineur, pour maintenir de bonnes relations. Une quatrième stratégie consiste à laisser passivement la relation se dégrader, éventuellement en exerçant des pressions économiques ou psychologiques. Elle peut être qualifiée d’attente ou d’attente hostile. Cette solution est préconisée lorsque le partenaire n’entend pas négocier mais souhaite éviter l’affrontement de la rupture. Elle n’est pas rare en matière de franchise lorsqu’un conflit intervient entre franchisé et franchiseur : la rupture n’est pas souvent possible en cours de contrat à durée déterminée, car elle expose la partie qui rompt prématurément à une action judiciaire5. Le franchiseur qui ne souhaite pas négocier est donc contraint d’attendre le terme du contrat pour rompre la relation, par non-renouvellement

1

Hirschman A. O. (1970), Exit, Voice and Loyalty : Response to Decline in Firms, Organizations and States, Cambridge, MA, Harvard University Press.

2 Hagedoorn M., Zweers M., Postma S. (2000), Injustice and Employees’ Destructive Response : The Mediating Role of State Negative Affect, Social Justice Research, 13 (3), 291-312.

3

Mohr J. et Spekman R. (1994), Characteristics of Partnership Success : Partnership Attributes, Communication Behaviour, and Conflict Resolution Techniques, Strategic Management Review, 15, 135-152.

4 A distinguer de la loyauté, norme relationnelle qui diminue le risque de frustration et de conflit.

5 Les actions en justice sont longues et coûteuses. Aussi ne sont-elles exercées qu’en cas de manquement grave comme le non-respect d’une clause contractuelle.

du contrat. La solution est alors l’attente, souvent assortie de pressions et de la dégradation progressive de la qualité relationnelle. L’attente, qui peut durer plusieurs années aboutit alors soit à la rupture de la relation, soit à un compromis.

Enfin, une dernière stratégie de résolution de conflit est identifiée : le recours à une tierce

personne extérieure au conflit, qui peut être un arbitre privé ou un médiateur. L’arbitrage

généralement prévu au contrat est un mécanisme de résolution de conflit ex-ante, particulièrement efficace puisque la décision s’impose aux parties, au contraire de la médiation, qui fait appel à des médiateurs désignés après l’apparition du conflit, qui n’ont pas le pouvoir d’imposer une solution aux parties. A titre illustratif, la FFF propose un service de médiation depuis les années 1990, qui examine environ 5 litiges entre franchiseurs et franchisés par an.

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