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Chapitre 1 - Les fondements théoriques de la relation de franchise

1.3. La franchise et le triptyque « pouvoir-conflits-satisfaction » : état des connaissances

1.3.3. L’état de l’art sur le pouvoir dans la franchise

1.3.3.2. Les sources du pouvoir et du contrepouvoir dans la franchise

La typologie de French et Raven (1959) a identifié cinq sources de pouvoir : la récompense, la sanction, l’expertise, la valeur de référence (et identification) et la légitimité. Une sixième source de pouvoir a ensuite été mise en évidence : l’information (Raven et Kruglanski, 1970 ; Crozier et Friedberg, 1977)1. Cette dernière source aurait pu être classée dans l’expertise : la connaissance du marché par exemple fait partie du savoir-faire du franchiseur. D’une manière générale, l’information peut être classée dans l’expertise (expertise informationnelle). Nous choisissons de l’isoler toutefois, en raison de l’importance croissante de la maîtrise de l’information. Les théoriciens béhavioristes, spécialistes des canaux de distribution ont ensuite classé ces sources en différents sous-groupes, selon deux critères d’analyse : la nature économique de la source de pouvoir (Etgar, 1978 ; Lusch et Brown, 1982)2 et le caractère coercitif ou non-coercitif de la source de pouvoir (Hunt et Nevin, 1974). Cette deuxième distinction a été reprise par Gaski (1984) pour expliquer le lien entre pouvoir, satisfaction et conflit. Le pouvoir coercitif consiste à user de sanctions, c’est-à-dire à dégrader une situation initiale, dans le but de créer et maintenir un comportement conforme à ce qui est souhaité3 chez un partenaire et assurer ainsi la performance du système. Gaski (1984) montre que l’exercice du pouvoir coercitif diminue la satisfaction des membres du réseau et augmente le potentiel conflictuel. Au contraire, l’usage de pouvoirs non-coercitifs permettrait d’accroître la satisfaction des franchisés et de minimiser les conflits.

Le tableau 12 ci-après présente les définitions des six sources de pouvoir, les sources du pouvoir du franchiseur, ainsi que les sources de contrepouvoir des franchisés.

1 Raven B. H. et Kruglanski A. W. (1970), Conflict and Power, in Swingle P., Ed., The Structure of Conflict, Academic Press, 69-109.

2 Etgar M. (1978), Intrachannel Conflict and Use of Power, Journal of Marketing, XV, 273-274; Lusch R.F., Brown J.R. (1982), A Modified Model of Power in the Marketing Channel, Journal of Marketing Research, XIX, 312-323.

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La première source de pouvoir dans la relation de franchise est la légitimité du franchiseur. Ce dernier, créateur ou repreneur du réseau, est détenteur des droits de décision concernant la stratégie, l’ouverture de nouveaux points de vente, la répartition entre points de vente intégrés et points de vente franchisés, le recrutement de franchisés, etc. Il est propriétaire de la marque enseigne dont il défend les intérêts pour le bénéfice de l’ensemble des points de vente. Ces prérogatives sont définies par contrat qui arrête les principales modalités de la coopération sur longue durée. L’accord de volonté exprimé par le franchisé pour entrer ou rester dans le réseau constitue une délégation de pouvoir ou autorité et confère au franchiseur sa légitimité. Celle-ci est renforcée lorsque le poids relatif du franchiseur sur son marché est important, sa notoriété élevée et son image de marque positive auprès des consommateurs (valeur de référence du franchiseur).

L’expertise du franchiseur, constituée du savoir-faire substantiel et expérimenté, renforce sa légitimité. Elle est une ressource qui explique l’engagement du partenaire. Elle peut être comparée à l’expertise du franchisé qui résulte de ses qualités de gestionnaire d’un point de vente mais aussi de la connaissance de son marché local, complétée par son insertion dans le réseau social local (ressource relationnelle). L’expertise du franchisé détermine sa capacité à communiquer au plan local et à satisfaire la clientèle.

Dans son étude sur le degré de centralisation de la prise de décision dans les réseaux de franchise, Windsperger (2004)1, faisant référence à la théorie des droits de propriété, explique le fort pouvoir de négociation du franchiseur par le différentiel de spécificité des savoir-faire des franchiseurs et franchisés. Il montre que lorsque le savoir-faire du franchiseur est très spécifique, avec une composante tacite élevée, nécessitant de nombreux jours de formation des franchisés, alors que le savoir-faire local du franchisé est faible, alors les décisions sont très centralisées entre les mains du franchiseur. Au contraire, lorsque le savoir-faire spécifique des franchisés est élevé, en raison des conditions du marché local2 et que les coûts de transfert de ce savoir-faire spécifique est élevé, alors les franchisés disposent d’un fort pouvoir de négociation. Le degré de centralisation du pouvoir de décision entre les mains du franchiseur dépendrait en conséquence de la distribution des savoir-faire spécifiques et intangibles entre les partenaires franchiseur et franchisés et de leurs coûts de transfert. L’auteur ajoute un élément relatif à la nature du secteur d’activité, produits ou services. Il avance l’idée selon

1 Windsperger J. (2004), Centralization of Franchising Networks : Evidence from the Austrian Franchise Sector,

Journal of Business Research, 57, 1361-1369.

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laquelle le degré de spécificités du savoir-faire des franchiseurs de franchise de produits serait supérieur à celui des franchisés. Il devrait en résulter un degré de centralisation des décisions plus élevé dans les franchises de produits que dans les franchises de services.

Tableau 12. : Les sources de pouvoir et de contrepouvoir dans le système de franchise

Les sources du pouvoir

Définitions (auteurs) Manifestation du pouvoir du franchiseur

Manifestation du contrepouvoir du franchisé

La légitimité Encouragement positif de la part de A vers B pour assurer un certain dénouement qui dépend de B

Contrat (répartition des tâches et de la quasi-rente)

Droits de décision dans le réseau (créateur du réseau)

Propriété de la marque/ du concept

Contrat (garanties : exclusivité territoriale, durée de la relation etc.)

Propriété des fonds ou emplacements des PDV L’expertise Possession de compétences spécifiques ou spécialisations fonctionnelles difficilement remplaçables (Filser, 1989)1 Savoir-faire substantiel, expérimenté dans PDV pilotes ou succursales (marketing, logistique…) : métier, processus, connaissances et aptitudes

Connaissance des marchés locaux

Introduction dans le réseau social local (ressource relationnelle)

Idées pour faire évoluer le concept (proximité terrain)

La récompense Dégradation de la situation initiale

Promesse d’attribution d’un autre PDV

Récompense symbolique

Participation active aux décisions du réseau ou à l’encadrement (commissions consultatives, parrainage) La sanction Autorité issue de la loi

ou d’un contrat (accord de volonté)

Prestige de l’institution Croyance dans le droit légitime d’influencer

Rupture du contrat en cours

Non renouvellement du contrat à échéance

Redéfinition du périmètre d’exclusivité

Achats en dehors du réseau

Non-renouvellementt du contrat à échéance

Action judiciaire en vue de la nullité du contrat et/ ou dommages et intérêts Capacité de nuire à la réputation du franchiseur La valeur de référence Désir d’identification (plaisir, fierté d’appartenance) Poids économique du réseau/concurrents

Image de marque et notoriété L’information et la maîtrise des relations avec l’environneme nt Pouvoir de mieux maîtriser les incertitudes devant affecter l’organisation (Crozier et Friedberg, 1977) Connaissance du marché global (asymétrie informationnelle) et des rouages de la franchise

Contrôle des chiffres du réseau (par magasins et consolidés)

Capacité à retenir des informations sur le marché local

Réticence à transmettre les chiffres clés du point de vente

(Sources : d’après French et Raven, 1959 ; Raven et Kruglanski, 1970 et autres auteurs cités entre parenthèses)

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Par ailleurs, le contrat accorde au franchisé un certain nombre de prérogatives, pouvant constituer un contrepouvoir. La littérature énonce que le contrat, normatif, constitue une garantie pour le partenaire « faible », car très dépendant et notamment lorsque cette dépendance est asymétrique (Lusch et Brown, 1982). Par exemple, un franchisé qui bénéficie d’une clause d’exclusivité territoriale pour une zone géographique donnée, peut contraindre le franchiseur qui acquiert des points de vente concurrents, à lui laisser la priorité de reprise des points de vente présents sur son territoire d’exclusivité. La durée du contrat est une autre garantie pour le franchisé. Par ailleurs, la propriété des points de vente ou des fonds de commerce confère aux franchisés un contrepouvoir. En effet, les emplacements pour les points de vente deviennent rares, leurs coûts d’accès sont élevés (pas de porte) notamment pour les mieux situés. Il est des cas dans lesquels l’attachement du consommateur au point de vente ou au franchisé est supérieur à son attachement à la marque-enseigne. Le franchisé dispose alors d’un contrepouvoir dans la mesure où il peut aisément poursuivre son activité en dehors de la relation.

La récompense est également une source de pouvoir pour le franchiseur. Elle peut prendre plusieurs formes comme par exemple :

L’attribution de nouveaux points de vente. L’espoir de se voir attribuer un deuxième puis un troisième point de vente constitue une forte incitation pour le franchisé. A ce titre, la multifranchise qui consiste à attribuer des points de vente nouveaux, en création ou en vente à des franchisés déjà dans le réseau, peut être considéré comme une récompense pour ces derniers. C’est un argument fréquemment utilisé par les franchiseurs lors du recrutement des candidats à la franchise. Bercovitz (2001) a montré que le nombre de conflits et de rupture du contrat est négativement lié à la possibilité pour le franchisé d’obtenir plusieurs unités dans le même réseau. Elle en conclut que l’accès à des rentes, par l’attribution de nouveaux points de vente est effectivement un moyen d’influencer les comportements des franchisés. Notons toutefois avec Watson, Stanworth et Holden (2007)1 que les motivations pour la multifranchise et la multifranchise en général restent peu explorées en recherche, probablement parce que la littérature existante suppose que les franchisés, homogènes, ne sont propriétaires que d’un seul point de vente ;

La participation active aux décisions du réseau ou à l’encadrement, sous la forme de parrainage des nouveaux franchisés par les anciens ou d’une participation aux décisions

1 Watson A., Stanworth J., Holden R. (2007), Multi-Outlet Franchising-Implications for Theory and Practice,

21th Annual International Society of Franchising Conference, Las Vegas, USA, 24-25 février, 22 pages. Les

auteurs soulignent des différences sectorielles et géographiques importantes concernant la multifranchise et appellent des recherches futures sur le sujet.

du réseau, toujours valorisante pour les franchisés, par l’intermédiaire des commissions thématiques ou comités d’enseigne ;

Les récompenses symboliques. Elles consistent en la reconnaissance officielle et publique de la compétence et du mérite d’un franchisé. Elles renforcent la fierté d’appartenance et le désir d’identification au réseau.

La sanction consiste en une dégradation de la situation initiale. Elle constitue une source de pouvoir dans la mesure où elle décourage certains comportements (non-respect du concept, sous-investissement, non-paiement des redevances etc.) et en impose d’autres. Pour le franchiseur, elle peut consister à :

Rompre un contrat en cours ou ne pas le renouveler à son terme ;

Réduire le territoire d’exclusivité du franchisé, lorsqu’il n’exploite pas suffisamment sa zone de chalandise.

Pour le franchisé, la sanction peut consister à :

Mener une action judiciaire en vue d’obtenir la nullité du contrat et/ou des dommages en cas d’insuffisance de savoir-faire ou de manquement à l’obligation d’information pré-contractuelle ;

Ne pas renouveler le contrat à l’échéance ;

Accroître ses achats en dehors du réseau, même en cas de clause d’approvisionnement partiel ou total ;

Nuire à la réputation du franchiseur, notamment lorsqu’ils sont interrogés par les candidats à la franchise. La réputation d’un franchiseur est la perception des observateurs ou acteurs (par exemple un candidat à la franchise) sur les intentions et normes de

comportements du franchiseur1, sur sa capacité à remplir son rôle de franchiseur. La notion tient compte d’une appréciation sur le comportement du franchiseur au regard de la prise en compte de l’intérêt mutuel, de la justice organisationnelle et de l’équité pour le partage de la rente2. Klein (1995)3 énonce que la réputation de l’enseigne crée un pouvoir

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La réputation est un concept subtil et complexe ; peu d’auteurs la définissent. Le Petit Robert propose : « 1) le fait d’être honorablement connu du point de vue moral ; 2) le fait d’être célèbre, d’être avantageusement connu pour savaleur. » Les définitions proposées ici intègrent les analyses deResnick et al. (2000), Mui et al. (2002). Resnick P., Zeckhauser R., Friedman E., et Kuwabara K. (2000), Reputation Systems, Communications of ACM, 43(12), 45-58; Mui L., Halberstadt A., Mohtashemi M. (2002), Notions of Reputation in Multi-Agent Systems : A Review, in Proceedings of the First Joint International Conference on Autonomous Agents and

Multi-Agent Systems.

2 Ces concepts sont définis infra. 3

des franchisés en termes de prix, car le franchiseur est obligé de payer aux franchisés une quasi-rente, qui aligne les intérêts des franchiseurs et des franchisés.

Enfin, le pouvoir lié à l’information résulte pour le franchiseur de sa connaissance approfondie des rouages de la franchise et du marché dans lequel intervient le système de franchise. Il bénéficie d’une asymétrie informationnelle : outre les données sur son marché, qu’il peut transmettre aux franchisés, il collecte et contrôle les chiffres d’affaires de l’ensemble des points de vente du réseau. Le contrepouvoir du franchisé peut consister à refuser de transmettre les informations sur son marché local ou sur les chiffres clés de son point de vente, base de calcul des redevances.

Au total, les travaux empiriques issus des analyses économiques ont étudié la franchise à travers le triptyque « pouvoir-conflits-satisfaction ». Il s’agissait de comprendre les sources de pouvoir dans le but de contrôler les membres du réseau de distribution, de minimiser les coûts de coordination et d’éviter les conflits contre-productifs. Les années 1990 ont connu un infléchissement dans les travaux de recherche menés pour la compréhension et le management des canaux de distribution. Les efforts ont porté sur la compréhension du contrat relationnel, avec l’étude de concepts tels que la confiance ou l’engagement. Ce changement d’orientation correspond à un changement de perspective dans les différentes disciplines de la vie des affaires. L’objet d’analyse s’est déplacé de la transaction à la relation. Nous allons présenter dans la section suivante les apports pour la compréhension de la relation de franchise du prisme du contrat relationnel.

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