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Entre texte et image

L’album pour enfants est arrivé en France vers 1860, à la suite des picture books anglais et des Bilderbuch allemands. D’abord à destination des adultes tout au long de la période romantique, l’album est à cette époque un cahier de voyage sur lequel, selon le Littré, « on prie d’inscrire quelques lignes de prose, quelques vers, un dessin »364. Ce carnet privé, généralement oblong, permet de conserver une trace des rencontres faites au fil des ans. Il mêle écrits et images : notes, croquis, etc, comme va le faire ce support au XIXème siècle. À cette date, les albums sont devenus des publications pour la jeunesse, intégrant recueils de planches, saynètes et chansons, à l’image des productions précurseurs d’Épinal qui se spécialise tôt dans ce format, le tout sans narration.

L’album se construit avec deux pages en vis-à-vis, de part et d’autre d’une couture centrale ou d’une pliure qui sépare la “belle page”, à droite, souvent illustrée, de la page de gauche, où l’on trouve généralement le texte dans les livres pour enfants.

« Dans l’album, c’est l’image (quand il n’y en a qu’une) ou la plus grande des images (quand il y en a plusieurs) qui est quasiment toujours placée en “belle page”. »365

Une même image peut cependant être déployée sur les deux pages en vis-à-vis : c’est “l’image à fond perdu”, ou la double page. Dans ce cas, la pliure charnière entre les deux pages peut être une contrainte ou donner davantage de sens à l’image. En effet, elle peut jouer les rôles d’axe de symétrie, d’ellipse temporelle et / ou spatiale, ou encore de miroir entre un contexte et sa traduction enfantine. Elle peut aussi servir de diaporama dans le cas du leporello – ou livre accordéon -, ou du format vertical (à l’italienne), que l’on retrouve chez Warja Lavater366 (dont nous reparlerons ultérieurement). Les images ont plusieurs fonctions dans l’album : elles décrivent généralement un contexte ou une actualisation de ce dernier. Leur fonction prédominante est celle de la représentation ; de lieux, de personnages, de sentiments. Elles servent aussi à faire avancer l’histoire et peuvent jouer, qu’il y ait ou non du texte, un rôle narratif. Les intentions didactiques des images sont placées au second plan, particulièrement dans les albums contemporains. En effet, que ce soit par le texte ou par l’image, les voix dominantes ou autoritaires ne sont pas jugées nécessaires pour conduire le récit. Celui-ci est d’ailleurs souvent narré de façon minimaliste et à la première personne du singulier. Ce trait caractéristique des albums du XXème siècle permet

364 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle et PERROT, Jean (dir.), art. « Album », Dictionnaire du livre de jeunesse. La

littérature d’enfance et de jeunesse en France, Paris, éd. Cercle de la Librairie, 2013, p. 16..

365 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, éd. Didier Jeunesse, coll.

Passeurs d’histoire, 2009, p. 124.

366 PERRAULT, Charles, LAVATER, Warja (ad.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, éd. Ad. Maeght, ill. Warja

d’adopter le point de vue de l’enfant-personnage. Il montre en effet « comment le discours de l’enfant est traversé par le discours des autres, enfants ou parents »367. On retrouve dans ces albums, tout comme dans les Contes de Perrault, plusieurs formes de comique, dont l’ironie et la parodie qui sont l’apanage des albums contemporains de la fin du siècle. Le décalage entre le texte et l’image permet un va et vient entre le texte et l’image. C’est particulièrement le cas avec l’adaptation d’Hans Fischer368 en 1958. Cette réécriture du Chat botté, « illustré et agrémenté d’indispensables commentaires »369 permet ledit va-et-vient. Par exemple, peu après l’incipit, Hans Fischer propose une observation sur la difficulté de porter des bottes en étant chat :

« Or, une chose n’est pas dite dans l’histoire, c’est qu’il n’est pas très commode pour un chat de porter des bottes et de marcher sur deux pattes. Aussi le chat dut-il d’abord apprendre, et il s’exerça en secret durant la nuit : tenir en équilibre déjà, puis marcher – ce qu’il recommença inlassablement jusqu’à y parvenir ! »370

On voit ensuite le fameux chat et ses bottes dans toutes sortes de postures ; jusqu’au dernier dessin d’un chat debout et triomphant.

L’album, en outre, sert tous les genres littéraires : textes poétiques, théâtraux, romanesques (tant de science-fiction, de fantastique, d’aventure, des policiers que des romans initiatiques), ou encore des contes.

367 ESCARPIT, Denise, La Littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui , Paris, éd. Magnard, 2008, p.

312.

368 PERRAULT, Charles, SCHNEIDER, Jean-Claude (ad. et trad.), Le Chat Botté, conte de Charles Perrault,

adapté, illustré et agrémenté d’indispensables commentaires par Hans Fischer , Paris, éd. Delpire, coll. Dix sur Dix, ill. s. n., commenté par Hans Fischer, 28 cm, 1958, 29p.

369 Ibidem, n. p. 370 Ibidem, n. p.

« En somme, l’album sert de véhicule à toutes les tendances littéraires, les plaçant ainsi à la portée du jeune lecteur. Mais il les aborde de manière originale, à travers la relation particulière qu’il instaure entre texte et image. »371

Les textes des albums sont souvent antérieurs aux illustrations. Il s’agit de comptines, de jeux littéraires ou de contes. Ils s’illustrent par leur brièveté et s’inscrivent donc sur un support où l’image est prédominante. Lorsque le texte est absent, il n’y a pas néanmoins d’absence de narration.

« Bien au contraire, nombre de ces ouvrages sont conçus dans une perspective pédagogique et sollicitent une énonciation. Les albums appellent une mise en mots des images proposées. Le discours implicite de l’album ou bien l’expression verbale générée par les seules images s’avèrent relativement évidents lorsqu’il s’agit d’un schéma narratif déjà connu »372, comme le conte du Petit Chaperon rouge, par exemple.

L’album moderne est plus complexe, puisque narration et image sont intimement imbriqués. En effet,

« Les albums peuvent être définis comme des livres qui combinent le texte et l’image dans un rapport nécessaire, voire insécable pour une partie d’entre eux. »373

Texte et image évoluent donc ensemble dans l’espace de la page, comme nous le verrons de façon plus détaillée par la suite. Pour Sophie Van Den Linden, spécialiste de la question, il s’agit d’

« […] ouvrages dans lesquels l’image se trouve spatialement prépondérante, par rapport au texte, qui peut d’ailleurs en être absent. La narration se réalise de manière articulée entre textes-images. »374

La narration s’appuie principalement sur les images. Le texte des albums est rare, voir absent dans certains cas, ce qui ne gêne pas la compréhension du récit. L’image se doit d’être séductrice et attractive, tout en restant compréhensible. Elle est devenue, au fil du temps, le support privilégié des histoires pour enfants, dont les contes. Dans l’album, elle est « spatialement et statutairement prépondérante »375.

Il faut toutefois faire la différence entre les livres illustrés et les albums. Les premiers, selon Sophie Van Der Linden, sont des

« […] ouvrages présentant un texte accompagné d’illustrations . Le texte y est spatialement prédominant, autonome du point de vue du sens. Le récit passe essentiellement par le texte qui porte la narration. »376

371 ESCARPIT, Denise, La Littérature de jeunesse, op. cit., p. 306.

372 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, Le Puy en Velay, éd. L’atelier du poisson soluble, 2006, p. 49. 373 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle et PERROT, Jean (dir.), art. « Album », Dictionnaire du livre de jeunesse. La

littérature d’enfance et de jeunesse en France, Paris, éd. Cercle de la Librairie, 2013, p.17.

374 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, op. cit., p. 27.

375 CONNAN-PINTADO, Christiane, TAUVERON, Catherine, Fortune des Contes de Grimm en France. Formes

et enjeux des rééditions, reformulations, réécritures dans la littérature de jeunesse , Clermont-Ferrand, éd. Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. Mythographies et sociétés, 2013, p. 307.

375 Ibidem, p. 189.

Les Contes de Perrault sont d’abord parus sous forme de livres illustrés , et c’est toujours le cas aujourd’hui. S’il est certain que le nombre d’albums de contes édités a largement augmenté au cours du XXème siècle et particulièrement après- guerre (parution en singleton majoritairement), il est impossible aujourd’hui, au vu du nombre de Contes publiés et de la diversité des formats existant et présents dans nos notices – tant pour les albums que pour les livres illustrés –, de donner une estimation du pourcentage d’albums édités par rapport à ces livres illustrés.

Les albums, se distinguent par la prédominance des illustrations, tandis que les livres illustrés ne proposent que planches et/ou vignettes, sans le nécessaire va -et- vient que l’on retrouve dans le support précédemment cité. En outre, comme l’explique Christian Chelebourg,

« Sur le plan sémiotique, l’album se distingue du livre illustré par le fait que l’enchaînement de ses images suscite une mise en récit, et de la bande dessinée parce qu’il offre la possibilité d’une lecture iconique indépendante de la lecture verbale. »377

Nous l’avons évoqué précédemment, selon la formule d’Isabelle Nières- Chevrel citée par Sophie Van Der Linden,

« L’album ce n’est pas seulement du texte et de l’image, c’est du texte et de l’image dans l’espace de cet objet étrange qu’est le livre. »378

Étrange car la cohabitation du texte et de l’image est non seulement rendue possible mais nécessaire. L’artiste peut, sur ces doubles pages ou sur les pages suivantes, faire avancer l’histoire, montrer plusieurs situations et faire des hypothèses grâce à la possibilité de tourner les pages. La lecture de l’album repose sur ces pages qui sont autant d’instances narratives et sur les liens que les artistes construisent entre elles et avec le texte. L’image a la primauté narrative, certes,

377 CHELEBOURG, Christian, Les fictions de jeunesse, Paris, éd. Presses universitaires de France, coll. Les

littéraires, 2013, p. 29.

378 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, op. cit., p. 86.

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