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composent. La spécialiste de l’album, Sophie Van Der Linden, indique ainsi dès l’introduction de son ouvrage que

« Lire un album, c’est aussi apprécier l’utilisation d’un format, de cadres, le rapport d’une couverture et des pages de garde à leur contenu, c’est également relier des présentations entre elles, décider d’un ordre de lecture sur l’espace de la page, placer en résonnance la poésie du texte et celle de l’image, goûter les silences de l’un vis-à-vis de l’autre … »386

Ainsi, il faut inclure dans cette lecture à la fois l’image, certes, mais aussi les pages de garde, de titres, les blancs, la pliure centrale, les différentes matières (surtout utilisées dans les albums à destination du premier âge pour la découverte des textures), le format, la couverture, etc. Généralement cartonnée, cette dernière est toujours illustrée, selon la norme en vigueur dans le monde du livre de jeunesse. Elle peut soit reprendre une image contenue dans l’ouvrage, soit proposer une nouvelle image. La reprise d’une illustration déjà intégrée au volume est la plus courante dans le cas des albums (contrairement aux romans). Elle permet d’insister sur un élément de l’histoire : le passage le plus marquant, ou tragique, ou bien le dénouement heureux. C’est le cas pour la version du Petit Poucet387 illustrée par Michael Fiodorov dans la collection des Contes classiques chez Deux coqs d’or. Ici, l’illustration de la première de couverture reprend un détail d’une image pleine page : le moment où le Petit Poucet guide ses frères dans la forêt pour retrouver leur logis, après le premier abandon parental.

La lecture de l’album est somme toute particulière. En effet, ce type de livre possède une double destination. Il s’adresse aussi bien à l’enfant, généralement non lecteur ou lecteur débutant, qu’au médiateur (souvent représenté par une autorité parentale ou familiale). Il s’agit alors

386 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, op. cit., p. 8 – 9.

387 PERRAULT, Charles, Le Petit Poucet, Paris, éd. Deux coqs d’or, coll. Contes classiques, ill. Michael

Fiodorov, 30 cm, 1994, 28p.

Figure 44 : Illustration du Petit Poucet par Michael Fiodorov (Deux coqs d’or, 1994)

Figure 43 : Première de

couverture du Petit Poucet

illustré par Michael Fiodorov (Deux coqs d'or, 1994)

« […] de captiver l’adulte qui lit à la place de l’enfant non lecteur, dans la famille ou à l’école, afin qu’il fasse le choix d’un ouvrage dont la lecture paraît prometteuse, à la fois attrayante et enrichissante. Cet adulte est également gratifié lorsque l’album, au-delà des compétences cognitives et culturelles de l’enfant, lui adresse des clins d’œil que lui seul est en mesure de décrypter. »388

Le lecteur de l’album est donc soit un enfant qui ne sait pas lire et qui va d’abord exploiter l’image, soit un véritable lecteur, qui sait déchiffrer les signes textuels et qui va se pencher sur le texte pour créer du lien avec l’image et inversement. Il va ainsi « trouver dans le texte l’un des possibles narratifs ouverts par les images »389. La double adresse n’est pas un phénomène nouveau. Pour Jacques Barchilon, elle date justement des Contes de Perrault, dans lesquels on retrouve un double niveau de lecture :

« […] celui des enfants qui ne s’attachent qu’aux péripéties et des adultes qui recherchent les symboles profonds. »390

La lecture de l’album résulte ainsi d’un véritable paradoxe, puisqu’il est destiné aux plus jeunes et qu’il nécessite pourtant une double compétence de lecture, tant textuelle que picturale. Lire un album requiert une formation de lecteur, raison pour laquelle la présence d’un intermédiaire est d’abord nécessaire, le temps que l’enfant acquière les capacités indispensables pour en comprendre le contenu. Pour cette raison, l’album est souvent lu à haute voix, ce qui tran sparaît dans le texte.

« Il est ainsi très fréquemment distribué sur l’espace de la page, en quelques courts passages appelés des “unités de souffle”, c’est-à-dire d’une longueur correspondant à une expiration du lecteur. De plus, l’album a, dès ses origines, partie liée avec la culture de la petite enfance et notamment des nursery rhymes. S’appuyant sur l’oralisation de l’album, bien des auteurs contemporains tentent de retrouver le rythme et la poésie des comptines […] »391

Les Contes de Perrault ont un contenu particulièrement prédestiné à la forme qu’est l’album, de part leur rapport à l’oralité. Écrits d’après des “contes de vieilles”, oraux et racontés lors de veillées, ces contes littéraires, réécrits par Charles Perrault et son fils, sont déclamés dans les salons précieux. L’oralité est bien présente dans ces historiettes, notamment par le biais des formules rituelles bien connues : « Tire la chevillette et la bobinette cherra »392 dans Le Petit Chaperon rouge, « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »393 dans La Barbe bleue ou « Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites pas que tous ces blés appartiennent à Monsieur le Marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu

388 ESCARPIT, Denise, La Littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui , Paris, éd. Magnard, 2008, p.

322.

389 CHELEBOURG, Christian, Les fictions de jeunesse, Paris, éd. Presses universitaires de France, coll. Les

littéraires, 2013, p. 29.

390 ESCARPIT, Denise, La Littérature de jeunesse, op. cit. p. 323. 391 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, op. cit., p. 48.

392 PERRAULT, Charles, « Le Petit Chaperon rouge », in Contes, suivi du Miroir ou la Métamorphose d’Orante,

de La Peinture, poème et du Labyrinthe de Versailles, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, préf. Jean-Pierre Collinet, 18 cm, 1981, p. 144.

comme chair à pâté. »394 dans Le Chat botté. De nouveaux paramètres autres que le support interviennent dans la lecture de l’album via l’intermédiaire lecteur : sonorités, tonalités, effets de style tels que la théâtralisation, etc.

L’album nécessite de ce fait un lecteur actif, que ce soit dans le cas de la lecture à haute voix ou non. Il permet d’ouvrir à la réflexion et à l’esthétique par le biais du dialogue texte-image. Il s’agit d’une forme d’expression élaborée et complexe, puisque sa lecture est, pour Jeanine Despinette395,

« […] un acte de préhension globale de l’histoire illustrée, chaque image étant affectée par le contexte dans lequel elle paraît. »396

D’ailleurs, il est aujourd’hui connu et reconnu que la lecture d’album a un impact certain – et positif – sur le développement intellectuel des enfants, puisque l’album propose plusieurs champs d’exploration, celui de l’image et du langage, et qu’il parle de tout, sans tabous. Il aborde des sujets divers et difficiles, jusque -là tenus très à l’écart du jeune public et dont l’album contemporain va se saisir.

« Un véritable album nous parle à la fois de lui-même, de l’humain et du monde. En proposant une modélisation de leurs rapports, l’album produit de la connaissance. Pour le lecteur, cette modélisation n’est pas une copie de la réalité, mais “la possibilité d’en organiser l’expérience”. Chacun rôde ainsi, peu ou prou, son rapport à l’existence grâce aux albums. Les situations et les personnages expérimentaux créent ce dehors où notre dedans grimpe sur ses propres épaules. »397

L’album est ainsi devenu, tout particulièrement au XXème siècle, un objet porteur de sens permettant l’assimilation de nouvelles connaissances, ce qu’a bien compris Paul Faucher dans ses Albums du Père Castor.