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Les collections des éditions Hachette

C’est Hachette qui, l’un des premiers en France, lança le concept de collection. En 1852, pour s’implanter durablement dans les bibliothèques de gare qu’il continue d’acquérir jusqu’en 1896, l’éditeur crée la “Bibliothèque des Chemins de Fer”. Elle est développée sur le modèle éditorial de William Henry Smith, un éditeur anglo-saxon qui s’établit dans les gares et y monte des kiosques comprenant livres et journaux. Il s’agit d’ouvrages intéressants d’un format pratique et d’un prix relativement faible. Ils offrent des textes d’agrément et d’instruction. Pour cette collection, Hachette n’édite en effet rien qui soit de nature

149 BLASSELLE, Bruno, Histoire du livre, Pari, éd. Gallimard, 2008, p. 171-172.

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Éditions parues dans le contexte d'une

collection

Éditions

Livres parus dans le contexte d'une collection

Figure 17 : Graphique de la part des éditions parues dans le contexte d’une collection entre 1939 et 1960

politique ou contraire à la morale. Cette “bibliothèque”, ou collection, comporte sept séries organisées distinctes :

 Guide des voyageurs, brochée de rouge ;

 Histoire et littérature, brochée de vert ;

 Littérature française, brochée de crème ;

 Littérature ancienne et étrangères, brochée de jaune ;

 Agriculture et industrie, brochée de bleu ;

 Livres illustrés pour enfant, brochée de rose ;

 Livres divers, brochée de saumon.

Nos contes se situent majoritairement dans l’avant-dernière, celle à destination des enfants. Les séries, qui deviennent rapidement des collections, se repèrent à la couleur de leur couverture. Celles qui nous intéressent sont les couvertures roses et vertes. En effet, au cours du temps, elle vont comprendre plusieurs éditions des Contes de Perrault.

La bibliothèque à la couverture rose, ou la collection “Livres illustrés pour enfants”, sixième série de la “bibliothèque des Chemins de Fer”, se développe avec les progrès de la scolarisation et grâce aux textes de son auteur phare : Madame la Comtesse de Ségur. Cette collection brochée, en vente dans les bibliothèques de gare, acquiert rapidement son autonomie, quelques années après la mise en circulation de la “Bibliothèque des Chemins de Fer”, en 1858. Elle devient l a “Bibliothèque rose illustrée”, puis la “Nouvelle Bibliothèque rose illustrée” en 1920.

À l’origine, comme il est indiqué dans le Dictionnaire du livre de jeunesse, elle est :

« du format “portatif” (11 x 18 cm), d’un prix modéré, ses volumes sont disponibles brochés sous papier rose pour la vente dans les gares ou sous un cartonnage de percaline rouge orné de fers dorés ; frai, voyant, flatteur, solide, ce cartonnage unique convient aussi bien aux étrennes qu’aux distributions de prix »150.

Sur cette version reliée de percaline, le titre du livre figure dans un encadrement estampé à chaud comme ci-dessous.

150 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle et PERROT, Jean (dir.), art. « Collections, émergence des », Dictionnaire du

La forme brochée, devenue rare aujourd’hui avec sa « couverture de papier rose glacé aux couleurs de boîte à bonbons »151 s’achetait pour 2 Francs, tandis que l’exemplaire relié était au prix de 2,75 Francs. Ces derniers « ont résisté victorieusement à deux ou trois générations de petits destructeurs et ils luttent encore contre l’invasion des comics stripes qui ont remplacé, en Angleterre et aux Etats-Unis, Peter Pan et Alice au pays des merveilles »152.

La “Bibliothèque rose” propose principalement des romans, des contes et des histoires morales écrites par des auteurs féminins et abondamment illustr és de gravures en noir et blanc, comme les 65 vignettes dessinées sur bois de Jean - Adolphe Beaucé ou de Bertall dans les in-16 des Contes de fées tirés de Claude Perrault […]153 édités dans cette collection, que l’on retrouve fréquemment depuis le début de notre étude. Le passage à la couleur se fait en 1937 et ne concerne d’abord que quelques planches disséminées au fil du livre, le reste des illustrations in-texte restant en noir et blanc. De six nouveautés par an, Hachette passe à deux cents trente titres au milieu du XXème siècle. Si les tirages initiaux étaient très faibles : 5 500 exemplaires maximum, leur réédition régulière permettait un rendement correct. Cependant, le contexte économique de la Première Guerre mondiale rend nécessaire de revoir la stratégie de vente et de pro duction. Les coûts de fabrication doivent impérativement être réduits, ce qui passe par une mécanisation et une standardisation de la production.

151 MISTLER, Jean, La librairie Hachette de 1826 à nos jours, Paris, éd. Hachette, Paris, 1964, p. 151. 152 Ibidem.

153 Op. Cit.

« Un calcul très précis – au centime près – du prix de revient de chaque ouvrage commande le choix de tous ses éléments en fonction du prix optimum de vente, établi après examen des collections concurrentes. »154 Quant à la standardisation,

« Le cartonnage unique devient la règle, souvent agrémenté d’une jaquette illustrée en couleurs, formule introduite en France par la maison écossaise Nelson. Confiée à un illustrateur spécialisé, elle individualise le titre au sein de la collection, compense la disparition des tranches dorées, la mauvaise qualité des papiers, les mises en pages compactes et hâtives, les marges réduites et les illustrations en noir et blanc. »155.

Chez Hachette, il faut citer notamment Félix Lorioux qui a œuvré pour le rajeunissement des collections avec ses jaquettes de couleur, et André Pécoud. Pour la “Bibliothèque rose”, les auteurs phares sont la Comtesse de Ségur, Zulma Carraud, Julie Gouraud, Madame de Stolz, Zénaïde Feuriot, Mademoiselle du Planty, ainsi que Madeleine du Genestoux, qui devient à terme la directrice du secteur jeunesse.

Le rachat du fonds Hetzel en 1914 se traduit par une redistribution de la collection suivant les âges et les sexes. La “Bibliothèque rose” s’adresse dorénavant uniquement aux petites filles tandis que la “Bibliothèque verte”, créée en 1924, est dédiée aux jeunes garçons. Bien que nos notices n’en fassent pas mention, il est fort probable que les éditions de 1918156 et 1948157 (similaires à celle de 1920158) appartiennent à la collection de la “Bibliothèque rose illustrée”. On retrouve en effet les mêmes auteurs réunis, les mêmes illustrateurs, le même format, le même nombre de pages (approximativement), et surtout la même faute dans le titre : Contes de fées tirés de Claude Perrault […]. Concernant les autres ouvrages édités par Hachette à cette période, ce sont principalement des albums illustrés par le célèbre Félix Lorioux, ou par Henri Morin, son prédécesseur. Ces albums, où l’image de Lorioux, comme nous l’avons vu précédemment, se joue des conventions, ne sont pas édités dans le cadre de collections, à l’exception d’une édition de 1930159 dans la “Collection des grands romanciers”. Destinée davantage aux adultes qu’aux enfants, l’introduction des contes et de l’illustrateur dans la série témoigne bien à la fois de leur importance sur le plan littéraire, et de la patrimonialisation toujours effective de ces histoires, mais également de leurs images.

154 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle et PERROT, Jean (dir.), art. « Collections, émergence des », Dictionnaire u

livre de jeunesse. La littérature d’enfance et de jeunesse en France, Paris, éd. Cercle de la Librairie, 2013, p. 207.

155 Ibid., p. 208.

156 PERRAULT, Charles, AULNOY, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’, LEPRINCE DE

BEAUMONT, Jeanne-Marie, Contes de fées tirés de Claude Perrault, de Mmes d’Aulnoy et Le Prince de Beaumont et illustrés... par Bertall, Beaucé, etc., Paris, éd. Hachette, ill. Beaucé, Bertall, in -16, 1918, VIII-375p.

157 PERRAULT, Charles, AULNOY, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’, LEPRINCE DE

BEAUMONT, Jeanne-Marie, Contes de fées tirés de Claude Perrault, de Mmes d’Aulnoy et Leprince de Beaumont et illustrés de 65 vignettes dessinées sur bois par Bertal, Beaugé, etc. , Paris, éd. Hachette, ill. Bertal, Beaugé, 19 cm, 1948, VIII-376p.

158 PERRAULT, Charles, AULNOY, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’, LEPRINCE DE

BEAUMONT, Jeanne-Marie, Contes de fées tirés de Claude Perrault, de Mmes d’Aulnoy et Le Prince de Beaumont et illustrés… par Bertall, Beaucé, etc., Paris, éd. Hachette, coll. Bibliothèque rose illustrée, ill. Jean-Adolphe Beaucé, Bertall, in-16, 1920, 375p.

159 PERRAULT, Charles, Contes de Perrault, Paris, éd. Hachette, coll. Collection des grands romanciers, ill.

Hachette va donc multiplier ses collections grâce au fonds Hetzel et va remettre les classiques au goût du jour.

« Après le rachat de la maison Hetzel en 1914, Hachette se trouve à la tê te d’un riche patrimoine de textes que la maison doit s’approprier et redistribuer à travers des supports adaptés. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ce vaste ensemble est réparti, structuré et rajeuni au cours d’une opération qui s’étend sur près de dix ans et s’appuie sur la création de nouvelles collections, notamment la “Bibliothèque verte”. »160

Il reprend à son compte les anciennes collections d’Hetzel ou en recrée d’autres pour satisfaire toutes les classes d’âge :

 Les Grands écrivains français,

 Les Grands classiques français,

 Les Grands hommes par le texte et l’image,

 Les Œuvres de Jules Verne,

 La Bibliothèque verte,

 La Bibliothèque de la jeunesse,

 La Bibliothèque blanche,

 La Bibliothèque des écoles et des familles.

Les collections sont subdivisées par classe d’âges : 4 à 8 ans et 8 à 14 ans, et les adolescents pour qui Hachette propose surtout des classiques.

Ces collections sont créées les unes à la suite des autres. C’est d’abord la “Bibliothèque rose”, dont nous venons de parler, puis la “Bibliothèque d’éducatio n et de récréation”. Cette collection, reliée de toile verte « a pour but d’‘offrir à la jeunesse, sous une présentation irréprochable, un ensemble d’ouvrages tout à la fois instructifs, moraux, et d’un intérêt captivant” »161. Elle change de nom en 1924 pour devenir la “Bibliothèque verte/Nouvelle bibliothèque d’éducation et de récréation”. Finalement, elle est renommée “Bibliothèque verte, accessible à toutes les bourses” : un format in-16 avec un nombre de pages standardisé pour les 11-16 ans. « Son cartonnage orné de roses jaunes sera modifié au début des années 1930, arborant deux séries de trois bandes dorées de longueur décroissante d’une esthétique plus contemporaine. »162 Cette collection ne comporte que peu d’inédits et se distingue par son absence d’actualités et d’homogénéité : « romans d’aventures et de sentiments, contes merveilleux, récits historiques, comédies amusantes voisinent dans cette collection signée de noms illustres »163. En effet, Balzac et Conan Doyle cohabitent aux côtés de Prosper Mérimée, Jules Verne, Enid Blyton et Alphonse Daudet. Bien que nous ne le retrouvions pas dans nos notices pour la période étudiée (1914-1938), il y a fort à parier que Charles Perrault ait fait partie de cette multitude d’écrivains, au même titre que Victor Hugo ou que Walter Farley, le père de L’Étalon noir, une série à succès encore éditée aujourd’hui.

160 NIÈRES-CHEVREL, Isabelle et PERROT, Jean (dir.), art. « La bibliothèque rose illustrée », Dictionnaire u

livre de jeunesse. La littérature d’enfance et de jeunesse en France, Paris, éd. Cercle de la Librairie, 2013, p. 100

161 Ibidem. 162 Ibid. 163 Ibid.

La modernité de cette collection réside justement dans cette diversité d’auteurs qui sert aussi bien les achats scolaires que de loisirs, voire même les prix et les étrennes. Mais surtout, les ouvrages de la “Bibliothèque verte”, comme ceux de la “Bibliothèque rose”, deviennent des produits éditoriaux, avec des tirages colossaux : de 11000 à 40000 exemplaires. Elles offrent ainsi :

« […] un produit démocratisé, standardisé et désacralisé, qui se distingue toutefois par son répertoire littéraire, sa présentation sobre et son illustration, des publications populaires de l’époque. Les volumes sont maniables, solides et frais, d’une couleur tonique, étrangère à la tradition ; par leur contenu, ils mettent à la portée de toutes les bourses un trésor littéraire amassé durant près de deux siècles par les deux plus prestigieux éditeurs français de livres pour enfants. »164.

Peu avant la Seconde Guerre mondiale, Hachette modifie ses classiques illustrés. Dès 1940, ils ont un nombre de pages fixe (96 pages), le titre est reporté sur le dos. Ces modifications, décidées par Monsieur Robert Meunier du Houssoy, directeur de la section jeunesse, ont pour but de remplacer les anciens classiques de la “Bibliothèque verte”.

« Dans le secteur des livres d’enfants et des albums illustrés, supervisés par M. Robert Meunier du Houssoy, et dont s’occupait Mme Arrigon, qui signa Magdeleine du Genestoux de nombreux romans enfantins, les anciennes collections, comme la Bibliothèque rose, ont progressivement été remplacées. C’est ainsi qu’ont été créées la Nouvelle Collection Ségur (1930), la Nouvelle Collection Jules Verne (1928) et de nombreuses séries d’albums, notamment ceux de Walt Disney. Les deux principales créations furent la bibliothèque verte, cartonnée, et sa variante, la Bibliothèque de la Jeunesse, qui publiait les mêmes volumes, mais brochés. A partir de 1933, elles ont repris des succès anciens, qui ont connu des tirages énormes (Sans Famille d’Hector Malot, a doublé le cap du million d’exemplaires ; le Voyage au centre de la terre de Jules Verne a dépassé les 500 000). Elles ont édité aussi des textes plus récents, des anglo-saxons comme Jack London, dont certains titres ont atteint le demi-million, […]. On remarque toutefois que le goût des jeunes, à qui s’adresse cette collection, paraît changer plus rapidement que jadis et demande un renouvellement plus fréquent, sinon des sujets, du moins des titres et des auteurs, ainsi que des accessoires, notamment des moyens de locomotion, l’avion étant remplacé par la fusée. »165

En effet, Hachette a très tôt signé avec Walt Disney pour distribuer les ouvrages, produits dérivés des films d’animation, de la société en France. Nous retrouvons ainsi plusieurs éditions de Cendrillon166 à partir de 1950, et de La Belle au Bois dormant167 dès 1958, qui ne cesseront d’augmenter par la suite (Hachette va même créer une collection spéciale contenant uniquement des ouvrages issus des animations Disney dans les années 1990 : Disney Hachette). Les Albums se retrouvent ensuite dans des ouvrages au format de poche. Dans l’exemple ci -

164 Ibid.

165 MISTLER, Jean, La librairie Hachette de 1826 à nos jours, Paris, éd. Hachette, Paris, 1964, p. 355.

166 PERRAULT, Charles, Cendrillon, Paris, éd. Hachette, coll. Albums Walt Disney, ill. Walt Disney, in-8, 1950,

48p. ou PERRAULT, Charles, Cendrillon, d’après le conte de Charles Perrault, Paris, éd. Hachette, coll. Les Albums Hop-Là !, ill. Walt Disney, in-8, 1951, 23p., etc.

167 PERRAULT, Charles, DISNEY, Walt, Walt Disney. La Belle au bois dormant, d’après le film tiré par Walt

dessous, tiré de Cendrillon168, dans la collection de la “Bibliothèque rose”, représentatif du phénomène, les planches dessinées en couleur ou en noir et blanc issues du film cohabitent avec un texte réécrit par les studios (on trouve dans l’achevé d’imprimé la citation suivante : « Ce livre, publié avec l’autorisation de Walt Disney Production, est le récit du film que Walt Disney a tiré du célèbre conte de Perrault. »169).

En dehors d’Hachette, les éditions se sont également multipliées chez d’autres éditeurs tels que Mame, Nathan, Larousse ou encore Delagrave, Gallimard et Garnier.