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Éditions des Contes de Perrault

puisque le texte est spatialement réduit par l’illustration. Mais si les images et le texte sont séparés (ce qui n’est pas toujours le cas : le texte peut intervenir dans l’image), ces deux éléments sont sémantiquement articulés dans l’album :

« Textes et images s’y trouvent séparés du point de vue de la topologie, mais unis dans une dépendance créatrice de sens et d’affect, dépendance qui tend à n’être plus la soumission d’une instance à une autre, mais une dynamique féconde. »379

Cette dynamique entre l’image et le texte s’installe dans l’album par le biais d’un jeu incessant de renvois entre le texte et l’image. Le texte s’inscrit en commentaire, en complément pour préciser l’avant ou l’après des images, tandis que ces dernières, riches de clins d’œil au texte, le complètent et l’enrichissent. Il y a donc, selon Barbara Bader, professeure de sciences de l’éducation, un rapport d’interdépendance entre les mots et les images, qui font d’ailleurs preuve d’une grande liberté d’organisation et de distribution. Ainsi,

« Dans l’album, textes et images parfois s’ignorent, se contredisent… mais ils ne peuvent être complétement cloisonnés, ni séparés. Présents conjointement dans un espace unique, celui de la double page, ils se trouvent nécessairement en relation d’un point de vue formel. Il s’agit donc d’apprécier la mise en espace de ces deux langages, leurs caractéristiques propres, leurs dispositions, les effets de résonnance ou de contraste… Car à ce stricte niveau formel, se jouent déjà de nombreuses implications en terme de narration et de discours. »380

Textes et illustrations, qu’ils soient en contraste ou en adéquation l’un avec l’autre, sont complémentaires, au point qu’il est parfois impossible de faire la distinction entre ces deux éléments. C’est le cas par exemple pour le grand album de 39 cm illustré par Elsa Oriol381. Dans cet ouvrage intitulé Barbe-Bleue reprenant l’histoire complète du conte, avec les moralités, paru chez Kaléidoscope en 2007, le texte fait partie intégrante de l’image, de par sa taille, sa typographie et son emplacement sur la page.

379 MERCIER-FAIVRE, Anne-Marie, PERRIN, Dominique (dir.), Christian Bruel, auteur-éditeur, une politique

de l’album. Du Sourire qui mord à Être éditions (1976-2011), Paris, éd. Cercle de la librairie, 2014, p. 129.

380 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, op. cit., p. 92.

381 PERRAULT, Charles, La Barbe bleue, Paris, éd. Kaléidoscope, ill. Elsa Oriol, 39 cm, 2007, 34p. Figure 31 : Illustration de La Barbe bleue par Elsa Oriol (Kaléidoscope, 2007)

La mise en page est ici particulièrement soignée, aussi bien du point de vue du texte que des images ou de leur articulation, dans un saisissant effet de miroir entre Barbe-Bleue et sa femme, tous deux allongés sur le sol dans un état proche de la mort, effet brisé par le texte présent sur la page de gauche qui souligne et explique quant à lui la position latérale des deux personnages : « Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, et le laissèrent mort. La pauvre femme était presqu’aussi morte que son mari, et n’avait pas la force de se lever pour embrasser ses frères. »382. Sophie Van Der Linden explique par ailleurs que les textes

« […] sont ainsi très dépendants du support, de la taille des images, et ils doivent le plus souvent accompagner les images au plus près. Autant de contraintes formelles qui interdisent une trop grande longueur. D’autant que l’album présente une forte cohérence à l’échelle de la double page. Il est par exemple rare qu’une même phrase se poursuive d’une double page à la suivante. L’unité de sens doit être respectée à cette échelle. »,

ce qui est bien le cas dans cet ouvrage. Malgré sa dimension somme toute impressionnante, l’image est au cœur du dispositif narratif, le texte ne se remarquant qu’après la perception et la compréhension de l’illustration.

L’album s’avère être un lieu de rêverie où fiction, imaginaire et fabulation prennent place grâce à l’interaction des textes et des images. Le texte a une valeur informative. Il permet de réaliser des liaisons temporelles et spatiales qui ne sont pas visualisables par l’image. C’est lui qui dit le temps et la durée de la narration. Il permet également d’attirer ou non l’attention sur l’image et d’affirmer ou non l’existence de quelque chose, comme le merveilleux dans le cas des Contes de Perrault :

« Il était une fois une Reine qui accoucha d’un fils, si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine. Une Fée qui se trouva à sa naissance assura qu’il ne laisserait pas d’être aimable, parce qu’il aurait beaucoup d’esprit ; elle ajouta même qu’il pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire, donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne qu’il aimerait le mieux. »383

L’image, elle, peut cacher des informations ou donner une présence plus importante aux interdits, comme c’est le cas avec cette illustration d’Eva Bednářová pour les éditions Gründ384. Dans ce médaillon, représenté ci- contre, la clé du cabinet de Barbe-Bleue est l’image centrale.

382 Ibidem, n. p.

383 PERRAULT, Charles, « Riquet à la Houppe », in Contes, suivi du Miroir ou la Métamorphose d’Orante, de

La Peinture, poème et du Labyrinthe de Versailles, Paris, éd. Gallimard, coll. Folio, préf. Jean -Pierre Collinet, 18 cm, 1981, p. 181.

384 PERRAULT, Charles, AULNOY, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d’, Contes, Paris, éd.

Gründ, ill. Eva Bednářová, 29 cm, 1978, 197p.

Figure 32 : Illustration de Barbe

bleue par Edna Bednářová (Gründ,

L’album devient un nouveau mode de lecture du fait des va-et-vient perpétuels entre les messages du texte et ceux de l’image.