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Les prémices de l’entrée des contes à l’école

Depuis toujours, l’État a eu la velléité de contrôler la littérature, particulièrement lorsque celle-ci concerne la jeunesse. Ce contrôle, ont compris les hautes sphères politiques est facilité par la mise en place de programmes visant l’écolier. En 1817, on compte près de 886 000 élèves dans les écoles primaires publiques et privées. Le 28 juin 1833, le ministre de l’Instruction publique, François Guizot, propose d’obliger les communes de plus de 500 habitants à ouvrir une école élémentaire pour les garçons. Elle est gratuite et obligatoire. Il déclare :

« Nous avons voulu créer dans chaque commune une force morale dont le gouvernement puisse se servir au besoin. »315

Cette école gratuite a de nombreux détracteurs à ses débuts, notamment du côté des classes supérieures qui craignent que cet accès à l’éducation ne produise « des paysans “indociles, fainéants et raisonneurs” »316. La loi Guizot a pour but une baisse drastique de l’analphabétisme dans les milieux ruraux et populaires. Frédéric Alfred Pierre de Falloux, également ministre de l’Instruction publique, propose le 15 mars 1850 de compléter cette loi par la création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de plus de 800 habitants. À cette date, le nombre d’écoles double. En 1886, on dénombre plus de 5 526 000 élèves dans les écoles primaires publiques et privées. Cette hausse massive a des conséquences sur le marché du livre pour la jeunesse, tant dans le domaine scolaire que dans l’édition de livres de prix et d’étrennes.

Le contrôle de l’éducation ne va pas sans un contrôle de la lecture. Le député François Delessert déclare ainsi, trois ans seulement après la loi Guizot :

« Ce grand bienfait d’une instruction primaire répandue serait loin de remplir son but, de développer […] l’intelligence et la moralité de ceux à qui elle est destinée si, à mesure qu’on organise des écoles, on ne cherchait à fournir de bonnes lectures à ceux qui y reçoivent l’instruction. »317

Dans cette volonté de fournir de bons livres au plus grand nombre, l’état fait appel aux professionnels du monde de la bibliothèque, telle que Claire Huchet, bibliothécaire de l’Heure Joyeuse, qui a longtemps fait autorité. Elle tient un discours très normatif dans lequel les contes ont bonne place :

« Les histoires, contes détachés, édités séparément, sont à multiplier, car les enfants les lisent beaucoup plus facilement. Les livres amusants, comme Bécassine et les ouvrages de Rabier sont à multiplier, ainsi que les livres tristes, appréciés par les petites filles, s’ils se finissent bien ; les livres de contes ne comporteront pas trop d’invraisemblances ; dans les livres d’aventures, le héros devra « éveiller l’admiration et triompher des difficultés ». Un livre ne doit être ni moralisateur ni triste sans fin

315 Association nationale pour la formation et le perfectionnement professionnel dans les métiers de l’édition

France, Approche 85 : Le livre populaire aux XIX et XX siècles, Paris, éd. Asfored, 1985, p. 32.

316 Ibidem. 317 Ibidem

réparatrice, ni trop descriptif, ni d’une morale contestable, ni “excitant”. Le triomphe du bien, de la bonté, doit être assuré. Il faut adapter le sujet à l’âge des enfants : aux petits de 5 à 7 ans, on offrira des histoires d’animaux ou des historiettes enfantines, des contes de fées (mais ni Le Chat botté, dont la morale est douteuse, ni Le Petit Chaperon rouge et Barbe Bleue, qui sont effrayants), des histoires bibliques ; pour les 7 à 10 ans : des contes de fées (Andersen, Grimm, Les Mille et une nuits, etc.) ; des histoires d’animaux en nombre plus réduit que pour le groupe précédent, mais plus de récits décrivant l’enfant en situation difficile. »318

Cette vision du “bon livre” pour enfants correspond en tous points à la volonté des censeurs que l’on retrouve dans le texte de loi de 1949. L’idée de Claire Huchet, et des adultes de l’époque, est que le livre ne doit être ni démoralisant (ne rien comporter d’immoral, conformément à la loi sur les publications de jeunesse), ni trop moral, le risque étant de détourner l’enfant d’une lecture qui doit lui permettre de se découvrir et de comprendre sa place dans le monde. Cette

« […] volonté de moralisation constitue malgré tout le souci principal : elle mobilise les milieux de tous bords contre les romans policiers, les bandes dessinées, et d’une façon générale toutes les formes littéraires et/ou graphiques véhiculant : « un argot infect, langage des bagnes et des bogues, toujours le soin constant d’exciter le plus possible les nerfs de l’enfant par des histoires brutales, sanglantes, affolantes, des crimes atroces, des récits de supplices… ». »319

En effet, tous ces éléments sont largement décriés car l’on a découvert l’influence des lectures sur le développement intellectuel et moral de l’enfant. Elles agissent sur l’inconscient et peuvent donc influer, selon les professionnels du livre et de l’enfance, sur la vie psychique du jeune en question. Les Contes de Perrault restent à nouveau peu concernés par ces nouvelles dispositions en raccord avec la loi de 1949 : ces textes, écrits pour des adultes lettrés, contiennent déjà un vocabulaire châtié. Les adaptations nombreuses dès la seconde partie du XXème siècle s’efforcent dans leur majorité à remettre à jour ce vocabulaire, parfois difficile et passéiste pour le rendre plus accessible aux jeunes lecteurs.

318 BENAMEUR, Jeanne, BRAVO, Émile, BRICOUT, Bernadette, BRUEL, Christian, et alii, La littérature

jeunesse, une littérature de son temps ? (Actes du colloque organisé par le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis au CNAM, à Paris, le 6 février et les 15, 29 et 30 mars 2007), Montreuil, éd. Salon du livre et de la presse en Seine-Saint-Denis, 2007, p. 22.

319 PRINCE, Nathalie, La littérature de jeunesse, Pour une théorie littéraire, 2ème édition, Pais, éd. Armand

Dans le cadre de ce contrôle, les bibliothèques commencent à s’organiser. Malheureusement, du fait d’un grand retard, elles ne peuvent être mises rapidement en fonction, raison pour laquelle se développent les bibliothèques scolaires, dont les livres sont choisis par les instituteurs et institutrices. Elles sont financées par les collectivités dont dépendant les écoles et deviennent de plus en plus importantes avec les lois Ferry de 1881 et 1882 qui rendent l’école laïque, gratuite et obligatoire. Malgré le peu d’informations dont nous disposons, il y a fort à parier que les contes de Perrault, de par leur patrimonialité et leurs morales, y occupent une place de choix. Mais plus encore, l’on sait que les maîtres d’école, issus des écoles normales, font leurs choix pour leurs bibliothèques scolaires d’après le catalogue de la bibliothèque de leur établissement d’étude. À la fin du XIXème siècle, l’instituteur privilégie ainsi les éditeurs bien connus, qu’il a fréquentés au cours de ses études. Cela explique la présence forte d’éditeurs tels qu’Hachette, Armand Colin ou Larousse (10 éditions sur 26 entre 1914 et 1923) au début du XXème siècle dans nos notices, puisque ces maisons ont un lien très fort avec l’édition scolaire. Cécile Boulaire explique ainsi le déclin de certaines maisons telles que Mame qui n’a publié que de rares éditions avant sa fermeture par cette préférence.

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