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Nombre d'éditions entre 1946 et

la très grande majorité des éditions de Contes de la période font moins d’une quarantaine de pages, comme nous l’avons évoqué précédemment (Cf. Figure 42).

Nombre de pages Nombre d'ouvrages

0-40 292

41-100 52

101-200 62

201 et plus 49

Non paginé 121

Les conditions de production de ces albums résultent d’une intensification de la concentration éditoriale dans l’immédiat après-guerre, comme nous avons pu le constater avec la création de multiples maisons d’édition. La scolarisation massive joue également un rôle dans le développement du marché des livres scolaires. De plus, le baby-boom survenu lors de la reconstruction entraîne une croissance démographique forte et dynamique qui a des conséquences sur les li vres scolaires et de loisir. L’avènement de la société de consommation dans les années soixante induit un bouleversement tant de la définition même du livre que de son mode de consommation. En effet, alors que le livre a une dimension commerciale particulière au XIXème siècle (il est porté par les grandes maisons d’édition, mais son coût ne rend sa possession qu’accessible aux plus aisés – à l’exception, bien sûr, des livrets de colportage et autres livres bleus distribués entre autre par les imprimeries d’Épinal-), il devient au XXème siècle un objet de consommation à part entière. Le livre, grâce à la réduction des coûts de production, est « pensé pour un usage éphémère appelant le renouvellement de l’offre afin de satisfaire la demande »418. C’est pour cette raison qu’il devient si peu cher : les éditions G. P. passent ainsi de 90 francs en 1947 à 20 francs en 1952, Hachette de 300 francs en 1950 à 1,50 nouveaux francs au début des années 1960 et les éditions Bias de 90 francs (1950) à 3 francs en 1963.

Si une nouvelle conception de l’album arrive en France avec Max et les Maximonstres419 de Maurice Sendak en 1967, qui autorise la figuration d’un inconscient enfantin, cette voie est largement suivie après les évènements de mai 1968. Le mouvement contestataire qui lutte contre les inégalit és du système éducatif affiche d’une part l’existence d’une jeunesse déterminée, et de l’autre les besoins et attentes de cette même jeunesse, dont la majorité est toujours scolarisée. En effet, les années soixante ont vu se prolonger l’âge de la scolarité , qui s’étend alors de 2 à 16 ans. Face au prolongement de la durée des études, la demande en livres pour enfants se fait de plus en plus forte. La population et les pouvoirs publics se sont aperçus de l’intérêt de la lecture, même chez les plus jeunes.

« Les études psychologiques, socioculturelles et statistiques aboutirent à des conclusions chocs : la lecture des tout-petits est tout d’abord un gage de

418 MERCIER-FAIVRE, Anne-Marie, PERRIN, Dominique (dir.), Christian Bruel, auteur-éditeur, une politique

de l’album. Du Sourire qui mord à Être éditions (1976-2011), Paris, éd. Cercle de la librairie, 2014, p. 19.

419 SENDAK, Maurice, Where the Wild Things are , New-York, éd. Harper & Row, 1963, version française : Max

et les Maximonstres, Paris, éd. L’école des loisirs, 1967.

succès dans leur scolarité et augmente considérablement leurs chances dans la vie. »420

Les illustrations elles-mêmes ne sont plus considérées comme néfastes et simplement décoratives, mais éclairent désormais le texte, selon les nouvelles découvertes dans le domaine de l’enfance et de la lecture. Le mouvement de mai 68 permet aussi de bousculer les idées reçues : on assiste à la fin de la séparation des sexes (la mixité des écoles date de 1969), ou à la fin de l’interdiction de traiter des sujets graves avec les enfants, autrefois réservés aux livres pour adultes. Il s’agit d’un rejet total des conceptions anciennes de la littérature pour la jeunesse, au profit d’un renouvellement des formes et des thèmes.

Dans ce grand chamboulement, le conte reste présent. Les évènements vont en effet permettre une certaine prise de conscience du rôle du conte et de son in térêt pour la jeunesse, comme nous avons pu le voir précédemment421. Ces derniers sont ainsi remplacés dans leur contexte historique, social et littéraire. M. De Courcy explique dans Le Livre populaire aux XIXème et XXème siècles que

« Depuis cette date, on a commencé en France à remplacer le texte dans son contexte, à considérer le conte comme une réalité sociale, une manifestation de l’oralité, et donc à le traiter, non plus comme un texte abstrait et désincarné dont seul le contenu, et parfois la forme linguistique seraient dignes d’attention, mais comme émanent d’une personne vivante, parlant à d’autres personnes vivantes, commune un moment de l’oralité unique, fugitif et toujours recommencé. »422

C’est pour cette raison que l’on commence à trouver, après mai 68, tant d’ouvrages critiques sur les Contes, inscrits dans l’histoire (particulièrement dans la fameuse querelle des Anciens et des Modernes) ou dans le courant littéraire de la mode des contes de fées et de la littérature précieuse. En ce qui concerne l’album, on trouve à partir de ces années des préfaces adressées aux enfants qui expliquent non seulement l’histoire sensationnelle de ces récits qui ont traversé le temps, mais rassurent aussi sur les « méchants » de l’histoire. Ces préfaces sont souvent réalisées sans l’aide d’historiens. C’est le cas par exemple pour l’édition de Litode 1988, illustrée par Monique Gorde et dont les textes sont adaptés par Claude Lanssade :

« Chers lecteurs,

Qui ne connaît pas les contes de Perrault ! Qui n’a jamais lu ces histoires fantastiques où s’affrontent bons et méchants, princes et sorcières, ogres et innocents !

Depuis 1710, date de parution du premier recueil complet des contes de Perrault, de nombreuses éditions ont vu le jour. Traduits dans toutes les langues, adaptés au cinéma, au théâtre, à la télévision, ces petits récits fabuleux sont comme autant de chefs-d’œuvre impérissables.

420 ESCARPIT, Denise, La Littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui , Paris, éd. Magnard, 2008, p.

19.

421 Cf. deuxième partie “La censure et la littérature de jeunesse : quand l’état, l’école et la critique s’emparent

des contes”.

422 Association nationale pour la formation et le perfectionnement professionnel dans les métiers de l’édition

Tous les lecteurs ont tremblé devant la fureur de l’ogre du Petit Poucet et la férocité de Barbe Bleue. Ils ont plaint Cendrillon, à qui sa belle-mère fait exécuter les plus pénibles besognes. Ils ont admiré l’astuce du Chat Botté et ils ont détesté le méchant loup qui veut croquer le Petit Chaperon rouge. En n’atténuant pas le caractère diabolique de certains personnages, Charles Perrault a parfaitement utilisé et respecté les traditions orales populaires. Certes, les méchants sont très nombreux, mais les atrocités qu’ils commettent ne font pas vraiment peur. On n’y croit pas, et l’on finit par en rire. » 423 Signée « L’éditeur », la préface s’adresse tant aux enfants qu’aux adultes- médiateurs, pour qu’ils puissent expliquer non seulement la bonne fortune de ces contes, mais aussi les aspects psychologiques des contes, notamment en ce qui concerne les antagonistes des contes.

La décennie suivante marque une étape majeure pour l’album, à savoir l’élargissement de son lectorat. Isabelle Nières-Chevrel explique que

« […] l’ouverture […] vers des lecteurs plus âgés, le profond renouvellement de l’invention graphique, la mise en œuvre d’une réflexion sur les matériaux du livre (format, typographie, couleurs, papiers), tout cela fut une révélation pour bien des adultes. »424

Cette ouverture permet notamment une reconnaissance de l’album par le milieu de la critique, reconnaissance qui va culminer en 1990 lorsqu’il est légitimé par l’institution scolaire. En effet, le Ministère de l’Éducation nationale intègre les albums aux listes d’œuvres de littérature de jeunesse et aux accompagnements des programmes, que ce soit pour les classes de collège ou de primaire.

« Cette reconnaissance est doublement importante. Elle empêche désormais de réserver l’album aux plus jeunes, puisqu’on le destine aussi aux enfants écoliers et aux adolescents collégiens. On reconnaît aussi que cette forme d’expression et de lecture nécessite des compétences multiples quant à l’approche complexe et diverse de l’image et du texte, voire une culture jusqu’alors sous-estimée. »425

Depuis longtemps déjà, les contes sont une matière privilégiée pour ce type de support, du fait de la richesse des productions et des facilités éditoriales (absence de droits d’auteur, réécriture facile, etc.). L’album, qu’il soit novateur ou non est courtisé dans le début des années 2000 par des éditeurs qui souhaitent tou s disposer d’une collection d’albums. Le mouvement de contestation de 1968 va cependant avoir un effet sur ces productions, bien qu’il soit décalé dans le temps et ne “frappe” de plein fouet les Contes de Perrault que dans les années 1980. Cette “lame de fond”, selon l’expression de Claire Delbard, entraîne « de profondes modifications de contenus dans la fiction et de formes graphiques dans la présentation de l’album » 426. Adaptations, réécritures, vont ainsi être monnaie courante dans les années 1980 et 1990, de même que les nouvelles formes

423 PERRAULT, Charles, LANSSADE, Claude (ad.), Les plus beaux contes de Perrault, Paris, éd. Lito, ill.

Monique Gorde, 28 cm, 1988, 187p.

424 PERRIN, Raymond, Littérature de jeunesse et presses des jeunes au début du XXIe siècle. Esquisse d’un état

des lieux. Enjeux et perspectives à travers les romans, les contes, les album s, la bande dessinée et le manga, les journaux et les publications destinées à la jeunesse , Paris, éd. L’Harmattan, 2007, p. 181.

425 Ibidem.

426 DELBARD, Claire, Le Père Castor en poche (1980-1990) ou comment innover sans trahir ?, Paris, éd.

d’albums, tels que les livres pop-ups qui vont être développés par des maisons d’avant-garde.