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1. INTRODUCTION

1.3. Problématique

1.3.4. Le territoire, espace structuré et structurant de l'activité humaine

1.3.4.1. Le territoire matériel et symbolique

La notion de territoire est polysémique. Nous proposons ici de retenir trois acceptions du territoire qui nous permettront, de manière idéal-typique, de caractériser les clusters culturels observés. La géographie le pose en espace physique, défini et délimité tant par des caractéristiques et contraintes topographiques - reliefs, cours d'eau, etc. - qu'administratives ou issues de l'activité humaine - découpage administratif, réseaux de transport, urbanisation, matérialisation des frontières, etc. Cette première acception ouvre nécessairement sur la temporalité des territoires : leur définition varie au fil du temps et de l'histoire. A l'époque qui nous est contemporaine, les territoires urbains, métropolitains, régionaux constituent une structuration, une organisation de l'espace par l'homme pour ses activités. En France, la dynamique de cette organisation s'illustre notamment par une fusion de territoires

constitutifs de régions28, ou à l'émergence d'un « Grand Paris », où la Ville de Paris

- une ville-département - s'associe à 130 communes qui l'entourent, elles-mêmes constitutives de trois départements et d'inter-communalités, L'objectif de ce processus historique réside notamment dans l'ambition de « construire une

28 Promulguée le 7 août 2015, la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) confie de nouvelles compétences aux treize régions - 22 aupravant - et redéfinit les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale. Quatre échelons administratifs locaux sont définis : commune, intercommunalité, département et région.

agglomération parmi les premières mondiales »29. Ensemble de ressources et contraintes naturelles, aménagées ou produites par les sociétés, le territoire reflète donc ici l'histoire de l'organisation des activités humaines. Les clusters culturels, en tant que dispositifs et lieux d'activité produits et animés par l'homme, participent donc de cette définition du territoire. Selon qu'ils se situent en milieu urbain à forte densité de population ou au sein d'espaces où l'activité humaine est dispersée, selon qu'ils sont ou non situés et incarnés en infrastructures et équipements, ils s'insèrent dans une histoire de nos sociétés et contribuent parallèlement à la construire [Pecqueur & Zimmermann, 2004]. Un lien fort se dégage donc ici entre les clusters culturels et les politiques ou dynamiques d'aménagement du territoire, elles-mêmes influencées par des idéologies ou modèles, par des ressources et contraintes, par des choix politiques ou administratifs. Lorsque ces derniers guident les projets de clusters, nous sommes dans le cas d'une « logique descendante » qui consiste en « l’un des degrés les plus aboutis du cluster comme organisation bureaucratique », en faible prise avec le tissu local [Sagot-Duvauroux, 2012, p. 44].

Dans le cadre de ces dimensions politiques et administratives, mais pas exclusivement par elles, le territoire constitue également l'espace d'un Ici, qui se définit collectivement et subjectivement en opposition à un Ailleurs. Cette seconde acception du territoire, identitaire, ouvre sur des processus communicationnels. Individuellement ou au sein de sociétés, de multiples univers sociaux, se construit un sentiment d'appartenance à un territoire, ou à des territoires. Si les configurations topographiques, physiques, administratives, politiques participent de ce processus, d'autres dimensions matérielles et symboliques entrent ici en jeu : les parcours personnels, familiaux et professionnels, l'adhésion à des communautés et réseaux, y compris numériques. La délimitation, subjective et singulière, de ces territoires peut se juxtaposer à celles des territoires administratifs ou politiques mais se définit toujours symboliquement et, là aussi, de manière variable au fil du temps. Le territoire, dans sa multiplicité, se définit donc ici dans un rapport à l'autre : proximité cognitive [Boschma, 2005], communautés d'action, cadres de référence symboliques contribuent à alimenter un processus permanent de construction identitaire individuel et collectif, par l'énonciation de soi aux autres. Pour ce qui nous concerne, les clusters culturels et les territoires sur lesquels ils sont situés et au sein desquels ils agissent s'insèrent dans ces processus communicationnels identitaires et sont susceptibles de générer ou renforcer des sentiments d'appartenance à de nouveaux territoires. Les clusters culturels constituent également de nouveaux territoires, tant pour les entrepreneurs qui y adhèrent - ou pas - que pour les acteurs locaux - qui voient apparaître dans leur environnement de nouveaux signifiants - et les

29 Source : Daniel Canepa, ancien Préfet d'Ile de France en charge de la conduite du projet sous la prsidence de Nicolas Sarkozy, novembre 2014. Voir https://www.lejournaldugrandparis.fr/ambition-grand-paris-daniel-canepa-veut-contribuer-faire-avancer-projet/

institutions qui disposent d'une nouvelle ressource pour la construction territoriale. Notons enfin que ces territoires peuvent constituer des « non-lieux » qui, en contrepoint aux lieux anthropologiques - qui se définissent par une identité, une relation et une histoire -, sont des lieux de passage - voies rapides, axes de circulation -, de consommation - galerie marchandes, stations service - [Augé, 1992]. Ces non-lieux se montrent pauvres en « sens », sans portée symbolique et donc affective, ne proposent aucun récit véritable et placent l'individu en situation d'anonymat. La signalétique l'architecture et d'autres aménagements peuvent alors permettre de compenser ce manque de sens pour transformer le non-lieu en un lieu anthropologique. Des phénomènes de patrimonialisation s'observent également, qui visent à conférer à une infrastructure, une architecture ou un site quelconque un pouvoir symbolique puissant. Nous veillerons à caractériser d'éventuelles expériences d'implantation de clusters qui seraient susceptibles de participer à une « sémiotisation » de territoires pauvres en sens ou sur lesquels se posent des enjeux de re-signification.

Enfin, nous poserons une troisième définition du territoire, qui s'appuie sur des logiques de projets, d'actions et activités dont l'organisation et les modalités sont définies, plus ou moins collectivement, dans un objectif précis et pour une durée déterminée. Ces territoires de projets peuvent émerger sous l'impulsion d'institutions ou collectivités - projets d'aménagement dont les pôles économiques, événements culturels, expériences de gouvernance du développement local, etc. - ou à l'initiative d'acteurs locaux, économiques ou non - occupation d'un lieu, collaboration et regroupement de compétences pour une action commune, mobilisations citoyennes, etc. Là encore, les référents symboliques, les modes de pensée constitutifs de réalités idéelles, mais aussi les rapports de force entre acteurs et les temporalités constituent un ensemble de facteurs, plus ou moins explicites, qui guident ce processus de construction des territoires de projets. Cette multiplicité de fédérations d'acteurs pose donc les territoires comme espaces de mise en concordance, même temporaires et situés, d'hétérogénéités matérielles et symboliques. Sous ce prisme, les clusters culturels constituent pour nous des territoires de projets. Economiques, humains, politiques, fonciers, sociaux, culturels… une grande diversité de projets à dimensions territoriales semblent s'incarner dans le cluster, ses membres, ses partenaires et ses activités. Nous nous attacherons à les caractériser dans la singularité de leurs conditions d'émergence et de développement et dans leurs temporalités.

Ces trois acceptions, que nous mobiliserons de manière idéal-typique pour nos observations, illustrent une complexité d'imbrications, de superpositions et croisements, peut-être de contradictions entre une grande diversité de processus qui relèvent de la construction de territoires. De manière subjective et singulière, chaque individu, chaque organisation plus ou moins formelle, construisent des territoires

pourtant destinés, ou contraints, à faire société. « Un territoire correspond à une réalité tout à la fois historique, socioéconomique, institutionnelle et géographique, dimensions qui convergent pour donner à un ensemble d'acteurs publics et privés la conviction d'un destin partagé, dont une partie au moins se joue à travers le territoire » [Meyronin, 2012 (2009), p.10]. Chaque territoire apparaît en fait multidimensionnel, lui même défini par une multitude de territoires matériels, relationnels, symboliques, sensibles qui contribuent à des actions communicationnelles identitaires.

Les infrastructures et équipements, les axes de circulation, le patrimoine bâti et culturel, les urbanisations et les communautés constituent donc des ressources qui peuvent être mobilisées, de manière dynamique, dans des processus communicationnels de mise en intrigue de signifiants. A ce titre, au-delà de leur matérialité, de leur fonction physique et tangible, ces ressources et ce qu'elles représentent revêtent une importance symbolique forte pour la construction des territoires. Tentons maintenant de caractériser les stratégies et tactiques, notamment communicationnelles, qui permettent aux identités territoriales de se construire, de s'énoncer et de s'affirmer, dans un objectif de reconnaissance au sein et hors des territoires.

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