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1. INTRODUCTION

1.4. Posture de recherche et méthodologie

1.4.1. Posture de recherche

Le sujet de cette recherche se situe à la rencontre entre les théories des clusters et les modèles de villes ou territoires créatifs. Nous nous appuyons sur les histoires et apports de ces deux objets d'étude, avec l'intention, formulée par notre hypothèse, de confronter de manière critique les notions qui les constituent aux réalités d'expériences observées sur le terrain.

D'une part, nous considérons que les clusters culturels constituent des dispositifs, destinées à être spatialement situés, de fédération d'acteurs économiques spécialisés. Dans la continuité d'une définition socio-territoriale des districts industriels [Becattini, 1992, p. 36], nous envisageons les clusters musicaux dans la diversité des relations, économiques ou non, développées autour de métiers centrés sur l'industrie musicale, mais qui relèvent plus largement des industries culturelles, des industries

créatives, voire d'autres secteurs économiques support ou transversaux. Nous posons donc que les clusters culturels constituent une forme, localisée et institutionnalisée, de réseaux relationnels d'acteurs économiques - majoritairement de petite taille - et locaux en situations d'interdépendances. Ce positionnement induit donc que ces réseaux s'avèrent marqués par de fortes hétérogénéités, qui concernent tant les parcours et projets des entrepreneurs que les formes de leurs organisations, leurs métiers et leurs pratiques. Nous veillerons à caractériser, si le cas se présente, des dynamiques spécifiques, notamment à l'initiative d'entrepreneurs et susceptibles de constituer une spécialisation économique et productive du territoire, avec ou ans l'appui de politiques publiques et institutionnelles. Le schéma ci-dessous pose les spécificités du modèle de cluster au regard d'autres formes d'agglomération spatiale d'acteurs économiques [Malmberg, Solvell & Zander, 1996]. Selon ces auteurs, le cluster se caractérise donc par le fait qu'il fédère des entreprises d'un même secteur économique et qu'il est animé par des dynamiques d'« innovation ».

Figure 4 : Différents types d'agglomérations d'entreprises. Source : Malmberg, Solvell & Zander, 1996.

La spécificité culturelle des clusters que nous proposons d'observer induit une exigence accrue d'attention à porter aux dimensions symboliques de leurs productions, qu'elles concernent les marchés ou des pratiques locales. En revanche, les travaux, notamment économiques, relatifs à l'innovation technologique qui serait favorisée par les clusters et milieux innovateurs ne nous semblent pas constituer un cadre prioritaire : l'industrie musicale, notamment au sein de TPE et PME, ne s'appuie que faiblement sur des activités de recherche et développement, même si la nature artistique des produits pose indirectement l'acte de création au coeur de la création de valeur. De même, l'importance des relations inter-personnelles et de pratiques fortement marquées par les esthétiques nous permettront de dégager

d'éventuelles démarches innovantes en terme d'organisation des acteurs et d'évolutions des pratiques, dans un secteur confronté à de fortes et profondes mutations des métiers et des rapports de force. A ce titre, les modalités de gestion des droits de la propriété intellectuelle et des droits voisins liés à l'édition nous semblent constituer un enjeu de fond, tout comme les gestions de compétences - notamment par la formation professionnelle - au regard d'une diversification et d'une spécialisation des tâches.

A un niveau macro-économique, nous situons l'émergence des clusters, à partir des années 2000 en France, dans la continuité d'une part de phénomènes visant le maintien de rapports de force internationaux à la faveur de grandes entreprises capitalistiques, et d'autre part dans le prolongement d'une période d'industrialisation des activités économiques, notamment autour de l'informatique et des technologies de l'information et de la communication. Basées sur une économie des connaissances [Porter, 1998] et sur des modèles structurels, contractuels et relationnels, les théories des clusters confèrent au territoire, sous ses diverses acceptions, un statut actif structuré et structurant pour l'action économique. La proximité, mais aussi la concordance matérielle et symbolique entre les activités, pratiques et modes d'organisation des entrepreneurs clusterisés et celles des autres acteurs du territoire, deviennent des enjeux fondamentaux qui constitueront une trame pour l'analyse de nos observations.

D'autre part, et en lien direct avec ce que nous venons de poser pour les clusters, un second objet d'étude pour notre recherche se construit autour du territoire et des dynamiques qui y sont en œuvre. Document historique et topographique, ressource ou contrainte, cadre d'action et d'organisation, espace de relations sociales inter-individuelles et collectives… le territoire que nous observerons est multiple, et nous l'aborderons dans cette diversité, où s'entremêlent matérialité et symbolique. Le temps constitue également une composante fondamentale du territoire, et nous situerons l'ensemble de nos analyses dans des dynamiques, des processus et phénomènes qui, conjointement, constituent des cadres matériels et symboliques pour les actions des entrepreneurs, des acteurs locaux et des acteurs institutionnels. Ainsi, nous situons bien évidemment le développement des clusters culturels dans une dynamique, observée à l'échelle internationale dans la plupart des grandes métropoles et en France dans de nombreuses villes et agglomérations, d'orientations institutionnelles qui placent la culture, et notamment ses formes les plus visibles, au coeur de nouveaux enjeux territoriaux. Les modèles des villes créatives et territoires créatifs constitueront donc des idéaux-types par lesquels nous tenterons de caractériser nos observations. Là encore, comme nous l'avons fait pour les clusters, nous envisageons les territoires créatifs sous deux prismes complémentaires. Tout d'abord, le statut central alloué à la « créativité », dans la diversité et l'ambiguïté de

ses acceptions, dans les politiques publiques d'aménagement territorial constitue une nouvelle clé de lecture et de construction des territoires. Observons-nous réellement, en conformité avec ces modèles, l'émergence de nouveaux modes de faire sur les territoires, de nouvelles cultures et pratiques inspirées de l'économie de la création et incorporées dans l'ensemble des activités humaines ? Ou observons-nous plutôt des phénomènes de re-mise en intrigue du territoire, de re-signification par des discours et cadres de référence partagés? Et plus précisément, l'histoire des clusters culturels observés et les rapports de force locaux qui ont guidé leur émergence constituent-ils des paramètres différenciants pour les processus de construction des territoires sur lesquels ils sont implantés ?

Par ailleurs, les territoires créatifs seront eux aussi abordés dans la continuité de processus anciens et internationaux. Nous les aborderons notamment, au-delà de leur histoire singulière, comme des espaces de jeux de pouvoirs, d'équilibres de rapports de force entre des normes, valeurs et cadres de référence relevant de l'action politique, de l'expression citoyenne et d'une domination croissante de représentations des rapports sociaux guidés par le marché et ses acteurs majeurs. Précisément, nous soulignons la concomitance entre le développement de tels territoires de la connaissance et l'hégémonie croissante à l'échelle internationale de quelques acteurs industriels oeuvrant dans l'économie de la connaissance. Ce positionnement, appliqué à l'industrie musicale et aux clusters musicaux, nous permettra de considérer le territoire - et les institutions qui contribuent à le construire - comme intégré - même si de manière singulière - à un processus global d'industrialisation de nos sociétés. Les enjeux de polarisation et de concentration, d'intégration de la culture et de ses acteurs dans des processus de rationalisation et de valorisation des productions, de précarisation générale des individus au travail constitueront notamment des prismes d'observation privilégiés.

Ces positionnements scientifiques posés face à notre sujet d'étude, nous cherchons donc à caractériser des dynamiques réciproques, concordantes ou non, à l'oeuvre entre des entrepreneurs de l'industrie musicale spatialement fédérés en cluster et des territoires et acteurs territoriaux. La singularité des phénomènes socio-économiques et des cadres symboliques dans lesquels chaque cluster se développe sur son territoire ne nous permet pas d'envisager une quelconque modélisation de ces interdépendances entre clusters musicaux et leurs territoires. L'objectif de notre étude de terrain est double.

D'une part, il réside dans la mise à disposition de données qui permettent de vérifier ou non notre hypothèse et, plus largement de confronter des situations vécues et ressenties à des théories et modèles génériques et abstraits. Au-delà de travaux d'économises et de géographes et à travers des questionnements propres à leur discipline, notre objet d'étude spécifique semble pour le moment peu exploré en

Sciences de l'Information et de la Communication. Nous nous appuyons cependant sur des recherches de terrain menées sur les entrepreneurs culturels par l'économie de la culture, la géographie, la sociologie de l'art ou l'anthropologie. Les sciences de l'information et de la communication, notamment dans les champs des industries culturelles et de la communication des territoires, nous fournissent quant à elles des matériaux de terrains voisins au nôtre – de développement territorial des TIC et notamment des clusters créatifs autour du multimédia, la communication institutionnelle, ou encore la territorialité de pratiques culturelles - et des analyses qui nous serviront de repères et indicateurs contrastifs.

D'autre part, notre étude a pour objectif de tenter de définir des idéaux-types, qui consisteraient en des abstractions de certaines des caractéristiques des situations singulières observées. Figés, ces idéaux-types pourraient permettre de souligner, pour chaque cas observé, des évolutions ou ruptures de tendances générales au fil du temps et de l'histoire des clusters musicaux. Les jeux d'acteurs, rapports de force, événements et temporalités constituent des éléments contextuels qui peuvent contraindre les différents types de partenaires à ajuster les variables de cette combinaison de modèles au fil du temps.

Nous proposons, sur ces bases, de préciser le terrain d'étude défini puis la méthodologie retenue pour son observation.

1.4.2. Huit clusters français d'entrepreneurs des musiques

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