• Aucun résultat trouvé

Le cluster culturel : une économie monde des biens symboliques intégrée à

1. INTRODUCTION

1.3. Problématique

1.3.2. Des industries culturelles aux villes créatives : un processus de

1.3.2.1 Le cluster culturel : une économie monde des biens symboliques intégrée à

Le cluster culturel se définit à partir de deux types de singularités tant historiques qu'économiques et sociales. D'une part, en tant que cluster, il s'inscrit dans une dynamique générale, évoquée plus haut, de développement de pôles compétitivité

pour la structuration et l'aménagement des territoires. Les districts industriels consistent, depuis plusieurs siècles, en la fédération localisée d'entreprises d'un même secteur dans les économies capitalistes. Les clusters s'intègrent par ailleurs à des politiques publiques volontaires, qui concernent la plupart des secteurs d'activité à haute valeur ajoutée. Cette caractéristique des clusters nous semble fondamentale au regard de notre objet d'étude car elle pose le cluster en espace de conjonction de deux processus économiques, l'un relevant de la sphère privée, marchande, et l'autre de l'action publique. Au sein du cluster, nous pouvons donc tenter de chercher les incarnations de différentes formes de concordance entre ces deux processus historiques. Nous poserons donc le cluster d'abord comme un espace de tentative de mise en concordance d'activités marchandes, souvent spécialisées et dans des secteurs concurrentiels fortement marqués par les phénomènes d'industrialisation et de mondialisation, avec des politiques ou actions relevant de l'autorité publique, qui concernent tant le développement économique que l'aménagement du territoire et le développement local.

D'autre part, le cluster culturel se définit par sa spécificité « culturelle ». Il s'apparente ainsi à un cluster, tel que nous venons de le définir, dont le champ d'action est la culture. Sans nous attarder sur la polysémie de ce terme, par ailleurs elle même liée aux contextes locaux, nous souhaitons souligner la forte ambiguïté qu'il véhicule. Ainsi, le cluster culturel est-il un cluster qui fédère des entreprises relevant des industries culturelles – voire d'une Industrie culturelle telle que posée par l'Ecole de Francfort -, ou consiste-t-il en un dispositif voué à la production de culture, sans que cette production relève de l'exclusivité des entrepreneurs culturels ? Cette ambiguïté nous semble constituer, pour les clusters culturels, un espace de friction, d'incertitude et de « ruptures communicationnelles » [Odin, 2011, p. 21] entre ses différents types de partenaires et notamment au sein des institutions, qui dissocient fortement leur action économique de leur action culturelle. Cette spécificité culturelle du cluster implique en tout cas de prendre en compte les spécificités et singularités de l'économie culturelle et de l'industrialisation des biens symboliques, tout comme la place - ou les places - accordée - s - à la culture dans les politiques publiques. Il s'agit bien pour nous de « penser la tension qui, continuellement, alimente la dynamique industrielle de la culture et de l’information » [Moeglin, 2012]. D'un côté, mais sans jamais totalement s'y soumettre, les productions culturelles tendent vers une standardisation liée à leur industrialité. D'un autre côté, parce qu'elles sont en crise de manière structurelle, ces industries sont contraintes à la recherche de nouvelles modalités d'action, d'innovation. Les clusters musicaux sont-ils susceptibles d'incarner cette tension entre des dynamiques globales, dominantes, et des phénomènes expérimentaux, dont le caractère original permettrait à leurs acteurs de se maintenir ou se développer ?

Enfin, le développement récent - depuis la fin des années 2000 - des clusters culturels s'opère dans les zones métropolitaines, elles-mêmes impliquées dans des dynamiques de distinction, d'attractivité et de concurrence sur des « marchés du territoire ». Dans le cadre d'une économie des territoires, ce contexte général et mondialisé d'une économie de marché en tension entre standardisation et distinction par l'innovation mobilise également les institutions et collectivités locales.

Nous tenterons donc d'observer ce phénomène et processus lié à l'industrialisation de la culture et de la production de biens symboliques dans cette tension et donc en permanence les équilibres de rapports de force. En ce sens, le cluster culturel sur son territoire pourra être considéré, de manière analogique, comme une « économie monde » [Braudel, 1985], à savoir un espace géographique déterminé - dont les limites sont variables dans le temps -, composé d'un coeur - une infrastructure ou une entreprise leader -, de un ou deux centres – un réseau d'entreprises ou acteurs publics qui ont contribué à sa création - et de zones périphériques – des partenaires, de différentes sphères sociales et économiques - elles-mêmes entourées de marges - d'autres acteurs culturels locaux. Nous nous interrogerons notamment sur les processus qui ont conduit aux choix des sites où s'implantent les clusters culturels observés, et leurs relations avec des espaces géographiques, administratifs, politiques ou socio-culturels périphériques et « marginaux », au sens d'au-delà d'une frontière, matérielle ou symbolique. Enfin, le cluster culturel « économie monde » sera observé du point de vue des relations hiérarchiques, de pouvoir et de dépendance entre le coeur dominant et les autres zones.

Notre cadre d'analyse des clusters musicaux se définit à une échelle locale - le quartier, la ville, l'agglomération urbaine, la région administrative -, afin de caractériser les formes singulières que prennent ces processus généraux dans chaque cas observé. Cependant, nous situerons les singularités de ces dynamiques locales dans un paysage et des dynamiques plus globales. Historiquement, l'industrialisation de la culture - et l'émergence de la notion d'industries culturelles - fait en effet l'objet de réflexions, déclarations, programmes d'orientations et autres directives au sein d'instances internationales.

Dès les années 1970, à des fins pragmatiques de lutte contre la domination marchande nord-américaine, le Conseil de l'Europe tente de doter ses membres d'outils favorables à une expansion de leurs industries culturelles et de leurs productions. En 1980, dans ce même souci de ré-équilibrage mondial, une première directive de l'UNESCO pose notamment le principe de l'intervention publique pour la stimulation et la valorisation des avant-gardes. L'objectif est alors de développer un « vivier », qui assurera sa regénérescence au capitalisme et stimulera le marché des produits culturels. Ce vivier se caractérise notamment par des conditions sociales précaires, assumées par ces acteurs cuturels face à une valorisation économique

potentielle mais aléatoire. Le maintien d'une partie de la main d'oeuvre dans des conditions de dépendance aux aides et assurances sociales constituerait pour le capitalisme un avantage économique au regard de formes d'emploi plus stables, dont le salariat [Herscovici, 1994].

En 1988, après plusieurs tentatives de consensus international sur la définition des industries culturelles, l'économiste Ramen Mallo pose les bases d'un glissement idéologique fondamental ; il identifie en effet les productions des industries culturelles comme des marchandises à contenu symbolique, conçues par un travail créatif, et avec une portée idéologique et sociale. Le produit importera désormais moins pour lui-même que pour ses effets symboliques.

En 1990, Gaetan Tremblay propose quant à lui une définition des industries culturelles résolument communicationnelle. Il souligne notamment « la double séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et d’exécution », du fait de la soumission de ces industries au modèle capitaliste et au marché. L'accent est ici mis sur les nouvelles organisations du travail de création, qui induisent « une perte croissante de contrôle des travailleurs et des artistes sur le produit de leur activité. »

L'organisation rationnelle de la production constitue également un enjeu central dans l'observation des articulations entre industries culturelles et créatives. Parce qu'elles sont structurées en secteurs industriels dont les modes de faire, types d'acteurs et modalités d'organisation s'avèrent singuliers, les premières constituent des cadres de référence pour les secondes, qui trouveraient dans leurs modes de fonctionnement « de quoi développer certaines formes de rationalisation industrielles adaptées à la dimension symbolique de leurs produits » [Bouquillion, Miège, Moeglin, 2013, p. 163]. Rappelons que, via une analyse idéal-typique des économies contemporaines, Max Weber pose cette rationalisation comme enjeu fondamental, en tension entre son statut de moyen et celui de fin en soi [Weber, 1995 (1922)] ; nous tenterons de souligner sous quelles formes les clusters musicaux participent de cette rationalisation des activités des entrepreneurs de la musique, mais aussi de celles des acteurs publics et institutionnels, ici impliqués au premier plan dans la dynamique d'évolution des formes de l'économie capitaliste et de l'industrialisation de nos sociétés.

Un dernier point nous semble fondamental pour cerner les contours de ces « économies mondes » que nous proposons d'observer. Celui-ci concerne l'apparition et le développement de la notion d'industries créatives, qui entretiennent dès leur émergence un rapport complexe avec les industries culturelles, les englobant tel un supra-niveau dont le périmètre reste cependant flou et implicite, ou se juxtaposant à elles, dans un rapport quasi-concurrentiel avec les activités de production de biens symboliques et de la connaissance. Ainsi, en 2008, la CNUCED prône un « modèle

multi-disciplinaire de la convergence de l’économie, la culture et la technologie, dans lequel la prédominance des services et du contenu créatif est privilégiée ». En intégrant la multi-dimensionnalité des sociétés industrielles - technologies, réseaux, information, connaissance, etc. -, l'Unesco pose ainsi la « création » et la « créativité » au coeur du développement et de la sortie de crise économique mondiale. Du même coup, cette convergence marque un changement radical du statut des biens culturels dans nos sociétés industrielles : leur valeur résiderait désormais moins dans leur dimension culturelle - leur pouvoir de mise en sens et de recomposition symbolique du monde - que dans leur capacité à constituer des ressources pour l'ensemble des activités économiques. D'ailleurs cette même organisation publie en 2011 une seconde « Charte sur la diversité culturelle » qui, sous prétexte de préservation de cultures minoritaires ou régionalistes, contribue cependant à poser une forme de contrat idéologique entre les créateurs et le monde marchand. Dans cette alliance admise comme rationnelle, les uns apporteraient une sorte d' « aura » distinctive et créatrice de valeur marchande, les autres des sources de financement et d'accès au marché.

Nous avons donc ici souligné la complexité des rapports que peuvent entretenir les phénomènes locaux d'émergence de clusters culturels avec l'économie de marché hégémonique et mondialisée. Lieu d'une rencontre entre des pratiques économiques singulières - nous avons identifié plus haut ces spécificités de l'économie et de l'industrie de la musique - et des politiques publiques ou dynamiques territoriales locales, les clusters musicaux constituent également ces « économies mondes », hiérarchisées, espaces de tensions entre acteurs et d'interdépendances avec d'autres territoires, d'autres espaces d'action économique, d'autres dynamiques sociales et culturelles. La notion même de culture y est travaillée, tant à travers les ouvertures aux marges – qu'elles concernent des types d'acteurs, des modes d'organisation et d'action, ou des formes esthétiques - que par les tensions entre industriels - ou entrepreneurs - de la culture et des acteurs économiques publics et privés qui privilégient la notion de « créativité » pour leur développement. Autrement posé, un enjeu fondamental est posé au coeur des clusters musicaux : celui d'une fonction de la culture et des biens symboliques, entre source d'émancipation individuelle et collective et ressource pour la valorisation marchande des activités économiques et des territoires.

1.3.2.2. Les industries créatives posent l'idée et la création comme

Documents relatifs