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Le financement de l'activité : entre besoin stratégique et cadre qui détermine

2. DES ENTREPRENEURS MUSICAUX ET DES CLUSTERS

2.1. Du créateur entrepreneur à l'entrepreneur créatif : l'enjeu de

2.1.3. Spécialisation, financement, diversification : les principaux enjeux des

2.1.3.2. Le financement de l'activité : entre besoin stratégique et cadre qui détermine

Deuxièmement, l'évolution récente du secteur, avec notamment un glissement important de la répartition de valeur aux dépens des professionnels de l'industrie musicale, influe sur la capitalisation de l'entreprise et le financement des activités et services fournis aux musiciens. La diversification des tâches et leur concentration au sein d'une même entreprise induit une augmentation de la prise de risques liée à un artiste ou une production. Les investissements, « en temps, mais aussi financiers, notamment pour la promo et l'édition et encore plus quand on travaille pour le secteur public qui paye rarement à moins de soixante jours », impliquent de disposer d'une trésorerie importante, susceptible de couvrir plusieurs mois d'activité, ou de pouvoir négocier avec des établissements bancaires. Selon l'ampleur des projets et les histoires des entreprises, certaines activités sont ainsi abandonnées ou minimisées, tandis que d'autres sont privilégiées pour leur capacité à générer de la trésorerie.

« Grâce à certaines activités comme le management, on est assez à l'aise en trésorerie, donc on peut investir 30 ou 40 000 euros sur un artiste s'il faut le faire. Et comme on est assez à l'aise avec notre banque, on peut lever des fonds assez rapidement ou demander des fonds au CNV. On a grossi : on était trois en 2000, et notre CA c'est aujourd'hui 2 millions d'euros, pas les 200 000 euros du début. euros. On a la chance d'avoir de la trésorerie depuis quelques années. Et on est très proches des sociétés civiles de type CNV ou Adami et autres, donc son sait les solliciter à temps si nécessaire. Mais c'est compliqué pour pas mal de gens. Même les fournisseurs galèrent tous, les relations sont plus tendues qu'avant, faut payer tout de suite... »

Ainsi, derrière cet enjeu du capital et de la trésorerie face aux besoins d'investissement pour les projets, c'est de nouveau la question du modèle économique des entreprises qui se pose et celle du risque, inhérente à l'industrie musicale comme à d'autres industries culturelles [Djian, 2005, p. 138].

Plusieurs entrepreneurs ou coordinateurs de cluster considèrent que chaque projet, même s'il s'appuie sur des tâches récurrentes, est assimilable « à une activité de recherche-développement où l'enjeu est de définir une stratégie de valorisation

44 Les Groupements d'Employeurs ont été légiférés en 1985 mais ne se développent dans le secteur culturel que depuis le début des années 2000. Une cinquantaine de GE Culture ont été créés en France, dont six en Ile de France.

adaptée ». C'est d'ailleurs dans cet esprit que, conformément aux recommandations du rapport de Steven Hearn et à l'initiative des ministères de la Culture et de l'Economie, un partenariat a été signé en 2015 entre l'Institut pour le Financement du

Cinéma et des Industries Culturelles - l'IFCIC45 - et BPI France46 afin d'offrir des

apports en fonds propres des financements aux entreprises culturelles et créatives. Lors d'un « Club Mila », un cycle de séminaires organisé par la coordinatrice du cluster, un représentant de BPI a notamment présenté ces services. Il arguait du fait qu'un dossier travaillé avec la BPI faciliterait le soutien par des organismes financiers de droit commun. Pour autant, des entrepreneurs choisissent de ne pas faire évoluer leurs modèles économiques et d'agir à la mesure de leurs moyens du moment, en cherchant des partenaires, voire, si nécessaire, « en investissant personnellement quand je crois au projet ». Davantage qu'une stratégie économique, ce sont ici des tactiques qui sont en permanence recherchées afin d'équilibrer les budgets. Notamment lorsque ces entrepreneurs sont eux-mêmes issus de la création musicale, il est d'ailleurs fréquent de trouver un studio d'enregistrement et les outils de mixage

e t d emastering au sein même des locaux des labels et producteurs. Dans

l'agglomération stéphanoise, les membres de Culture et Coopération ont quant à eux développé des pratiques et une culture coopérative qui s'appuie sur des apports au capital ou aides en trésorerie de la part du réseau à une entreprise en difficulté temporaire. Aucun des clusters observés ne propose d'outil propre de financement de l'amorçage - hormis en support de pépinières, à Saint-Etienne et Nantes - ou de l'investissement.

Troisièmement, les catalogues s'étoffent et les canaux de diffusion se diversifient,

notamment via des plateformes indépendantes47 et le développement de l'édition. Là

encore, les tactiques côtoient les stratégies. Un producteur et manager a progressivement valorisé des tâches qui, jusqu'alors souvent réalisées de manière informelles, relevaient de l'édition. Cette évolution ne repose pas sur une stratégie de fond mais sur une nécessaire adaptation des activités de son entreprise aux

45 L'Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles a été créé en 1983. Sur la base de fonds publics, il assure une garantie auprès des établissements bancaires afin de faciliter l’accès au crédit des entreprises culturelles. En 2011, sur un budget global de 20 millions d'euros, 10 millions ont été dotés pour le soutien au développement de l'offre légale de musique en ligne. En 2015, 1 million d'euros

supplémentaires ont été dotés pour le soutien au spectacle vivant musical. En 2015, 18 demandes ont été examinées dont 17 favorablement, représentant un total de 6 millions d’euros de prêts accordés en faveur de 16 entreprises (contre 2,2 millions en 2014 pour 13 entreprises), en appui de plus de 10 millions d’euros d’investissements (+40%). Source : IFCIC 2016.

46 Créée en 2012, BPI France est une Banque Publique d'Investissement destinée à soutenir les petites et moyennes entreprises innovantes. Son capital, d'origine majoritairement privée, est détenu par la Caisse des Dépôts et Consignations et l'Etat. Voir http://www.bpifrance.fr/Bpifrance/Nos-metiers/Innovation/Bpifrance-et-la-musique

47 La plateforme http://www.cd1d.com/ a été créée en 2011 à l'initiative d'une fédération de sept labels indépendants et revendique un fonctionnement inspiré de l'économie sociale et solidaire. 85 % des revenus issus des ventes sont reversés aux artistes et labels (contre 20 à 30 % sur des modèles classiques de distribution). 2 131 artistes issus de 280 labels – chiffres au 1er juillet 2016 - sont diffusés sur la plateforme, pour un volume de 28 259 titres en téléchargement.

évolutions du marché :

« Nous, on lutte en se diversifiant au maximum, sur les métiers. Au départ, il y a 90 % du CA qui se faisait avec la tournée. Maintenant, on est plus à 65 % de tournée, 10 % d'albums, 10 % d'édition, 10 % de management. On fait de l'édition, on produit des albums, du coup on a accès au crédit d'impôts, qu'on bascule aussi en partie sur la tournée des artistes quand on a les deux. On fait beaucoup de management, dont certains gros artistes qui font tourner la boite. Donc on est obligés de se diversifier, parce que la tournée, c'est quand même des métiers un peu hard. »

Un autre souligne la réduction importante des cycles de vie des productions, du fait d'une saturation du marché de la distribution. Sa réaction face à ce contexte a moins consisté en une diversification de ses métiers et tâches qu'en une qualification de son métier fondamental, via le renforcement de liens de confiance avec ses partenaires et une réduction du nombre de ses clients :

« Un artiste ne se rend pas compte que le jour où son album sort, il y en a cent autres qui sortent, et sans trop savoir pourquoi lequel marche. La distribution, c'est devenu saturé et la visibilité, la présence même d'un album dans les bacs, c'est de plus en plus un enjeu fondamental. La Fnac, par exemple, sur une nouveauté, ils prenaient trois mois de stock. Maintenant, c'est trois semaines. C'est la fuite en avant. Donc les distributeurs sortent de plus en plus de produits, qui ont de moins en moins de chance de survivre, de moins en moins de temps, de moins en moins de place. Moi, un peu à contre-courant, j'ai choisi de travailler avec quelques labels et artistes, que je choisis, et je les soutiens et les développe vraiment. Et c'est une formule qui fonctionne. »

D'autres encore tentent de développer de nouveaux concepts et produits :

« Moi, en plus du suivi de production, je me suis spécialisé dans la vente d'artistes pour des soirées privées. C'est un truc qu'on avait pas imaginé, et avec certains de nos artistes on a eu accès à ça, et c'est devenu une part du chiffre d'affaires pas du tout négligeable. On cherche des solutions. On est aussi en train de monter desdeals avec des chaines d'hôtels en France, qui veulent revaloriser leurs hôtels, on leur propose une quarantaine de spectacles à l'année, dans 3/4 hôtels différents où tous les samedis les clients pourraient aller voir un truc… on cherche toujours plein d'idées. Et puis il y a le crédit d'impôts. »

Concomitamment à ces entreprises musicales, des activités relevant des industries créatives se développent. La musique est ici une composante d'une expression « multimedia ». Parmi elles, quelques unes développent des concepts originaux – gravage de disques vinyls en séries limitées, merchandising, édition - qui trouvent dans le cluster un vivier de clients. D'autres, majoritaires, relèvent des métiers du numérique et de l'informatique : développement de sites web et d'applications, voire de plateformes de diffusion ciblées sur une esthétique ou réservées aux labels indépendants. Dans ces espaces économiques encore peu investis par les acteurs

internationaux dominants, ces entrepreneurs se développent sur un modèle économique de start-up, avec l'espoir de levées de fonds qui permettront la valorisation de leur entreprise, puis sa vente ou l'ouverture de son capital.

« Il ne s'agit pas de faire concurrence aux grandes plateformes qui brassent des milliers de titres. Nous, notre objectif, c'est à la fois de permettre aux amateurs d'un style particulier de musique d'accéder facilement aux productions de labels indépendants et peu visibles, et de tenter de mieux rémunérer les artistes et producteurs ».

Cependant, si les ventes de musique numérique streaming ou téléchargement -explosent en volume, elles génèrent encore des revenus peu conséquents pour les artistes et producteurs, notamment face à l'édition ou aux concerts et festivals :

« Le revenu digital, au début c'était ITunes, Amazon et la Fnac, et puis après, il y a eu des accords avec Spotify, Youtube et d'autres, pour nous c'est 3000 lignes, un énorme listing, pour 150 euros de revenus. Pour l'instant, c'est encore assez minime. »

Les activités et métiers liés à la production de musique enregistrée évoluent donc sous l'influence de phénomènes et dynamiques internationales, qui contraignent les entrepreneurs à adapter leurs pratiques, et à développer de nouveaux modes de collaboration. Si elle reste nécessaire et fondamentale au secteur, la production constitue désormais moins une fin en soi qu'une première étape dans un processus de valorisation des produits au sein de marchés diversifiés. L'édition, les festivals et le Live, constituent des activités de plus en plus centrales dans la création de valeur. La gestion des droits d'auteur et droits voisins, et les contractualisations qui la garantissent, est ainsi devenue primordiale pour ces PME de la production musicale.

2.1.3.3. Les politiques publiques soutiennent la formation des

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