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2. DES ENTREPRENEURS MUSICAUX ET DES CLUSTERS

2.1. Du créateur entrepreneur à l'entrepreneur créatif : l'enjeu de

2.1.1. La production de biens culturels musicaux : l'exclusivité des

L'économie de la musique repose sur l'articulation d'une grande diversité d'acteurs. Tous ne se retrouvent pas au sein des clusters musicaux observés. Ainsi, nous situons ces clusters dans un contexte local où ils ne constituent qu'une forme, parmi d'autres, de fédérations d'acteurs culturels. Nous les posons notamment aux côtés d'une part d'un ensemble, assez vaste et en croissance, d'amateurs et d'acteurs isolés ou fédérés sous des formes peu institutionnalisées, et d'autre part d'acteurs et dispositifs institutionnels qui oeuvrent dans les secteurs de la formation, de l'accompagnement ou de la diffusion.

2.1.1.1. Des réseaux locaux d'acteurs en marge des institutions

La démocratisation de l'accès aux outils de production musicale et aux plateformes de diffusion ont notamment permis l'émergence, ou du moins le renforcement, d'une population qui dispose de capacités techniques de création, de production et de diffusion comparables aux ressources exploitées par les professionnels. Amateurs, ils accèdent également à des cursus de formation et qualifient leurs pratiques, notamment dans les musiques actuelles et la musique électronique, pour atteindre des niveaux de compétences potentiellement suffisants pour une mise sur le marché de leurs productions.

Même si leurs réseaux de coopérations s'avèrent moins fournis et localisés, même si leur projet, serait-il animé par des objectifs économiques, se définit autour de la valorisation de leur propre expression artistique, et même si les effets de promotion et de valorisation via les plateformes et réseaux collaboratifs restent limités, ces acteurs participent néanmoins aux processus contemporains de recomposition du secteur de la production musicale et de l'économie de la musique. D'une part, leur activité de production et de sa valorisation, même au sein d'une économie de la culture, ne repose pas sur des processus majoritairement industriels. Qu'ils soient qualifiés d'amateurs, d'artisans ou de semi-professionnels, ces acteurs se retrouvent peu dans une démarche fédérative de cluster. Ils sont davantage présents dans des friches culturelles, squats d'artistes et autres formes peu institutionnalisées. Leur

activité se développe fortement au sein de réseaux locaux. Elle ne s'insère qu'à la marge, bien que nécessairement, dans un ensemble relationnel d'acteurs économiques régi par des rapports de force et des enjeux capitalistiques. Un adhérent d'un cluster souligne les nécessaires relations d'interdépendance entre toute forme d'artiste musicien et le marché :

« Avec l'internet, il y a un mythe du clic qui fait signer dans une grosse maison. Mais il y a toujours besoin de quelqu'un pour conseiller, en promo, sur le clip, sur le choix des morceaux de l'album, etc, pour attirer l'attention sur l'artiste. Nous, sans leur talent et leur créativité, on n'existe pas. Mais eux, sans nous pour communiquer avec le public, les professionnels et les médias, ils n'existent pas non plus. Et pour faire ça, c'est important de créer une relation de confiance. Je fonctionne avec mon coeur et ma tête. Il faut les bons éléments, mais aussi que je sente que je peux apporter quelque chose. »

D'autre part, les dynamiques territoriales, notamment d'origine institutionnelle, influent peu sur les pratiques de ces acteurs, sur leurs modes de faire et modalités d'organisation. Ceux-ci sont d'ailleurs parfois développés dans le souci prioritaire de se dégager de ces dynamiques locales, voire de s'y poser en résistance, comme si « la charge critique des innovations musicales et organisationnelles était explicitement liée au maintien de l'artiste dans la marge de la société, dans une distance aux lieux trop exposés à la domination des logiques officielles et marchandes » [Jouvenet, 2006, p. 226]. Certes, le modèle des villes créatives sollicite cette population, jusqu'alors isolée ou active au sein de friches culturelles et tiers-lieux et autres initiatives citoyennes d'expression des pratiques culturelles, qui sont tolérées ou rejetées par les institutions et collectivités locales. Le développement des scènes locales, y compris avec l'appui de SMAC et autres lieux de diffusion alternatifs ou privés - les cafés-concerts, espaces associatifs et autres clubs participent encore sur les territoires de l'expression d'une économie locale de la musique - constitue par exemple un contexte propice à ces pratiques. Ces acteurs constituent donc une ressource pour le territoire tout autant qu'ils en saisissent les opportunités pour leur démarche de création, de production et de diffusion. D'ailleurs, les collectivités locales développent des politiques visant à « Rapprocher le monde culturel de

l’économie »41, sur la base d'un postulat que « les acteurs ou associations du monde

culturel apparaissent souvent loin des réalités économiques, ce qui est du reste compréhensible de la part d’artistes. »

Cependant, nous avons construit notre objet d'étude autour de l'articulation de dynamiques territoriales locales avec des processus spécifiques de fédération spatiale d'acteurs économiques de la musique : les grappes et clusters. Nous nous limiterons à l'étude de ces dispositifs, sans nier leurs interactions avec d'autres formes de spatialisation de l'économie musicale.

41 Source : Rapport du Conseil de développement Economique Durable de Paris - CODEV -, Mairie de Paris, 2006.

2.1.1.2. Les lieux de diffusion et les réseaux institutionnels, partenaires des clusters musicaux

Les structures de diffusion musicale, ou plus largement de diffusion culturelle, constituent un second type d'acteurs économiques qui, de manière évidente, ancrent leur activité sur un territoire local. Leur activité s'avère fortement liée aux politiques publiques nationales et locales de soutien et de développement de la diffusion culturelle. Ces structures, que ce soit à l'échelle urbaine ou nationalement et internationalement, s'inscrivent toujours dans des réseaux de structures partenaires, tant pour la définition de leur programmation et la gestion de leurs publics que pour des échanges professionnels et la structuration ou la reconnaissance de leurs métiers. ParisMix et le Mila ont entretenu des relations avec de tels lieux de diffusion de proximité, dont le Centre municipal Barbara sur la Goutte d'Or. Pour autant, ces scènes, locales ou nationales, associatives, de statut public, ou entreprises marchandes, ne sont majoritairement pas spatialement associées à d'autres structures économiques du secteur de la production musicale. Dans leur rapport au territoire, elles constituent un lieu de rencontre entre des artistes et des publics et participent d'une valorisation, voire d'un « dispositif de visibilité » déployé par l'activité située [Voirol, 2005] et auquel les institutions sont attentives. D'ailleurs, depuis les années 1980, les politiques publiques nationales et locales concernent prioritairement le soutien aux structures de diffusion artistique et culturelle, dont la mission relève autant de l'animation territoriale que du développement économique. Les enjeux et problématiques des entreprises vouées à la diffusion culturelle leur sont spécifiques et nous les excluons de notre champ d'observation.

En revanche, sans pour autant caractériser leur activité, nous relevons la présence – ou l'association - de lieux de diffusion au sein des clusters musicaux que nous observons. En effet, au-delà de leur activité propre, ces cas de scènes impliquées dans un processus fédératif et mutualiste révèlent des intentions, stratégies, dynamiques singulières ; au regard de notre objet d'étude, ces lieux de diffusion prennent un sens particulier lorsqu'ils s'avèrent localement interdépendants d'activités de production, d'édition, voire de recherche et développement au sein des industries culturelles et des industries créatives.

Enfin, l'économie locale de la musique est également constituée de nombreux acteurs institutionnels. Etablissements d'enseignement et de formation musicale, agences nationales et régionales de soutien et de promotion, mais aussi festivaliers et grandes

entreprises associées auxmajors, constituent ainsi un contexte qu'il est nécessaire de

prendre en compte pour caractériser l'émergence et le développement d'un cluster musical. Selon les cas, ces acteurs sont des partenaires directs du cluster ou de ses adhérents, ou contribuent à définir un cadre d'action pour la dynamique de fédération et de mutualisation. Sans caractériser spécifiquement l'activité de ces

acteurs institutionnels, nous soulignerons leur éventuelle implication dans le processus de clusterisation, tant via les rapports de force auxquels ils participent que via le cadre symbolique qu'ils contribuent à forger sur le territoire.

Nous précisons donc ici le fait que l'économie locale de la musique ne relève pas exclusivement de l'activité de clusters musicaux, en fussent-ils des acteurs essentiels. Une grande variété d'acteurs contribue à cette économie, dans une dynamique extra-locale, et constitue un cadre d'action pour chaque cluster observé dans ses rapports aux dynamiques territoriales. Notre objet d'étude se limite donc aux processus locaux de fédération spatiale d'entreprises du secteur de la musique. Sans être exclus de nos analyses, les réseaux professionnels, les acteurs institutionnels, les lieux de diffusion et une diversité de formes de participation à l'économie de la musique constituent un environnement, matériel et symbolique, qui nous permettra de caractériser les singularités de chaque cas observé.

2.1.2. Des parcours d'entrepreneurs et des rapports au marché

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