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Les métiers qualifiants : les industries des biens immatériels et de la

2. DES ENTREPRENEURS MUSICAUX ET DES CLUSTERS

2.1. Du créateur entrepreneur à l'entrepreneur créatif : l'enjeu de

2.1.3. Spécialisation, financement, diversification : les principaux enjeux des

2.1.4.4. Les métiers qualifiants : les industries des biens immatériels et de la

Le quatrième type d'entreprises assure des métiers non spécifiques à l'industrie musicale, mais qui s'en nourrissent comme d'autres productions, symboliques ou non. Les entreprises informatiques et web, développeurs d'applications, organismes de formation ou d'ingénierie culturelle constituent un ensemble d'activités éclectique

et qui lient la production musicale aux industries créatives. Les prestations fournies relèvent d'une activité intellectuelle mais les temporalités et modes de faire se distinguent des processus de production et d'édition des œuvres musicales. Ces entreprises s'avèrent davantage capitalisées que les labels, producteurs ou éditeurs. L'industrie musicale s'appuie sur ces métiers selon deux dynamiques complémentaires. Les prestations de formation ou de montage de projets culturels constituent en effet des ressources qui permettent une qualification de l'activité économique des entrepreneurs musicaux. Leviers potentiels d'une meilleure compétitivité, voire d'une reconnaissance par des partenaires privés ou publics, ces ressources impliquent cependant de la part des entrepreneurs musicaux qu'ils acceptent d'adapter, de négocier, de modifier leurs pratiques. A de nombreuses reprises, des dirigeants de labels, managers d'artistes ou éditeurs ont soulevé leur difficulté à dégager du temps pour de se former ou former leurs équipes, mais également une réticence à intégrer de nouveaux modes de faire inspirés d'autres métiers que ceux de la production musicale. L'exemple des entrepreneurs « informels » de la Goutte d'Or illustre ce phénomène : ils ont rejeté le projet de clusterisation afin de préserver leurs pratiques. Plus tard, après la mise en place d'un programme de formation avec l'Irma autour des enjeux posés par le numérique, et sur la base de besoins ressentis par les entrepreneurs, une faible part d'adhérents de ParisMix et du Mila ont effectivement suivi ces formations. 50 % d'entre-eux déclarent préférer assurer eux-mêmes leur qualification, par l'expérience et la recherche de réponses ponctuelles à des besoins rencontrés. Ce constat se pose également pour les activités de veille, notamment numérique, qui relèvent davantage de tactiques individuelles que de réelles stratégies de recherche et développement. Nous retrouvons ici des caractéristiques des travailleurs des industries culturelles qui déploient un rapport « prototypal » [Djian, 2005, p. 139] à leur activité : aux modèles économiques et stratégies, notamment en terme de formation et qualification, sont préférés des pratiques de l'expérience, de tensions permanentes et sans cesse réactivées « entre salariat et free lance, professionnels et amateurs, travail à but lucratif/travail à but non lucratif » [Bouquillion & Le Corf, 2010]. Dans plusieurs cas observés, le recrutement de jeunes voire l'accueil de stagiaires davantage concernés par les usages et pratiques de la communication numérique constituent un axe essentiel de l'acquisition de nouvelles compétences au sein de l'entreprise. Le

community management, l'animation d'espaces numériques de promotion, voire le développement d'applications constituent d'ailleurs l'essentiel des missions de stagiaires rencontrés.

Les quatre types d'entreprises définis ci-dessus soulignent l'hétérogénéité des objectifs, pratiques, modes de faire et d'organisation qui cohabitent ou coopèrent au sein des clusters musicaux. Les entretiens menés et échanges informels montrent que les clusters ne constituent pas un ensemble homogène de relations

interprofessionnelles mais semblent fonctionner en cercles ou strates, selon une distance à l'acte créatif initial de l'oeuvre musicale. « Nos métiers changent énormément depuis quelques années, et on est tiraillés entre notre relation à l'artiste et à sa musique et un nombre croissant d'activités qui n'ont presque plus rien à voir avec la musique », résume la responsable de plusieurs labels. « Certains essaient, plus ou moins volontairement, de suivre en interne, d'autres préfèrent confier ça à des spécialistes. Mais ils ne sont pas toujours réceptifs à nos particularités. »

Un enjeu économique fort se dégage donc ici pour le cluster qui, même lorsqu'il est spécialisé dans l'industrie musicale, s'avère le lieu de rencontres de pratiques économiques très diverses mais pour autant interdépendantes. Le cluster est donc à la fois le lieu d'un entre-soi, qui fédère des entreprises et entrepreneurs aux pratiques et modes de faire relativement cohérents, et l'espace de dynamiques qui, bien qu'essentielles à l'économie de la musique et constitutives des industries culturelles, créatives et de la communication, constituent des ruptures, des confrontations avec d'autres cadres d'action relevant d'une diversité de métiers et secteurs économiques. Il s'agit donc pour le cluster musical d'un enjeu interne – nous verrons que ce même enjeu se pose vis à vis de partenaires extérieurs au cluster - de mise en concordance de cette hétérogénéité de cadres matériels et symboliques d'action.

Face à cet enjeu, et même si des modèles génériques proposent une palette d'outils, les services, actions et modes d'organisation de chaque cluster apparaissent nécessairement singuliers. Les cadres d'action des entreprises qui composent chaque cluster s'avèrent ainsi déterminants. Les entrepreneurs désormais fédérés via La Coursive Boutaric ou via MASphère configurent en partie le processus de développement de leur cluster dans la mesure où ils ont développé leur propre projet économique dans des cadres concordants et qui intègrent d'autres acteurs – et leurs modes faire, leurs modes d'organisation – que ceux relevant exclusivement de l'industrie musicale – action culturelle et développement local pour La Coursive, industries créatives et développement local pour MASphère. Dans d'autres cas, dont Le Mila qui a durant ses premières années choisi de n'accueillir que des labels et producteurs indépendants, la coopération avec d'autres types d'acteurs nécessite de la part du cluster d'autres moyens d'action.

2.1.5. PME et indépendants en quête de nouveaux modèles économiques ou en état d'adaptation ?

Les PME fédérées au sein des clusters sont confrontées à des enjeux économiques liés à l'évolution, via des rapports de force en faveur de quelques dominants, de l'organisation, des métiers et des modes de faire de l'industrie musicale. Ces enjeux concernent tant leurs modèles économiques – comment parvenir à assurer un

équilibre des ressources qui leur permette de se développer ? - que les compétences nouvelles à maîtriser, les organisations et partenariats à remodeler, ou encore les types de coopérations à établir avec des acteurs locaux et des acteurs publics. Pour autant, nous avons pu observer deux grands types de comportements des entrepreneurs de l'industrie musicale dans ce contexte. Si certains, notamment avec l'appui du cluster, cherchent de manière volontaire à expérimenter de nouvelles modalités d'action économique, d'autres, de manière plus ou moins assumée, tentent au contraire de contenir ces dynamiques de changement, parfois même en affirmant de manière radicale leur attachement à des pratiques établies dans ce secteur. Le cluster MASphère, à Toulouse, est issu d'une dynamique enclenchée dès les années 1990 au sein d'un réseau régional d'acteurs des Musiques actuelles, le réseau Avant Mardi. Plus récemment, notamment depuis 2012 lorsque s'est formellement créé un cluster autour d'une opportunité d'accès à un bâtiment dédié, de nouveaux entrepreneurs ont rejoint cette dynamique, majoritairement des individus plus jeunes et aux modes de faire distincts des fondateurs historiques. Une responsable du cluster estime que se situe dans cette rencontre un enjeu fort pour l'évolution des pratiques :

« En fait on est sur un cluster dont les adhérents sont les fondateurs qui se sont majoritairement regroupés pour occuper un lieu. Et au bout d'un moment, ça s'essouffle, il y a besoin d'impulser de nouvelles dynamiques pour qu'ils changent de vision sur ce que peut leur apporter le cluster, et éventuellement, ce qu'ils peuvent y apporter.

Et les nouveaux adhérents, sont beaucoup plus dans cette dynamique. Ils ont plus de besoins, ils ne sont pas originaires d'Avant Mardi. Et c'est pour ça qu'un des enjeux du cluster c'est qu'il grossisse. Pour avoir plus de poids face à la collectivité, mais aussi pour se pérenniser, tout simplement. Ces deux types d'adhérents, ils ne coopèrent pas, ils mutualisent un peu, mais pas de nouvelles manières de faire. En tout cas, on commence à travailler ça, et ça prend bien, malgré tout. »

Le cluster, initialement simple objet mutualiste, semble donc constituer ici un espace matériel et symbolique au sein duquel seraient susceptibles d'émerger de nouveaux modes de faire et de nouvelles modalités organisationnelles entre entrepreneurs comme avec les partenaires locaux et institutionnels. Au coeur de cette tension, considérée de type « générationnelle » par l'équipe de MASphère, se situe le rapport à la création, ou le sens donné aux métiers qui entourent les artistes musiciens. Au Mila parisien, cette tension s'observe également. « Moi, avant de me poser la question de la rentabilité d'un projet, je fonctionne au feeling, à la rencontre humaine, et au projet artistique », confie un directeur de label. « Je raisonne au projet et ce qui compte avant tout c'est de parvenir à réunir les moyens qui permettent à un artiste ou un groupe de s'exprimer, de créer la musique qu'ils ont envie de créer. » Un autre déclare en revanche « privilégier la cohérence de mon catalogue », afin que son label

dispose d'une identité forte, cohérente, lisible sur le marché, et quitte à développer plusieurs labels esthétiquement complémentaires. « C'est cette cohérence aussi que cherchent mes partenaires, même les banquiers et financeurs ». Cette tension pourrait ainsi se comprendre en une double polarité : celle de l'artiste musicien créateur et celle du marché et des opportunités économiques qu'il offre.

2.1.5.1. L'action publique induit un décloisonnement : l'industrie

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