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1. INTRODUCTION

1.3. Problématique

1.3.1. Les clusters, outils et arguments de la compétitivité marchande

1.3.1.4. Les ingrédients du cluster culturel

Le cluster culturel, du moins sous ses formes observées en France, est un dispositif matériel produit par la conjonction de plusieurs composantes. Les poids respectifs de ces composantes, elles-mêmes singulières sur chaque territoire, varient bien entendu d'un cas observé à l'autre, mais également au cours du temps. Nous proposons ici de caractériser trois types de problématiques d'acteurs susceptibles de justifier le développement d'un cluster culturel et d'en constituer l'argument local.

Les entrepreneurs et entreprises des industries culturelles constituent un premier type d'acteur, notamment du fait des profondes mutations des modes de production, d'organisation et de valorisation auxquelles ils sont confrontés. Pour ce qui nous concerne ici, le secteur économique et surtout industriel de la musique se caractérisent depuis les années 2000 par trois types de bouleversements. La numérisation des formats des produits musicaux a eu pour effet d'accroître leur accessibilité à l'échelle mondiale mais également de recomposer la chaîne de

production-édition-diffusion-promotion, progressivement au profit depure players

ou au bénéfice de nouveaux services mis en œuvre par les industriels du secteur. Ces

9 Traduit par nos soins : « Gentrification, cultural innovation, and physical upgrading of the urban environment (including the turn to post-modernist styles of architecture and urban design), consumer attractions (sports stadia, convention and shopping centers, marinas, exotic eating places) and entertainment (the organization of urban spectacles in a temporary or permanent basis), have all become much more prominent facets of strategies for urban regeneration »

phénomènes ont induit une nouvelle distribution de la valeur des produits musicaux entre les différents acteurs du secteur. Les rapports de force jouent globalement aux dépens de la création et des producteurs et en faveur des diffuseurs, notamment les nouveaux entrants. Enfin, les métiers mobilisés dans ce secteur se sont diversifiés et spécialisés – notamment les fonctions d'édition, de communication et de promotion.

Les labels multiplient ainsi leurs prises d'intérêts financiers sur les artistes[Esposito,

2015, p. 23] en négociant des droits voisins avec des industries en recherche d'une

distinction symbolique - mode, cosmétique, électronique, etc.

Une part de ces évolutions s'avère directement liée à l'industrialisation et peut être constatée dans d'autres secteurs. Néanmoins, l'industrie de la musique se distingue, y compris d'autres industries culturelles, par une diversité de marchés – citons notamment la musique enregistrée physique et numérique, le spectacle vivant, les produits dérivés, l'édition - ainsi que par des modes d'organisation des acteurs et du public fortement marqués par les usages – des pratiques et modes de faire variables

selon les esthétiques et les zones du monde, la convergence[Jenkins, 2006] et le

multi-support, le téléchargement illégal. Nous préciserons plus bas les enjeux qu'est susceptible de représenter le cluster musical pour les entrepreneurs du secteur.

Les acteurs institutionnels constituent le second type d'acteur, qu'ils relèvent de l'action politique et économique ou de l'administration et de la gestion. Les différentes formes de désengagement financier de l’État, les phénomènes de dé-territorialisation de la production industrielle et de marchandisation des territoires, les modalités de gestion administrative des strates territoriales constituent, entre-autres, un écheveau de dynamiques avec lesquelles les institutions tentent de composer pour organiser le développement local. En tension entre une exigence de permanence de leur action et une nécessaire redéfinition de leurs priorités et modes de faire, ces institutions oeuvrent dans le cadre de temporalités diverses et singulières. Entre les temps longs de l'aménagement du territoire et du développement culturel, social et économique, et les temps courts des mandats électoraux et des projets, les institutions s'appuient sur les acteurs locaux, parfois pour co-définir, souvent pour mettre en œuvre leurs stratégies. Le cluster culturel constitue l'un des outils, ou leviers, que mobilisent les institutions pour inscrire, spatialement et temporellement, leurs stratégies territoriales. Selon les cas, l'institution limite son action à la reconnaissance de dynamiques de clusterisation menées par les entrepreneurs, la soutenant à la marge, ou se posent en maîtres d'ouvrage et maîtres d'oeuvre de ces dispositifs dans le cadre de politiques économiques et/ou culturelles. Nous verrons que cette place qu'occupent les institutions, tout comme le mode de gouvernance qu'elles instaurent autour du cluster culturel, s'avèrent fondamentaux pour caractériser les liens qu'entretiennent le cluster et son territoire.

Le territoire, lui-même, constitue une troisième composante déterminante pour l'action du cluster culturel. A la fois espace géographique plus ou moins dense et bordé, espace d'échanges internes et externes, lieu de cohabitations, enjeu d'attractivité pour sa propre valorisation marchande, chaque territoire s'est construit au fil du temps pour constituer sa propre histoire. Matériel et relationnel, le territoire

se définit également en termes affectifs et symboliques[Stryckman, 1992], un Ici qui

se distingue d'un Ailleurs. Le cluster culturel se construit nécessairement sur cet ensemble multiforme de ressources et de contraintes que constitue le territoire. Nous nous attacherons ainsi à trois dimensions principales du territoire. La première acception est physique, le territoire étant d'abord constitué à partir de ressources « naturelles » locales [Greffe & Simonnet, 2006 ], qu'elles en constituent le relief et les limites ou qu'elles en orientent les flux et organisations. La seconde acception du territoire que nous considèrerons est politique et administrative. La délimitation spatiale et son identité politique sont figées et, si elles ne relèvent pas d'une totale abstraction, déterminent de manière catégorique et symbolique un espace d'action et des modes d'organisation institutionnelle. Nous nous attacherons notamment à caractériser les hiérarchies, complémentarités ou complexités induites par ces organisations institutionnelles - Europe, Etat, Région, Département, Agglomération, Commune, quartier, etc. - vis à vis de dispositifs tels les clusters culturels. La troisième modalité de perception du territoire est quant à elle sensible et intersubjective. Le territoire se définit ici comme un environnement matériel et symbolique, spatialement peu délimité, mais susceptible de constituer une ressource,

un « capital social et culturel » [Novarina, 2014] pour les entreprises culturelles. Cette

ressource peut s'exprimer en un phénomène de synergie, susceptible de « fonder la productivité des regroupements d'entreprises culturelles » [Greffe & Simonet, 2008] et donc de constituer un préalable à la formalisation et la structuration en réseau et en cluster. Elle consiste également en une « atmosphère », industrielle [Marshall, 1890] ou culturelle, parfois articulée autour d'identités locales [Callede, 2002] propices à la création et au développement de nouveaux produits ou modes d'organisation. Nous nous attacherons ainsi à situer les différentes dynamiques de cluster musical observées au regard de ces différentes acceptions du territoire, notamment pour tenter de caractériser dans quel contexte local prennent forme ces dynamiques fédératives localisées.

1.3.2. Des industries culturelles aux villes créatives : un processus

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