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Economie créative : la nouveauté comme ressource productive immatérielle

1. INTRODUCTION

1.3. Problématique

1.3.2. Des industries culturelles aux villes créatives : un processus de

1.3.2.3. Economie créative : la nouveauté comme ressource productive immatérielle

Comment caractériser, à travers l'histoire des sociétés industrialisées, cette nouvelle adhérence entre formes contemporaines du capitalisme et villes créatives ? La vie urbaine, liée notamment au développement des sociétés industrielles, se caractérise

dès la fin du 19e siècle par une recomposition des relations inter-individuelles et des

rapports aux espaces. Les industries culturelles, notamment le cinéma, y fournissent à la « masse errante » les espaces de rêves constitutifs d'une idéologie sociale [Benjamin, 2010 (1934)]. La fantasmagorie de la ville confond intériorisation de l'environnement urbain et sa reproduction créative collective. Dès cette époque, un lien essentiel se tisse entre productions des industries culturelles, ville et capitalisme : cette idéologie s'appuie sur un savant équilibre entre la standardisation symbolique, condition de son hégémonie, et l'instauration d'espaces dédiés à l'utopie et à la création, conditions de sa revivification permanente. Ces espaces publics, qui ont permis l'animation d'une vie intellectuelle et critique au cours du 20ème siècle, se sont progressivement institutionnalisés puis privatisés. Après les « trente glorieuses » et avec le début de la désindustrialisation de nos sociétés, la production de richesse délaisse progressivement la rationalité de l'ingénieur et la mécanisation des process pour le foisonnement des initiatives et la prégnance croissante d'un modèle basé sur la propriété intellectuelle. D'ailleurs, en France dans les années 1980, l'économie de la culture connaît un changement de fond, qui contribue notamment à valoriser la création au regard du développement culturel et économique. Les politiques publiques de soutien à la diffusion, ainsi que la valorisation des pratiques amateurs et des « cultures urbaines », marginales, constituent deux dimensions qui ont contribué à renforcer la place des pratiques culturelles et créatives dans le développement des territoires. Progressivement, la ville affirme sa capacité créative et les institutions s'appuient sur celle-ci pour le développement et l'attractivité de leurs territoires. Une « écologie de création » se développe, et constitue un cadre stratégique pour orienter l’urbanisme des « villes créatives » et le rôle de l’infrastructure culturelle publique et privée, afin de constituer un milieu dans lequel la créativité peut s’épanouir [Gollmitzer et Murray, 2008]. Dans nos villes contemporaines, l'économie créative constitue désormais un enjeu central de leur développement, marquant « le dévoiement de l'idée de créativité au service d'un projet politique et économique » [Vivant, 2012, p. 216]. Les incidences politiques de ce phénomène résident, entre autres, dans « la reconnaissance du droit d'auteur » appliqué à des productions

jusque-là situées hors du champ de l'« authorization » et dans « l'aménagement du

code du travail », notamment en généralisant la précarisation et l'autonomie qui caractérisent les artistes et travailleurs du secteur de la culture. Notons d'ailleurs la concomitance en France entre l'affirmation des modèles de villes créatives dans la

plupart des métropoles et la « Loi sur le travail »19 fortement contestée pour sa rupture avec des modèles de relations employeurs/employés basées sur une certaine sécurité de l'emploi et des garanties de protection sociale. Sous cette perspective, l'artiste semble bien être devenu sinon l'archétype, du moins « la figure exemplaire du nouveau travailleur » [Menger, 2002, p.8] de nos sociétés contemporaines.

Quelles incidences le développement et l'affirmation d'une économie créative peuvent donc avoir sur les modes d'organisation et d'action des entrepreneurs de l'industrie musicale ? Tout d'abord, et notamment lorsqu'ils adhèrent à un dispositif territorial tel un cluster culturel, se pose certainement à eux une nécessaire réflexion sur leur statut ou le positionnement de leur activité dans ce cadre non-exclusivement culturel. La vocation de leur activité réside-t-elle toujours dans la production exclusive de biens culturels, dans la poursuite de pratiques artistiques préalables à la clusterisation ? Ou, de manière plus ou moins assumée, leur activité est-elle vouée à nourrir ou stimuler d'autres activités non culturelles, à constituer un vivier pour le territoire et ses acteurs ?

Autrement posé, derrière ce questionnement identitaire, c'est bien l'enjeu de l'articulation des modèles socio-économiques des industries culturelles et ceux des industries créatives et de l'économie créative qui est posé de fait par le cluster culturel. Et sur ce point, que peut-on observer de l'évolution des pratiques et modes d'organisation de ces entrepreneurs de la musique ? Sont elles affirmées parce qu'elles seraient désormais adoptées par les entrepreneurs d'autres secteurs ? Apparaissent-elles, au contraire, bouleversées ou remises en cause par des pratiques relevant de ces autres acteurs ? Une troisième orientation, intermédiaire à ces deux positions, nous mène à une définition de l'économie créative exprimée dans les

rapports des pays nordiques publiés à la fin des années 200020.

Afin de rendre valorisables sur les marchés les productions symboliques, notamment les créations artistiques et culturelles, l'esprit d'entrepreneuriat doit être promu auprès des créateurs, qui y sont présentés comme en étant par défaut dépourvus. Le droit de la propriété intellectuelle, les principes de gestion et de management financier constitueraient notamment les leviers de cette transformation du « créateur » en « entrepreneur », voué à agir sur des marchés locaux comme internationaux

19 La Loi sur le travail , dont l'avant projet de loi a été présenté en février 2016 et discuté en mars 2016 à l'Assemblée nationale, a été définitivement adoptée en juillet 2016. Bien que présentée par le Premier Ministre comme « Un grand pas pour la réforme de notre pays : plus de droits pour les salariés, plus de visibilité pour nos PME, plus d’emplois » - Source Le Monde du 21 juillet 2016 -, cette loi, au final peu débattue par les parlementaires qui ne l'ont pas votée, a soulevé de vives réactions dans la plupart des secteurs économiques et réseaux politiques pour ses orientations libérales et a provoqué de fortes contestations et mobilisations sociales.

20 Une dizaine d'études et rapports nationaux et internationaux ont été publiés entre 2007 et 2009 par des pays de l'Europe du Nord, et la Commission européenne. Parmi eux, le rapport international du Nordic Innovation Centre, Creative economy green paper for the Nordic region, publié en 2007, pose l'esprit d'entrepreneuriat comme vecteur essentiel de la transformation des biens symboliques en bien marchandisables.

[Bouquillion & Le Corf, 2010, p. 13]. Les clusters culturels, notamment lorsqu'ils sont impliqués dans un projet territorial de développement d'une économie créative, peuvent-ils être considérés comme des outils, ou étapes, de ce processus ? Ces clusters ne pourraient alors plus être uniquement considérés comme des dispositifs de soutien, ou même de valorisation, d'une économie locale de la culture et de la création. Ils deviennent, sous ce prisme d'une économie créative, des espaces de création d'entrepreneurs producteurs de biens symboliques pour l'ensemble de l'économie. Finalement, « la question n'est pas tant celle de la fusion des industries culturelles dans les industries créatives ou de l'alignement des industries créatives sur les industries culturelles que celle de l'intégration des premières dans l'ensemble des industries de biens symboliques dont les secondes sont, elles aussi, l'une des composantes » [Bouquillion, 2013, p. 153]. Si ce processus peut être relevé dans les clusters musicaux observés, la principale conséquence que nous pouvons en tirer repose sur la prédominance d'une fonction de « courtage informationnel » pour ces dispositifs économiques territoriaux. Davantage que de conforter des pratiques des entrepreneurs culturels ou que de les modifier au regard d'autres modèles, les clusters s'apparenteraient alors à des « plateformes d'intermédiation » dont l'activité serait « structurante et créative », tant pour ces entrepreneurs culturels que pour le territoire lui-même, dans le cadre affirmé d'une économie créative.

Via des modes d'organisation et de faire en recomposition permanente, l'économie créative se développe sur les territoires dans une dynamique qui la dépasse et au sein de laquelle se rejoignent des valeurs, des pratiques, des modes d'organisation du travail et de la production inspirés tant des industries culturelles et de l'économie de

la culture que d'activités qui mobilisent, à un moment ou un autre duprocessde

production et dans des proportions variables, un travail de construction d'idées nouvelles. Les technologies, la connaissance, l'information, les signifiants symboliques constituent des ressources supposées rendre possibles ces productions permanentes de nouveautés. Dans quelle mesure retrouvons-nous dans les expériences de clusters musicaux, ces dynamiques de convergence qui, au-delà des productions musicales elles-mêmes, incitent les entrepreneurs, de manière implicite ou explicite, à participer à la production de valeurs symboliques pour le territoire et ses acteurs comme pour les entrepreneurs d'autres secteurs d'activité ? Pour cela, nous proposons de préciser ci-après le contexte local dans lequel émergent des dispositifs inspirés des théories des clusters. Ce contexte, matériel et symbolique, sera ici encore appréhendé de manière idéal-typique, en posant notamment le principe de territoires qui ont délibérément choisi, de manière plus ou moins affirmée et volontariste, de poser la culture et la création au coeur des enjeux de leur développement.

1.3.2.4. Villes créatives : la créativité organisée sur et pour les

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