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LE TEMPS DE L’AVENTURE

A. Un temps référentiel attesté historiquement

4. Le temps des pirates

De tout temps, il y a eu des pirates qui ont écumé les mers. Fajardo, pour sa part, évoque les pirates des XVe, XVIe et XVIIe siècles dans l’Atlantique, dans la Méditerranée et dans les Caraïbes.

Dans Carta, il ne peut pas être question des pirates des Caraïbes puisque Colomb vient juste de découvrir Les Bahamas, Cuba et Haïti. Cependant, le héros, Domingo, en se remémorant son Pays Basque natal, fait allusion aux assauts des pirates sur la côte atlantique :

[...] y verles arrremeter contra los indefensos indios con tal saña trajo a mi memoria la ferocidad de los corsarios de Bayona que entraron a sangre y fuego en Lequeitio el último verano. (Carta, 135)

Cette allusion aux féroces corsaires français ancre la fiction dans le monde bien réel de la piraterie européenne de cette fin de XVe siècle. On note un autre rappel de cette réalité à la fin de Carta, quand Domingo se réfère aux Grands de ce monde qui envoient leurs corsaires voler pour eux, « enviar corsarios que roben como ladrones » (Carta, 149). Si le motif pirate commence à émerger par petites touches dans Carta, il devient majoritaire dans Converso. Le XVIIe siècle est évoqué mais le XVIe siècle l’est aussi car si les héros de Converso sont nés vers 1600, leurs ancêtres, dont il est fait allusion, sont forcément du siècle précédent qui est le siècle du corsaire le plus célèbre de tous les temps, Drake. Evelyne Pieller souligne son importance :

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Francis Drake fut le plus grand marin de son temps et si efficace pirate que la reine Elizabeth Ier préféra le mettre à son service contre pourcentage plutôt que de lui couper la tête comme l’aurait voulu la loi60.

Le personnage historique est mentionné à plusieurs reprises avec une autre figure emblématique, Walter Raleigh. Ces deux personnages sont cités par Gilles Lapouge. Celui-ci les qualifie de « pirates d’honneur » C’est dire leur importance. Ils étaient les « chiens de mer » de la reine d’Angleterre :

On les appelle les « chiens de mer ». Ils opèrent au temps de Shakespeare, sous le règne de la reine Elizabeth Ier [...] Ils s’appellent [...] Walter Raleigh [...] et surtout Francis Drake61.

Leur présence, dans Converso et Mi nombre, même s’ils ne jouent pas de rôles dans l’intrigue, renforce cet ancrage historique relatif à l’univers pirate. Leur ombre pèse sur l’existence des personnages. Ils sont dans leur esprit. Ils sont des modèles d’aventuriers. Tomás et Mendieta racontent des pans de leur vie :

[...] un noble de carácter aventurero y mala cabeza llamado sir Walter Raleigh, quien según supe años después había ejercido de corsario y descubridor para acabar haciéndose ejecutar por desobedecer las órdenes reales, pues había vuelto a piratear en las Indias españolas, pese a la prohibición del rey Jacobo [...]. (Converso, 283)

Bird a vécu sur l’île de Roanaoke, appelée Virgine en hommage à Elisabeth Ier, « la reine vierge », cette colonie que Raleigh, « el impulsor de aquella colonia » (Converso, 284) fonda en 1584 sur la Caroline du nord actuelle. On voit que le destin de la famille de Bird est lié à ce fait historique car on apprend que si le père et la mère du personnage se sont installés dans cette colonie, c’est parce qu’ils furent incités à le faire par « el futuro de prosperidad y de abundancia que les había pintado » (Converso, 284) Raleigh. Il s’agit ici de l’illustration de l’historicisation de la fiction. Les faits sont exacts. La colonie fut fondée en 1584. L’étude du temps de l’histoire nous a permis de déterminer que le père de Bird est parti d’Angleterre pour rejoindre cette colonie vers 1587. Tout concorde en effet. C’est bien l’époque où la jeune colonie prend forme et se développe. Tomás fait allusion à la fin du célèbre corsaire, qui fut décapité en effet, sous le règne de Jacques Ier pour avoir désobéi aux ordres royaux, « para acabar haciéndose ejecutar ». Tomás précise, « según

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Èvelyne Pieiller, L’almanach des contariés, Éditions Gallimard, 2002, p. 12.

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55 supe años después ». C’est une façon de rappeler que Raleigh se fit exécuter bien après la fondation de cette colonie, en 1618 exactement. Les date sont respectées.

Quant au personnage de Drake, ses différentes attaques du port de Carthagène des Indes sont mentionnées dans Mi nombre :

[...] durante el saqueo de la ciudad por el corsario inglés Francis Drake, una de las balas [...] alcanzó la casa [...]. Aquel era el tercer ataque que sufría Cartagena [...]. (Mi nombre, 176)

Le fait historique a une incidence sur l’intrigue puisque la femme de Domingo Mendieta, l‘un des deux fils de Luis Torres, est tuée.

Il est question aussi de lui lors d’une conversation sur le bateau le San Juan Gaztelugache. Le capitaine serait un parent de Don Juan Sebastian Elcano, un personnage historique, le premier marin à avoir fait le tour du monde. Une controverse débute au sujet de Drake à qui la Reine d’Angleterre aurait attribué cette prouesse alors que le fameux marin fit ce tour du monde cinquante-huit ans après Elcano. C’est ce que le capitaine du bateau affirme à Bird :

[...] su paisano el capitán Drake realizó su periplo cincuenta y ocho años después de que Elcano fondeara frente al puerto de Sanlúcar de Barrameda [...]. (Converso, 64)

Cette anecdote souligne le rôle du fait historique qui vient alimenter la fiction. Le temps des pirates et des corsaires est donc évoqué à travers la référence aux figures emblématiques de cette époque. Mais il est aussi évoqué à travers les communautés qui se sont formées comme les Frères de la côte ou la République pirate de Salé.

La communauté des Frères de la côte est présentée dans Converso, lors d’une conversation avec le capitaine du bateau le San Juan Gaztelugache, Tomás Bird et le capitaine Contreras :

Algunos de esos hombres [...] han venido a sentar plaza en la isla de la Tortuga [...] hace más de diez años que estas tierras fueron abandonadas por los colonos españoles [...] y así no han tardado en sentarse allí tramperos franceses, a los que llaman bucaneros, que comercian con la carne del asilvestrado [...].Tampoco han faltado colonos ingleses [...] y también aventureros holandeses que ha tiempo que vagan por el Caribe en sus pequeñas embarcaciones y toman el nombre de filibusteros. (Converso, 66-67)

56 Bird cite les trois nationalités qui formaient cette communauté qui se constitua au début du XVIIe siècle, dix ans avant la scène du roman en effet, vers 1610, « hace más de diez añõs ». Ces hommes prônaient la liberté totale, l’égalité, la répartition du butin équitable :

[...] pues se presumen de hombres libres [...] cada quien es su rey [...] Si botan uno de los escasos barcos que tienen, lo hacen embarcándose todos en calidad de iguales [...]. (Converso, 69)

Le personnage de Tortuga Johnson donne d’autres informations sur cette confrérie pirate qui transmet cette idéologie pirate qui se développe à la même époque à Salé. Lors de ses retrouvailles avec Bird qui a passé son enfance sur la Tortue, il évoque cette période des frères de la côte et notamment l’attaque de Campeche qui est un fait historique avéré. Cette attaque mémorable fut livrée par le pirate hollandais Cornelius Goll et le renégat espagnol Diego Mulato :

[...] y en el de mil seiscientos y treinta y tres tomó parte de asalto al puerto de Campeche que llevaron a cabo el navío de su patrón junto a los de otro pirata holandés, llamado Cornelius Goll [...]. (Converso, 321)

Le temps des pirates est aussi un temps où de grandes batailles sont livrées. Fajardo choisit de placer l’une des péripéties de Converso en 1640, qui est l’année d’une bataille qui eut lieu sur La Tortue entre les Frères de la côte commandés par le gouverneur Le Vasseur et les Espagnols. Nous remarquons à nouveau une grande exactitude dans la présentation des faits. Celle-ci met l’accent sur la défaite des Espagnols et la mort tragique de nombreux soldats, qui furent achevés sur le champ de bataille :

Le Vasseur había mandado colocar sobre la torres almenadas el paño rojo de combate sin cuartel, y allí mismo, entre súplicas y llantos, fueron degollados [...].(Converso, 353)

Algunos de los españoles fueron rematados cuando estaban a punto de auparse a sus chalupas, otros sucumbieron en la orilla, luchando con arrojo haste el último suspiro. (Converso, 354)

L’Histoire raconte que Le Vasseur avait tendu une embuscade aux Espagnols, « Lorsque les Espagnols réussirent à poser le pied sur l’île, ils se rendirent compte