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La découverte et la conquête de l’Amérique 1 L’ombre de Christophe Colomb 1 L’ombre de Christophe Colomb

LE TEMPS DE L’AVENTURE

A. Un temps référentiel attesté historiquement

1. La découverte et la conquête de l’Amérique 1 L’ombre de Christophe Colomb 1 L’ombre de Christophe Colomb

L’ombre de l’Amiral plane sur l’existence des héros de Carta comme sur celle de Diego Atauchi de Mi nombre.

Le premier roman Carta se déroule en 1493, à l’époque du premier voyage de Christophe Colomb. Dans Mi nombre, cet ouvrage « fictif50» est cité. Tiago, le héros, en possède un exemplaire dans sa bibliothèque :

[…] la edición facsímil de la llamada Carta de la Villa de la Navidad, que el historiador dominico William Mateo-Sarabia había publicado en la Universidad de Granada con motivo del V Centenario del descubrimiento, rescatando así del olvido el primer testimonio de la conquista del Nuevo Mundo. (Mi nombre, 91)

Ainsi, à l’intérieur de la fiction, un personnage du troisième roman de la trilogie atteste de la véracité des propos du personnage du premier roman. Domingo fait donc oeuvre d’historien sans le savoir et ce qu’il nous livre, s’il s’était avéré qu’un des trente-neuf hommes de Colomb avait survécu, est bien le témoignage d’un événement historique, « el primer testimonio de la conquista del Nuevo Mundo ».

Colomb est arrivé en décembre 1492 sur l’île qu’il a baptisée Hispaniola et il repart pour l’Espagne le 4 janvier 1493. Dès les premières lignes de Carta, le lendemain de ce départ, le narrateur Domingo, se remémore cet événement. L’ancrage historique est annoncé d’emblée :

50

41

Ayer partieron las naves. La barca del Almirante fue la última en dejar la playa [...]. (Carta, 17)

L’allusion à Colomb est clair, avec l’emploi du terme, « Almirante ». Ce titre avait été donné par les Rois Catholiques au découvreur qui avait été nommé Amiral de la flotte océane. Las Casas l’appelle aussi par ce nom lorsqu’il recopie son journal de bord. La figure historique de Christophe Colomb est plusieurs fois mentionnée dans le récit mais elle n’intervient pas en tant que personnage dans la fiction. Comme Walter Scott ou Alejo Carpentier, Fajardo relègue au second plan les figures historiques de cette importance. La présence de Colomb agit plutôt en tant que référent historique. Les personnages de Carta, qu’ils soient réels ou inventés par Fajardo, sont les hommes de Colomb. On s’attend à ce que son influence se fasse sentir même s’il est reparti en Espagne. Mais l’ombre de Colomb est également palpable dans les autres romans. Dans la relation de son aventure, Diego Atauchi se réfère au découvreur :

Nací en el año del Señor de mil quinientos y noventa y nueve, en el día doce del mes de octubre de manera que vine a conocer la vida […] el mismo día en que, según ha sabido, se cumplen años de la llegada de Don Cristóbal Colón. (Mi nombre, 125)

Colomb a en effet atteint l’île de Guanahani un 12 octobre. Pourquoi Diego fait-il ce rapprochement ? Peut-être pour signifier que l’arrivée de Colomb fut un jour funeste pour son peuple car cette arrivée annonçait la venue du Conquistador Pizarro. Diego veut suggérer qu’il a un destin tragique car il est né le même jour que celui qui a initié l’ère de l’esclavage et de la domination. D’autre part, Diego se place donc du côté des vaincus et de l’autre côté de l’Histoire officielle qui place « Don Cristóbal » en héros. Diego rappelle à juste titre que la terre où il est né n’a pas à s’appeler « Nuevo Mundo » puisque des royaumes et des Empires s’y sont succédé bien avant l’arrivée des Espagnols. On voit comment les personnages de Fajardo s’inscrivent dans leur époque. Les figures historiques sont présentes dans leurs pensées. La fiction est assujettie à l’Histoire. En ce sens, le temps des personnages est historique. Le destin de Diego est lié au destin d’un peuple qui a beaucoup souffert, « raro capricho del azar, que así parece haber querido unir mi destino al de estas tierras tan abundantes en riquezas como en sufrimientos » (Mi nombre, 125). Le personnage se réfère ici aux souffrances d’un peuple conquis et colonisés, le

42 peuple inca. Le temps de Colomb, c’est-à-dire celui de la découverte et de la conquête, vient se superposer au temps de l’existence de Diego qui correspond à celui de la colonisation. L’ombre de Colomb pèse sur le personnage, qui s’inscrit dans une réalité historique indéniable, celle des vaincus.

Dans Carta, un autre événement majeur relatif à l’histoire de Colomb est mentionné dans le récit. Il s’agit du naufrage de la Santa María :

[...] la pila de maderas que rescatamos del naufragio de la Santa María [...]. (Carta, 17)

Ce naufrage eut lieu dans la nuit du 24 décembre 1492. Ce fait est décrit avec beaucoup de détails par Domingo :

[...] la mala cabeza del marinero Gonzalo Franco le llevó a dejar el timón, la pasada noche del veinticuatro de diciembre, a Martin de Urtubia [...] inexperto en el gobierno de la mar, con mala fortuna vino a ambarrancar la Santa María en un arenal salipado de piedras tan cortantes como cuchillos y ahí se ha quedado para que la desguacemos. (Carta, 20)

C’est bien un jeune marin, inexpérimenté, un « grumete » qui causa le naufrage du bateau. Ce fait est reporté par Las Casas quand il recopie le carnet de bord de l’Amiral :

[...] todos se acostaron a dormir y quedó el governallo en la mano de aquel muchacho, y las aguas que corrían llevaron la nao sobre uno de aquellos bancos [...]51.

Colomb avait interdit formellement que l’on donne le gouvernail aux mousses car les fonds marins pouvaient être dangereux pour les bateaux :

[...] el marinero que governaba la nao [...] dexo el governallo a un moço grumete, lo que mucho siempre avia el Almirante prohibido en todo el viaje [...]. El Almirante estava seguro de bancos y de peñas52.

Quand Fajardo fait dire à son personnage que le mousse Urtubia est inexpérimenté, c’est tout à fait exact. Quant au banc de sable « salpicado » de « piedras tan cortantes » évoqué par Domingo, il révèle les dangers que représentaient ces fonds marins, les « peñas » auxquels se réfère Colomb. On voit

51

Cristóbal Colón, Textos y documentos completos, Edición de Consuelo Varela, Diario del primer viaje, Madrid, Alianza editorial, p. 177.

52

43 comment Fajardo, dans un souci de véridiction historique, se sert du carnet de bord pour donner à son histoire un ancrage historique attesté. Il en rajoute même dans la mesure où il cite le nom du mousse dans le récit et qu’il le fait figurer dans la liste des personnages de la réalité qui figure dans l’appendice, alors que ce nom n’est pas mentionné par Colomb :

Martín de Urtubia : nacido en Anchitua (hoy Nachitua), Vizcaya. Grumete de la nao Santa María. (Carta, Apéndice, 176)

Fajardo se sert d’un autre détail relatif à la biographie de Colomb. Certains biographes du découvreur pensent qu’il avait un secret. Il s’agit de la « tradición del piloto desconocido53

». Dans Carta, Don Rodrigo, un personnage réel, rongé par la fièvre de l’or, fait allusion à ce secret :

Don Cristóbal tenía oculta la derrota que habría de llevarnos a las Indias y que otro marinero le había hecho entrega del secreto antes de morir. (Carta, 45)

Il se réfère au « piloto desconocido » dont parle Manzano :

[...] muchos historiadores, antiguos y modernos han tratado de dilucidar lo que hay de cierto, falso o simplemente dudoso en el apasionante relato de las andanzas de un piloto, de nacionalidad y nombre desconocidos, que navegando por el mar tenebroso unos años antes que Colón [...] llegó al parecer arrastrado por fuerte tormenta a aquellos parajes [...]. En su viaje de regreso [...] este navegante arribó a una de las islas portuguesas del atlántico [...] en donde se encontró a Cristóbal Colón, amigo suyo [...] a quien comunicó [...] su inesperado hallazgo y el lugar exacto donde se encontraban las tierras [...]54.

Fajardo se sert donc de cette histoire pour alimenter la folie qui gagne Rodrigo. La cupidité le dévore et si, de plus, il est au courant de ce secret au sujet du marin inconnu, on peut très bien imaginer qu’il pense que Colomb avait aussi un secret concernant l’or :

Y juro ante Dios que parte principalísima de ese secreto es el exacto lugar en que se halla la mina de oro, gritaba Don Rodrigo cada tanto [...]. (Carta, 45)

53

Juan Manzano Manzano, Colón y su secreto, Madrid, Ediciones Cultura Hispánica, 1976, p. 61.

54

44 Nos recherches ne nous permettent pas de dire si un marin faisant partie du premier voyage pouvait être au courant de ce secret. Le premier « cronista » à l’évoquer est Gonzalo Fernandez de Oviedo en 1535, d’après Juan Manzano Manzano :

El año 1535 publicaba en Sevilla este cronista la primera parte de su

Historia General y Natural de las Indias. En el capítulo II del libro segundo

[...] nos refiere asi Oviedo [...]. « Dícese, junto con esto, que este piloto era muy íntimo amigo de Cristóbal Colón [...] y marcó aquella tierra que halló de la forma que es dicho, y en mucho secreto dio parte dello a Colom [...]55

.

Le nom de l’Amiral est à nouveau cité lors du périple de Domingo à travers l’île Hispaniola. Le narrateur et ses compagnons arrivent au golfe où Colomb et ses hommes ont accosté avec leur deux caravelles :

[...] quisimos saber si había pasado por estas tierras el Almirante, después de dejarnos en la villa de La Navidad, y se nos dijo que así era. Las dos caravelas habían fondeado en el golfo [...]. Supimos que después partieron las naves rumbo al este, más allá del alto monte, que según se nos dijo, los cristianos llaman Monte Cristi [...]. (Carta, 66)

Colomb est arrivé en effet au golfe de Manzanilla le 4 janvier et il a donné à la montagne qui le surplombe le nom de Monte Cristi :

Un monte muy alto que quiere parecer isla, pero no lo es, porque tiene participación con tierra muy baja, el cual tiene forma de un anfanaque muy hermoso, al cual puso nombre Monte Cristi […]56.

Fajardo s’appuie sur le journal de bord de Colomb. Les informations sont exactes. Des termes similaires sont employés. Las Casas, en recopiant le journal de Colomb, évoque « un monte muy alto » et Domingo dans Carta, « el alto monte » également. Le nom donné à cette imposante montagne est bien le « monte Cristi ».

La période historique postérieure à la destruction de la première colonie fondée sur l’Hispaniola est également évoquée dans les lettres qui apparaissent à la fin de Carta. Il s’agit de lettres fictives échangées entre Diego Colomb et l’évêque de Burgos, Fonseca. Si les documents sont fictifs, les événements décrits sont rigoureusement exacts. L’époque évoquée s’étend de 1495 à 1517. En 1515, Diego

55

Ibid, p. 61. 56

Los cuatro viajes del Almirante y su testamento, Madrid, Edición y prólogo de Ignacio B. Anzoátegui, Espasa –

45 Colomb écrit cette supposée lettre à Fonseca, il est effectivement à cette époque, vice-Roi des Indes, « Diego Colón, Virrey de las Indias » (Carta, 173). Il a en effet remplacé à ce poste Nicolas de Ovando, en 1509, « Don Nicolás de Ovando a su partida, hace seis años » (Carta, 171). La mise aux fers du chef Caonabo qui eut lieu en 1495 est également évoquée :

Caonabo a quien Don Alonso de Hojeda puso preso con hierros [...]. (Carta, 171)

Enfin, deux personnages historiques clés de cette période sont évoqués, Montesinos et las Casas, ainsi que les fameuses lois de Burgos éditées en décembre 1512, c’est-à-dire, selon la fiction, un peu plus d’un an avant la lettre supposée de Diego Colomb, qui elle, est censée dater du 7 janvier 1515 :

[...] las nuevas leyes aprobadas en Burgos, hace pocos más de un año. (Carta, 173)

Cette datation rigoureusement exacte renforce l’ancrage de la fiction dans une réalité historique indiscutable.

1.2 La colonisation de l’Amérique : l’ombre de Pizarro et

des grands chefs Incas

Il pèse sur les personnages, et notamment sur Diego du récit enchâssé

Relación de la guerra del Bagua de Mi nombre, un temps ancestral, celui de la

conquête de la terre des Incas par Pizarro. C’est pour Diego un temps ancestral dans la mesure où cette conquête a eu lieu plus de soixante ans avant sa naissance. Diego est né en 1599. Pizarro conquit le Pérou en 1533. Diego a eu connaissance de cette invasion par sa mère ou par les anciens de la communauté :

De algunos de ellos fui testigo, de muchos otros tuve noticia de labios de mi madre y de los más ancianos del ayllu, que todavía recordaban el infausto día en que relucieron por vez primera en tierras cajamarquinas los cascos y las armas de los hombres de don Franciso Pizarro. (Mi nombre, 128)

Le poids de ce passé tragique pèse sur le personnage de Diego. Le destin terrible des grands chefs Incas comme Atahualpa, Quizquiz et Rumiñavi a forgé le caractère de Diego dont le « conflit privé » coïncide avec le « conflit historique ». Ce qui est propre au roman historique :

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Dans le roman historique en effet, il s’agit de faire coïncider le conflit historique et le conflit privé57 [...].

Diego est l’illustration « en personnage » de ce « conflit historique » qui fait naître chez les jeunes générations cet esprit de révolte. Le personnage a eu connaissance de la mort tragique de ces trois grands chefs :

[...] la cruel muerte que dieron al Inca Atahualpa y la tenaz resistencia que opusieron algunos generales quiteños, como los valerosos Quizquiz y Ruminavi [...] el primero murió a manos de sus propios hombres, que [...] le ahorraron la humillante rendición, y el segundo fue ejecutado tras sufrir atroces tormentos [...]. (Mi nombre, 128)

Ce temps des héros qui sont tombés, inlassablement raconté par les anciens et agissant comme un temps mythique fondateur, a fini par créer et exacerber cette haine tenace qui aboutira aux révoltes incas :

Noche tras noche, historia tras historia, los jóvenes aprendíamos a odiar a los invasores [...]. (Mi nombre, 129)

Diego est le représentant fictif de ces rebelles incas qui se révoltèrent bien après la conquête définitive du Pérou qui eut lieu officiellement vers 1570. L’histoire de Diego se déroule entre 1626 et 1632. Ce capac Amaro cité dans Mi nombre est un personnage fictif comme il pourrait être l’un des derniers rebelles incas. Fajardo imagine la formation de groupes de rebelles incas après la mort du grand général Quizquiz :

Me habló de los dispersos grupos de rebeldes incas que habían sobrevivido en la espesura desde los tiempos del general Quizquiz, sin apenas contacto entre sí, hasta que Capac Amaro se unió a ellos hacía más de cincuenta años [...]. (Mi nombre, 191)

Donc, Diego évolue dans une époque historique bien réelle. Il s’agit de la fin de la conquête du Pérou et des derniers soubresauts d’un peuple à l’agonie dont quelques-uns des membres se révoltent par petits groupes dans la forêt.

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