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Analepse à petite amplitude : Carta del fin del mundo et Relación de la guerra del Bagua et Relación de la guerra del Bagua

Conclusion partielle

A. L’ordre bouleversé

1. Le récit analeptique

1.2 Analepse à petite amplitude : Carta del fin del mundo et Relación de la guerra del Bagua et Relación de la guerra del Bagua

De par la forme du récit dans ces autres oeuvres : récit épistolaire ou journal de bord, l’analepse sur laquelle se base le récit, ne peut être que de petite amplitude. Dans Carta del fin del mundo, le narrateur écrit toujours ses lettres et le récit de son aventure toujours peu de temps après l’avoir vécue. C’est le même procédé pour la

relación. Le narrateur se situe temporellement très près des actions qu’il narre et

nous verrons que le récit revêt un caractère particulier, puisque les sentiments du personnage sont en étroite relation avec les événements qu’il vient de vivre

.

Les deux récits de Carta del fin del mundo et de la relación de la guerra del

Bagua présentent donc des similitudes. C’est pourquoi nous les traiterons ensemble.

Même si le récit de Carta del fin del mundo prend la forme d’un récit épistolaire puisque le narrateur dit écrire à son frère resté en Espagne, il s’avère que c’est plutôt un journal de bord que le personnage écrit pour raconter son périple dans l’île Hispaniola. Voici ce qu’il déclare :

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Porque estos papeles que me han acompañado en tan difíciles tiempos, han terminado por parecer más un diario de a bordo que una carta […]. (Carta, 132)

Le roman se compose de treize séquences qui correspondent en réalité à différents passages d’une seule longue lettre écrite au fur et à mesure que se produisent les événements. Les seuls procédés qui apparentent le récit à une lettre, sont d’une part l’entête qui stipule l’année et le lieu d’écriture et les expressions spécifiques au récit épistolaire comme « Caro hermano », incorporées directement au récit. Le narrateur sait que sa lettre n’arrivera pas à destination. D’ailleurs, elle n’est pas signée. C’est ce que stipule, à la fin du roman, Diego Colón, à qui Don Nicolas de Ovando a remis cette lettre six ans plus tôt. Naturellement, ces faits sont fictifs. Ce qui nous intéresse ici c’est de bien voir que cette lettre est en réalité une seule longue lettre confession écrite très près des événements qu’elle narre. C’est aussi le propre du journal de bord. Alors dans cette perspective, comment étudier le temps du récit premier ? En réalité, la lettre n’est pas écrite d’une seule traite. Elle est bien sûr interrompue, à plusieurs reprises, en fonction des conditions même de l’écriture, qui sont périlleuses. Il y aura donc autant de récits premiers que d’interruptions. Les dites interruptions sont en fait les journées. Il y a un temps pour l’aventure et un temps pour le récit de l’aventure. La rédaction de ce récit s’effectue le soir au coin du feu, si les conditions le permettent. Les treize séquences mentionnées plus haut correspondent à un moment privilégié où le héros narrateur a pu écrire. Au début ou à la fin du passage le narrateur stipule à quel moment il rédige :

Pero ahora, son otros rigores los que me obligan a dejar la pluma por esta noche. (Carta, 22)

[...] y tan sólo escribiendo estas líneas logro aquietarla, en tanto por esta noche húmeda y nubosa, presagio sin duda de futuras tormentas. (Carta, 51)

Mas, ahora, puedo escribirte, en el sosiego de la noche, al amparo de las palmas que cierran este gran golfo [...]. (Carta, 51)

Une autre technique employée est celle d’utiliser l’adverbe de temps, « ayer ». Cette analepse à petite portée permet aussi de rappeler le temps où le récit premier est écrit :

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Ayer abandonamos, por fin, el poblado del cacique Mayamorex [...]. (Carta, 64)

On note cependant que de nombreuses phrases indiquent que le moment de l’écriture est le soir. Mais on peut dire que ce temps du récit premier même s’il se situe au même moment pour chaque jour de rédaction, n’est jamais vraiment le même car il est en étroite relation avec les événements racontés et les sentiments du personnage changent au gré de ces événements. Ce qui est propre au récit épistolaire ou au journal de bord :

[...] ya casi está apagada la hoguera y a duras penas puedo escribirte estas palabras. (Carta, 94)

Te escribo esto, caro hermano [...] desde que hace cinco días te relatara [...]. (Carta, 107)

Parfois, la situation d’écriture est encore plus périlleuse que les précédentes, comme dans la séquence onze :

[...] pues sé que me ronda la muerte y quizás sean estas palabras, las últimas que te dirijo [...]. (Carta, 132)

Le lecteur est captivé et ressent l’angoisse du narrateur qui est peut-être en train d’écrire les derniers mot de son existence car il est en danger de mort. Puis, dans la séquence suivante, les conditions sont plus propices :

Son más de cien días que nada te escribo. Tal vez sea que la felicidad hace al hombre perezoso [...]. (Carta, 150)

Le récit premier est donc clairement identifiable. Les analepses sont la plupart du temps à petite portée et l’amplitude s’étend sur une journée. Cependant certaines lettres sont écrites plus de temps après les événements. Dans la séquence 1, le narrateur écrit dans la nuit du 4 au 5 janvier 1493 ; il rédige sa lettre au début du 5 janvier et il remémore ce qu’il a fait durant cette journée du 4 où le bateau de Colomb est reparti pour l’Espagne. Dans la séquence 2, c’est deux semaines après le 4 janvier qu’il écrit. Dans la séquence 3, il écrit également une nuit mais on ne sait pas quand exactement. Dans la séquence 4, c’est deux jours après la mort de Jacome Rico qu’il écrit, c’est-à-dire le 12 mars 1493. Fait attesté comme on peut le lire dans

120 le récit du deuxième voyage de Colomb : « que Pedro y Escobedo mataron ». Le découvreur précise : « uno que se llamaba Jacome [...] 90».

Dans la séquence 5, on apprend que Domingo écrit le 30 mars 1493 et qu’il va raconter les faits qui se sont déroulés depuis le 12 mars. L’analepse a une portée plus longue, un peu plus de deux semaines et une amplitude plus importante également. Le récit est plus dense, les faits narrés sont plus tragiques, le rythme s’accélère. Le lieu où se trouve le narrateur a son importance. Domingo dit à son frère qu’il n’est plus au fort et qu’il va expliquer pourquoi. L’aventure à travers l’île a commencé et le lecteur ainsi que le destinataire de la lettre pénètrent progressivement dans celle-ci au fur et à mesure de la lecture. Dans la séquence 6, le narrateur narre l’arrivée dans le village tranquille de Mayamorex qui s’est produite un jour plus tôt. Cette arrivée était déjà annoncée dans la séquence précédente. La séquence 7 a une analepse de 3 jours et décrit la longue progression des Espagnols sur le fleuve Yaqui. La séquence 8 décrit cette fois-ci les Espagnols en train de se frayer un chemin difficilement à travers la forêt et ils ont trois prisonniers indiens. L’analepse d’une portée de quelques heures (il écrit le soir) va lui permettre d’expliquer la présence de ces prisonniers, une jeune fille et deux jeunes garçons. Ceux-ci ont été capturés dans la journée dans le village du chef : Cayainoa. La lettre 9 est rédigée cinq jours après le récit de la captivité des indiens. Des faits atroces se sont produits. La jeune indienne a été violée et l’un des jeunes garçons s’est pendu à un arbre en tentant de s’échapper. D’analepse en analepse le lecteur s’aperçoit que l’histoire narrée est de plus en plus tragique et le fait qu’elle soit narrée par le narrateur personnage, qui vit ces événements peu de temps avant de les raconter, renforce cette tension. C’est un témoignage, un récit presque en direct, un reportage de guerre ? Le jeu sur le temps permet au narrateur d’organiser cette tension. On remarque que certains événements, tragiques, comme la mort atroce du jeune indien, sont des événements clés sur lesquels se base une analepse structurante. C’est ce que l’on remarque dans la séquence 10

:

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Cristóbal Colón, Textos y documentos completos, Edición de Consuelo Varela, Alianza editorial, Madrid, 1982, p. 243.

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Muchas jornadas han pasado desde el aciago día en que murió ahorcado el mayor de los hijos del señor Cayainoa y solo ahora recobro el ánimo para escribirte, hermano [...]. (Carta, 118)

C’est vers la fin du passage que l’on apprend la date du temps du récit. Il s’agit du samedi 27 avril 1493.

Le début de la séquence 11 décrit le personnage dans une situation fort périlleuse :

[...] pues sé que me ronda la muerte [...]. (Carta, 132)

À la fin du passage, on apprend qu’il a de la fièvre et qu’il est dans une grotte, à côté d’un homme mort : le Yucémi qui n’est autre qu’un marin portugais qui s’est fait passé pour un Dieu auprès des indiens. La séquence raconte comment Domingo en est arrivé là.

La séquence 12 présente le personnage dans une situation favorable qui dure depuis trois mois. C’est la période pendant laquelle le personnage a vécu une idylle auprès de l’indienne Nagala, dans le village de celle-ci. Cette période est sur le point de s’achever. La séquence 13 présente le personnage le lundi 2 septembre, le jour de sa mort. La lettre va s’achever. De retour au fort, Domingo entend les voix des indiens qui s’apprêtent à assiéger La Navidad. Le récit est en simultané, en direct, pourrait-on dire. Tel un reporter de guerre moderne, le narrateur décrit les événements au moment où ils se produisent.

Cette étude nous montre l’importance des analepses pour structurer le récit. Le lecteur est sans cesse renvoyé dans le passé plus ou moins récent suivant les cas.

Quant au troisième récit que nous étudions, il s’agit d’un récit enchâssé dans le roman Mi nombre es Jamaica, qui se nomme Relación de la guerra del Bagua. Le mot relation signifie le fait de relater ou de rapporter en détails des événements. On parle également de la relation d’un témoin. Donc, celui qui écrit une relation c’est aussi quelqu’un qui apporte un témoignage sur un événement. Enfin, il ne faut pas oublier que le mot relation est employé depuis de XVe siècle avec le sens de récit fait par un voyageur ou un explorateur. Bartolomeo de Las Casas avait intitulé son livre sur la situation des indiens des colonies espanoles, Brevísima relación de la

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destrucción de las Indias. Au moment d’étudier ce récit, il ne faut pas oublier ces

différents aspects. Le personnage se réfère lui-même à son récit en utilisant le mot relación :

Y así el tiempo ha dado alcance a esta relación […]. ( Relacion, 286)

Il faut souligner la particularité de ce récit enchâssé. Celui-ci est écrit par un personnage du XVIe siècle, Diego Atauchi, et il est rapporté de façon discontinue à l’intérieur de la diégèse principale. En effet, c’est l’héroïne principale de l’époque moderne, Dana qui est en train de lire cette relation. Elle la lit de façon interrompue et elle la transmet au lecteur de deux façons. Soit, les phrases écrites par Diego, sont rapportées directement :« He decidido ser un tigre » (Mi nombre, 125). Soit la narratrice les rapporte de façon indirecte : « Diego Atauchi había aguardado, impaciente, el día del anunciado viaje a Cajamarca del Virrey del Perú » (Mi nombre, 145)

On notera que le style direct est plus employé que le style indirect. Cinq passages seulement sont au style indirect. On note la volonté de l’auteur de garder l’esprit du journal de bord, dans lequel le récit est toujours à la première personne du singulier. Quoi qu’il en soit, dans sa lecture de ce récit enchâssé, le lecteur est tributaire de la lecture du personnage et il découvre en même temps que lui la structure de ce récit.

Le récit commence comme une autobiographie. Le personnage se présente, stipule son année de naissance et dit qu’il descend des Incas, il déclare qu’il est dans la forêt et qu’il va écrire une relation mais le lecteur ne connaît pas les circonstances de ce début de l’écriture :

Quede pues el testimonio de esta relación que hoy comienzo y lleve su paso bien medido desde el inicio, como mandan los canones del buen arte de contar historias. (Mi nombre, 126)

Le récit débute donc comme un récit classique et les événements de la vie du personnage sont présentés dans l’ordre chronologique. Les éclairages sur les conditions d’écriture de cette relation ne seront donnés qu’au segment numéro vingt-cinq. Nous dénombrons vingt-huit segments consacrés à cette histoire de la guerre du Bagua. Donc, cet éclaircissement apparaît assez tardivement :

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Empecé a escribir en la villa de los tutasinchis cuando todavía soñaba que ésta habría de ser la primera de las ciudades de un renacido reino del Inca y que he seguido escribiendo durante la larga marcha de nuestra huida hacia el corazón de la selva. (Mi nombre, 286)

Ces lignes expliquent de façon plus claire quand le récit a été commencé et dans quelle circonstance il a été continué. Les premières lignes au passé simple renvoient au début du récit tandis que la deuxième ligne écrite au passé composé renvoie à la suite du récit que le narrateur Diego Atauchi va poursuivre au présent dans les lignes suivantes :

Una huida, que aún no concluye y que no es ya cosa de ayer sino de hoy mismo, de ahora, de este presente terrible que vivimos gobernado por el miedo. (Mi nombre, 286)

Ces lignes montrent là encore un exemple d’analepse complète. En quelques phrases, l’auteur parvient à faire rejoindre l’analepse qui est annoncée par l’adverbe « ayer » et qui renvoie au début de l’écriture de cette histoire et le récit premier : ici, en l’ocurrence, le héros en train de fuir dans la forêt ave les rebelles incas.

La suite du passage est au présent de narration, ce qui est propre au récit du journal de bord :

Y mientras llegamos a lugar seguro, donde poder mantenernos al abrigo de las iras de los españoles, yo aprovecho los descansos en nuestro viaje para componer esta relación y apaciguar con ella mi ánimo, que cual campana oscila entre la rabia y la desesperación. (Mi nombre, 287)

Le présent de narration continue encore jusqu’aux premières lignes du chapitre treize du roman mais dès la sixième ligne, démarre un récit analeptique qui va narrer un épisode important dans l‘existence de Diego : une descente aux enfers puis une renaissance, c’est-à-dire une initiation qui aura une incidence sur la suite des événements. Diego va ensuite décider de quitter la forêt où il s’est retranché avec ses compagnons pour aller fonder un village et se fondre ainsi avec le reste des habitants du Pérou :

[...] éramos un pueblo derrotado, pero que aún éramos un pueblo. (Mi

nombre, 297)

Les dije, pues, que había llegado la hora de abandonar la selva. (Mi nombre 297)

124 Puis le récit de Diego s’articule sur un nouveau récit premier sur lequel va s’appuyer une autre analepse :

Ya no son los prolijos árboles de la selva los que me rodean sino ordenados maizales [...]. (Mi nombre, 297)

Le narrateur a pris soin au préalable de faire un éclaircissement sur les deux récits qui ne sont pas au même niveau :

Muchos meses han pasado y aún más cosas han sucedido desde que hablé así a los tutasinchis en nuestro refugio secreto y escribí luego aquellas palabras en esta relación. (Mi nombre, 297)

Le récit qui a narrré le revirement de Diego est rédigé au passé simple avec l’emploi du verbe « escribí » et celui qui narre les événements récents par rapport au temps de l’écriture est au passé composé, « han pasado , « han sucedido ».