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Choix conceptuels, épistémologiques et méthodologiques

B. Du temps libre au droit à la culture

2/ Temps libre, loisir(s) et pratiques culturelles

Pour de nombreux objets, la question s'est posée, s'agit-il de « pratiques culturelles » au sens où nous voulions l'observer ou de « culture anthropologique » ? Comme nous voulions avant tout évacuer ce qui relève de la culture quotidienne des peuples, sans pour autant exclure toutes les activités du temps libre ne relevant pas stricto sensu de la « Culture » au sens restreint (théâtre, musique, spectacle, etc), les dimensions d'activités de « loisir » et la notion de « temps libre » nous ont interrogée. En tant qu'espace-temps dans lequel le choix individuel de développer des pratiques culturelles et artistiques s'exprime, tout en étant induit par le milieu et les possibilités d'accès, il faisait partie de nos investigations.

► Temps libre, loisir et loisirs

« Loisir » est le nom donné au « temps libre dont on dispose en dehors des occupations imposées, obligatoires, et qu'on peut utiliser à son gré, [aux] distractions, amusements auxquels on se livre pendant ses moments de liberté.»170. Ce temps libre s'oppose traditionnellement au temps prescrit, c'est-à-dire contraint par les occupations habituelles (emploi, activités domestiques, contraintes sociales et familiales...) et ses collatéraux (transports, par exemple). Les rapports au loisir ont évolué dans le temps : Sénèque louait les mérites de l'otium et le considérait comme la caractéristique de l’homme vraiment libre ce qui s'est longtemps prolongé dans la conception aristocratique. Au XXème siècle, le loisir devient un droit, puis il devient même au-delà un acte normatif dans notre société : « De nos jours, le loisir est non seulement permis mais il est un droit, et il est même vivement recommandé, s'agissant de la consommation »171. Un glissement sémantique de « loisir » (temps libre) à « loisirs » (divertissements) s'est amorcé dans les années 1960, sans doute suite à son usage répété dans l’expression « civilisation des loisirs », expression que l'on doit à Joffre Dumazedier dans un de ses ouvrages, publié en 1962, Vers une civilisation du loisir ?. C'est de nouveau une spécifcité française, d'ailleurs en portugais « lazer » ne s'emploie qu'au singulier. « Loisirs » au pluriel n'évoque plus la « disponibilité temporelle » mais une gamme de distractions, l'ensemble des activités de loisir que l'on pratique.

La géographie a tardé à s'approprier le terme172, même si récemment, Dominique Crozat et Sébastien Fournier en proposaient par exemple en 2005 une « re-défnition nécessaire », montrant très bien les limites et apports de chaque conception :

« Une nécessaire re-défnition du concept de loisir s’impose. On peut l’entendre de trois manières différentes (temps, activité, expérience), toutes insuffsantes. La plus usitée, comme temps, l’oppose aux temporalités du quotidien et au travail payé […] mais elle est restrictive [certains individus n'ont pas les moyens fnanciers, physiques ou culturels d'en profter]. Comme activité, le loisir nous permet d’inclure les activités banales du quotidien [et des statistiques et enquêtes aident aussi]. Mais ce n’est pas plus satisfaisant : […] les formes les plus institutionnalisées (golf, opéra, théâtre...) sont sur-valorisées au détriment des activités banales du quotidien. Enfn, les loisirs de certains peuvent être le métier des autres [...] Envisager le loisir comme expérience permet de prendre en compte le contexte dans lequel il s’inscrit et devient producteur d’émotions, de sentiments, mais 170 Dictionnaire Larousse

171 Brunet Roger, Théry Hervé, Ferras Robert, Les Mots de la Géographie, dictionnaire critique, Collection Dynamiques du territoire, RECLUS La Documentation Française, Montpellier-Paris, 520p. 3ème édition 1993.

172 Bonneau Michel. « L'analyse géographique des loisirs. Présentation », Norois. N°120, 1983. Octobre - décembre 1983. pp. 479- 480 et Mirloup Joël, « Les loisirs des français, approche géographique », Revue de géographie de Lyon, Vol. 59 n°1-2, 1984. pp. 15- 27.

aussi les obligations qui lui sont associées. »173 .

Face à ces problèmes sémantiques qui prennent un réel sens quand on se confronte aux jeunes ruraux brésiliens et à leur quotidien, défnir le loisir par l'expérience apparaît comme central : « Le loisir est défni par l’usage du temps, pas le temps lui-même. Il doit être distingué par le sens de l’activité, non sa forme » (Kelly, 1983). Ainsi, pour John Kelly174, une relative liberté et sa perception sont la principale caractéristique du loisir, même si un fort contrôle social s'exerce depuis toujours sur les loisirs. La notion de loisir est diffcile à déterminer car elle est très empreinte de subjectivité et c'est l'individu qui, seul, est en mesure de déterminer le caractère de loisir qu'il applique ou non à l'activité qu'il pratique (à l'image du jardinage ou de la lecture par exemple). Cette dimension est particulièrement importante dans notre étude de l'agriculture familiale, où par exemple le travail de la terre est perçu tour à tour comme une obligation professionnelle ou un hobby.

Il existe diverses variables pour qualifer les loisirs : loisirs domestiques (télévision, lecture, jardin), loisirs d'extérieur en plein air (sport, pêche, balade) ou non (cinéma, musique, sorties), loisirs actifs (sport, jouer d'un instrument, artisanat) et passifs (repos, spectacles), individuels ou collectifs, même si les frontières sont parfois diffciles à tracer. Les loisirs-culturels sont une de ces catégories. Ils peuvent être de natures très variées et donc recouvrir à nouveau toutes sortes de réalités. Yvette Barbaza en propose une classifcation pour les géographes : les thèmes liés à la jouissance d'un patrimoine culturel, les thèmes liés à la création d'un argument culturel et enfn les thèmes du «loisir culturel quotidien résultant de choix individuels (bien que fortement conditionnés) et qui ont créé un marché des loisirs exploité à des fns culturelles certes, mais aussi commerciales (cinéma, théâtre, télévision, lecture...). »175 Malgré la diversité, l'expression loisirs-culturels propose une unité de contenu autour de la culture, tout en élargissant à des activités plus quotidiennes et accessibles que l'activité strictement culturelle et réalisée en tant que telle. Nous emploierons pour les désigner le terme de « pratiques culturelles », plus courant dans le langage au Brésil et permettant une compréhension plus directe par les interlocuteurs. Ce terme est d'ailleurs celui utilisé depuis 1973 par le Ministère de la Culture en France pour mener ses grandes enquêtes, centrales en termes de données et de compréhension de l'évolution de la société176.

► Les pratiques culturelles et de loisir en milieu rural

L'intérêt de l'étude des loisirs pour la compréhension d'une société semble croitre en même temps que le temps et l'espace qui lui sont consacrés, ils sont une « donnée sociétale fondamentale, refet de l'évolution de nos sociétés et de nos modes de vie, ils sont aussi devenus une composante majeure de l'évolution des territoires »177. L'étude de cet objet revêt une dimension particulière surtout en milieu rural. Comme cela a été théorisé dès les années 1970 par les Anglo-saxons, la prise de conscience de la réalité des

173 Crozat Dominique et Fournier Sébastien, « De la fête aux loisirs: événement, marchandisation et invention des lieux », Annales de

géographie, 2005/3 n° 643, p. 307-328.

174 Kelly John, Leisure Identities and Interaction, London, George Allen and Unwin, 1983

175 Barbaza Yvette « Approche géographique et thématique des loisirs », Norois N°120, 1983. Octobre - décembre 1983. p. 481- 490.

176 L'enquête porte sur les différentes formes de participation à la vie culturelle (lecture de livres, écoute de musique, fréquentation des équipements et des manifestations culturels, pratiques en amateur), tout en accordant une large place aux usages des médias traditionnels (télévision, radio, presse) et, depuis l'édition de 2008, aux nouvelles technologies liées au développement du numérique. Source : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr

177 Dewailly Jean-Michel, Flament Emile, Géographie du tourisme et des loisirs, SEDES, Paris, 1993 – page 9

temps de loisir serait la conséquence du passage de la société rurale et agricole à une société industrielle et urbaine. Le travail agricole est un travail « à plein temps » en quelque sorte, « les loisirs n'y sont qu'occasionnels et rares, situés sur le lieu même du travail et psychologiquement intégrés à la vie de travail conçue comme la vie toute entière »178, tandis que le travail urbain est plus facilement délimité dans le temps et est localisé dans l'espace de manière ponctuelle, invitant ainsi plus facilement à l'observation des loisirs (nous reviendrons bien sûr largement sur les implications de cette spatialisation des loisirs sur nos trois territoires). Serge Salaün et Françoise Étienvre, dans l'introduction de leur ouvrage179, offrent une comparaison entre les traditions espagnole et française en termes de considération des loisirs et donnent une vision intéressante de la singularité historique rurale en la matière, rappelant que si la société rurale implique une occupation du temps en continu, la société moderne, industrielle et urbaine, introduit le temps calculé du travail, et entraîne une prise de conscience d’un "temps libre", d’où une défnition plus élaborée du loisir, qui n’est plus seulement le temps laissé libre après le travail, mais le temps disponible après avoir décompté le temps investi.

Dans le contexte académique brésilien, l'étude des loisirs et du temps libre en milieu rural est souvent lié à une vision marxiste, devant contrer la logique de travail capitaliste. La condition reste néanmoins que ce temps ne soit pas consacré à la consommation, en particulier culturelle, champ que la société capitaliste a rapidement et intensément investi180. Les travaux de Marlene Grade181 et Idaleto Malvezzi Aued, par exemple, analysent au Brésil l'apport des écrits marxistes à la compréhension du temps libre comme nécessaire libération du travailleur et principe organisateur de la société (Aued, Grade, 2005, p.31). Sur le temps libre en milieu rural, nous verrons comment il est un élément central de l'identité rurale182.

Le loisir, la culture et la sociabilité sont des thèmes centraux pour l'expérience juvénile, non comme temps négatif, pris sur celui des études et du travail, mais comme fondamental pour l'élaboration des identités personnelles et collectives, pour la formation des valeurs et références, pour le développement de la relation à l'espace public et pour l'action collective (Brenner, Dayrell, Carrano, dans Abramo, Branco, 2005). La conclusion de ces mêmes auteurs est que la diversité culturelle brésilienne et les bases socioéconomiques inégales ont une incidence forte sur les possibilités d'accès, l'expérimentation et la création de modes de culture, de loisir et de temps libre. Pour eux, le loisir est fondamentalement « un temps sociologique dans lequel la liberté de choix est un élément prépondérant et qui se constitue, dans la phase de la jeunesse, comme un champ potentiel de construction des identités, 178 Anderson Nels, Man's Work and Leisure, Leiden, J. Brill, Monographs and theorical strudies in Sociology and antropology in honour of Nels Anderson, 4, 1974, 146 p.

179 Serge Salaün, Françoise Étienvre, Ocio y ocios. Du loisir aux loisirs en Espagne (XVIIIe-XXe siècles), Études coordonnées par Serge Salaün et Françoise Étienvre, CREC, Université de la Sorbonne Nouvelle, 2006

180 Extrait d'un mémoire de master soutenu à l'UFSC en 2009 : « C'est un sujet communiste que d'affrmer que le loisir est un droit, notamment pour ces jeunes ruraux qui ne devraient que cultiver la terre ou aller en ville remplir les usines. Le loisir est un fort sujet d'exclusion, de ghettoïsation car sans certains facteurs, ils ne sont accessibles qu'aux gens solvables […] "Loisirs encadrés" et "loisirs transgresseurs" sont des expressions formulées par Parker, la première se réfère aux formes du loisir aliénées, des sujets adaptés aux maux du système, qui fournit du divertissement superfciel, le plaisir sans interruption et que "condamne" le loisir transgresseur ». Nascimento Laurien Cristine Ziem, Espaços e equipamentos urbanos para o lazer da juventude na cidade de Florianopolis – SC. Florianopolis, Outubro 2009, Dissertação de Pós- graduação em Educação Física – Mestrado, do Centro de Desportos da UFSC

181 Grade Marlene, Forum do Maciço do Morro da Cruz e Agreco como espaço transitorio : germinando a espacialização de

relações solidarias em Santa Catarina, Universidade Federal de Santa Catarina Centro de Filosofa e Ciências Humanas Programa de Pós-graduação em Geografa, Tese de Doutorado em Desenvolvimento Regional e Urbano, Florianópolis 2006

182 Nous utiliserons en particulier Patrick Champagne : « La reproduction de l'identité » In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 65, novembre 1986. La construction sociale de l’économie. pp. 41-64. ; « Capital culturel et patrimoine économique ». In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 69, septembre 1987. Pouvoirs d’école-1. pp. 51-66.

de découverte des potentialités humaines et d'exercice de l'insertion effective dans les relations humaines » et peut donc être considéré comme « l'espace de l'apprentissage des relations sociales dans un contexte de liberté et d'expérimentation ». Il faut cependant toujours garder à l'esprit qu'il est aussi « la recherche d'activités qui procurent du plaisir, de l'excitation, permettent l'expression et la réalisation personnelle […] une fugue temporaire de la routine quotidienne et des obligations sociales ».

Or, comme l'écrivent les mêmes auteurs (Brenner, Dayrell, Carrano, dans Abramo, Branco, 2005, p. 178), « l'existence de temps libre n'implique pas nécessairement le loisir et le temps libre de travail peut souvent signifer l'espace de la pénurie, de l'oppression, du manque d'opportunités » soulignant la nécessité d'inclure ces questions dans la perspective du droit à la culture : « Les espaces de culture et de loisir peuvent se poser en termes de droit, et parler d'un droit culturel ou d'un droit à la culture implique de créer des conditions d'accès aux produits, aux informations, aux moyens de production, de diffusion et de valorisation de la mémoire culturelle.». Cette notion a, depuis, été formalisée en 2007 par la Déclaration de Fribourg qui reconnaît les droits culturels suivants : la liberté de choisir ses références culturelles, d’établir des priorités et de les changer ; la liberté d’exercer des activités culturelles, sous réserve du respect des droits d’autrui ; le droit de connaître les patrimoines ; le droit de se référer ou de ne pas se référer à une communauté culturelle ; le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle, à commencer par la langue ; le droit à l’éducation ; le droit à une information adéquate ; le droit de participer à la vie culturelle et à ses politiques.

En l'occurrence, les jeunes ruraux rencontrés réclament l'accès aux pratiques culturelles183 et se trouvent largement dans ce cas de fgure où le temps libre de travail ne mène pas nécessairement aux bénéfces que l'individu peut tirer des loisirs selon Dumazedier (1962), à savoir les « 3D » : Délassement, Divertissement, Développement. En effet, d'après les entretiens et les lectures (en particulier Aguiar et Stropasolas, 2010 et Paulilo, 2009) nous avons élaboré un schéma184 et déterminé trois conditions à l'exercice des pratiques culturelles : celui-ci n'est possible qu'en dépassant les problèmes de disponibilité, de subordination et d'opportunités. Ces conditions, si elles ne lui sont pas propres, sont particulièrement prégnantes dans les espaces ruraux puisque la disponibilité (avoir du temps libre, hors travail scolaire, aide de la famille dans la production ou l'administration du quotidien), la subordination (pouvoir utiliser son temps libre comme bon il semble sans coercition familiale ou contrôle social de la communauté) et les opportunités (avoir accès à une offre de pratiques culturelles pendant son temps libre) y sont de vraies fourches caudines, des conditions pour le moins diffciles à réunir, comme de nombreux témoignages de jeunes nous l'ont révélé185. Des jeunes se plaignent par exemple de la quantité d'animations pour les personnes âgées en rapport au peu d'opportunités pour les jeunes186. Considérer le temps libre et

183Voir notamment les témoignages relevés dans l'Oeste Catarinense par Valmir Stropasolas dans son documentaire Juventude rural :

trajetorias de vida (2010).

184 Les éléments synthétisés dans ce schéma ont largement été abordés dans les entretiens que nous avons menés et sont très présents dans les histoires de vie recueillies. Nous y reviendrons donc plus longuement dans la partie 2.

185Ces témoignages sont présentés dans l'annexe n°12. Il nous a semblé pertinent de les disposer en annexes étant donné que le thème de notre recherche n'est pas directement le temps libre ou le rapport au temps des jeunes rencontrés, qui mériterait un travail différent. Le troisième obstacle est lui l'objet d'un développement au sein de la thèse dans son ensemble, notamment au Chapitre 3.

186« H: Et il y a des jeunes ? V : Il y en a, mais bon, ils préfèrent quand il y a des choses pour les jeunes vraiment. Alors par exemple, quand c'est le week-end, il y a des choses oui, il y a des rencontres, la bodega. Il y a la communauté. Mais quand c'est pour les personnes âgées, ils ont un club avec seulement des personnes âgées, alors là c'est plus restreint, il n'y a que les personnes âgées, il n'y a pas de jeunes à ce moment-là. Tu y vas il y a toute les tables pleines de grands-pères qui jouent aux cartes, aux boules. […] Il y a pas mal de choses pour les personnes âgées, et peu pour les jeunes. C'est plus organisé pour les personnes âgées, pour les jeunes il n'y a que quelques bals, quelques rencontres, quelques choses, mais sinon les week-end c'est plus pour les personnes âgées qu'il y a des choses. » (entretien n°122)

l'exercice de pratiques culturelles appropriées pendant ce temps libre comme un droit est donc essentiel, en particulier dans une perspective de développement et d'équité territoriale.

Enfn, les enjeux du monde rural et des jeunes que l'on peut observer de manière privilégiée par le biais des pratiques culturelles sont nombreux. Celles-ci ont également au Brésil leurs enjeux propres qui peuvent se révéler dans ces contextes puisqu'elles font l'objet d'une forte instrumentalisation par divers acteurs pour le contrôle social, politique ou religieux, le développement économique, la pacifcation sociale, l'aménagement, le marketing territorial ou encore l'animation locale. Cela rappelle en creux le pouvoir subversif de la culture qui, selon les acteurs qui s'en emparent, est capable d'agir sur l'évolution des territoires et de la société.

Les pratiques culturelles infuencent fortement le rapport de l'individu à son territoire : identifcation, appropriation, enracinement, dynamisme. Plus largement il est aussi un élément clef de la représentation liée aux territoires, en particulier dans la confrontation rural / urbain, souvent matrice de la décision des jeunes de quitter ou non les campagnes. Au-delà du fait d'être un agent de développement territorial c'est surtout un outil de recomposition, réelle et symbolique, de la ruralité. Les questions de l'effacement, de la persistance, de la mutation ou du renforcement des frontières entre rural et urbain, si elle existe pour tous les champs de la société, se pose avec acuité pour les objets culturels. En effet, y il volonté de différenciation ou mimétisme à l'égard de la ville, y a-t-il des singularités, des particularismes originels ou créés, y a-t-a-t-il traitement inégal de la part des aménageurs, des politiques, des acteurs culturels ? Comment évaluer les jeux de concurrence et de complémentarité entre ces deux grands types de territoire ?

Les pratiques culturelles et de loisirs des jeunes ruraux nous permettent aussi d'observer leur identité contemporaine de façon pertinente et singulière : sont-ils différents de leurs homologues urbains ? Quels sont leurs rêves, leurs idéaux ? Qu'aiment-ils faire, entendre, voir ? Quelles sont leurs valeurs, leurs goûts ? Comme l'écrit Paul Claval dans sa Géographie culturelle (p.236) « la géographie culturelle analyse les loisirs avec d'autant plus d'attention qu'ils sont révélateurs d'aspects de la vie sociale qui seraient sans cela occultés. » Pour lui, le temps libre offre la possibilité de souffer et de s'affrmer hors du travail, l'occasion d'exister pour soi-même et non pour sa place dans l'économie ou la société, de revendiquer son identité « ses capacités cachées et ses passions profondes », ainsi « même

éphémère, le décor mis en place pour ces moments d'évasion livre des indications précieuses sur les motivations, les préférences et les rêves des gens. […] Le temps libre, les loisirs, les fêtes cessent d'être considérés comme des moments futiles, sans signifcation, ils donnent son sel à la vie. C'est pour en jouir que la plupart travaillent dur : beaucoup de gens n'ont le sentiment d'être eux-mêmes que lorsqu'ils sont hors de leur travail ». Les loisirs sont ainsi un angle intéressant pour appréhender un public, et c'est particulièrement le cas pour les jeunes brésiliens,