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5. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

5.1. Temps alloué à l’enseignement du français

Dans les chapitres précédents, nous avons vu entre autre que les élèves ont besoin de temps pour se lancer dans des activités cognitives et que c’est à l’enseignant qu’incombe la responsabilité de leur en donner. Toutefois, nous avons relevé que le temps réservé aux disciplines académiques s’avère relativement réduit dans un contexte particulier comme les institutions spécialisées. Malgré ce temps d’enseignement réduit, les enseignants privilégient-ils la discipline du français ? Qu’est-il du temps alloué à cet enseignement au sein de l’institution observée ? Compte tenu des habiletés requises pour comprendre un texte et des spécificités de la population qui nous intéresse (Cèbe & Goigoux, 2007) nous avons fait l’hypothèse, que le français devrait faire l’objet d’un enseignement intensif et régulier. Mais est-ce possible compte tenu des contraintes et des libertés qui exercent une forte influence sur la dynamique institutionnelle ?

Dans son ouvrage Cuilleret (2007) affirme :

Que le lieu de scolarité soit l’école de tous ou un établissement spécialisé ne change ni le travail à fournir ni les objectifs à mettre en œuvre. Il faut bien veiller à poser les objectifs en termes de réalité afin de pouvoir les mettre en œuvre de façon efficace avec un coefficient de réussite suffisant pour l’enfant. Par exemple, lorsque l’on souhaite mettre en œuvre un apprentissage de la lecture, outre les aspects méthodologiques dont nous allons parler, un des facteurs majeurs d’échec est le manque de moyens en temps dont dispose l’enfant. Prenons l’exemple d’un enfant

« ordinaire » : l’apprentissage de la lecture, en France, se fera principalement sur le CP et le CE11. Une heure et demie à deux heures par jour sont consacrées tous les jours de l’année scolaire, 5 jours par semaine, soit 2 x 5 = 10 heures par semaine pendant deux années scolaires minimum. Rares sont les cas où l’enfant atteint de trisomie bénéficie d’une telle chance ; en IME2, dans la majorité des établissements, le temps consacré est au maximum de 1h à 1 heure 15 minutes x 3 fois par semaine soit 3 à 4 heures par

1 Correspond à la 2e enfantine et 1ère primaire genevoise

2 Instituts médico-éducatifs correspondant aux institutions spécialisées à Genève

semaine et même en CLISS3, les temps d’apprentissages sont réduits et ne dépassent pas 4 heures 30 minutes par semaine. L’enfant atteint de trisomie doit donc alors apprendre à lire malgré ses difficultés en un temps moindre qu’un enfant ordinaire… (p.140).

Nous pouvons mettre ce constat en lien avec les observations que nous avons faites dans l’institution. Au sein de celui-ci, en effet, les tâches spécifiquement scolaires sont concentrées sur les matinées: la discipline du français est principalement enseignée le lundi matin, le mardi matin et une période le vendredi matin (env. 50min). Cependant, cette matière est interdisciplinaire et les enseignants la travaillent également dans d’autres disciplines, la rédaction d’un rapport en environnement par exemple. Notons encore que par rapport aux autres disciplines académiques, le français reste privilégié.

Nos observations ne portent que sur deux matinées, celle du lundi et celle du mardi.

Officiellement, les enseignants sont censés commencer les séances après l’accueil, c’est-à-dire à 9h30 et les terminer 11h30, pause non incluse. En enlevant le temps réservé à la récréation, à savoir 20 min, les élèves travailleraient la discipline du français 1h40 le lundi et 1h40 le mardi soit un total de 3h20 en ce qui concerne les deux matinées qui faisaient l’objet de notre observation. A cela il faut ajouter qu’une enseignante collabore avec la logopédiste le vendredi matin durant la deuxième heure du matin (après la récréation jusqu’à la pause du midi), donc durant une période de 45 à 50min. Si l’on additionne le tout, le français est, en théorie, enseigné environ 4h10 par semaine.

Il est important de mentionner que nous ne pouvions pas, pour des raisons professionnelles, observer le vendredi matin consacré à la lecture. Nous nous sommes donc entretenues avec l’enseignante concernée. Cette dernière nous a dit que cette période était réservée aux apprentis-lecteurs (4 élèves). Un travail sur l’outil « phono » et des lectures suivies sont réalisés durant cette période. Toutefois, n’étant pas sur le terrain, nous n’avons pas pu observer le temps effectif de cette activité. Nous ne prendrons donc pas en considération cette donnée dans les tableaux.

Si l’on se réfère à l’ouvrage de Cuilleret (2007), le temps consacré à l’apprentissage de la lecture en Institut Médico-Éducatif serait de 3 à 4 heures (officielles) par semaine.

Nous constatons alors que dans l’institution il n’est que de 50 minutes (officielles) par semaine, le vendredi matin avec la logopédiste et un enseignant. Toutefois, nous sommes conscientes que les élèves peuvent travailler la lecture à d’autres moments avec d’autres intervenants, par exemple lors des moments d’accueil.

Par ailleurs, nous savons que ces prévisions ne sont qu’indicatives et ne correspondent pas toujours avec la réalité. En effet, comme en ordinaire, nous constatons que le temps effectif d’enseignement se révèle toujours plus réduit que le temps officiellement prévu ou planifié. C’est ce qui ressort de nos observations comme en témoigne l’item « temps » dans notre grille, qui nous a permis de mesurer le temps effectif réellement alloué à l’enseignement du français. Nous pouvons également mettre cet item en rapport avec les différents domaines de la discipline « français » afin d’évaluer combien de temps est réservé à chaque sous-domaine.

Nous allons à présent commenter les tableaux présentant le temps effectif d’enseignement du français I et II. Nous avons souligné en rose les disciplines qui étaient travaillées simultanément au cours de la même période. Nous avons noté par un astérisque (*) le fait que des élèves ne travaillaient pas sur les mêmes tâches ou les mêmes disciplines.

Matinées d’observations

Tableau 5.1 : Grille représentant le temps effectif d’enseignement du français communication (FR I)

* = Lorsque certains élèves travaillent une activité différente du reste du groupe et ceci durant la même période

Min = lorsque l'activité travaillait plusieurs contenus à la fois.

Matinées d’observations Disciplines

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Total par disc.

II.1 Grammaire ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ----

II.2 Orthographe ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- 50*min ---- ---- 50 min

II.3 Vocabulaire ---- ---- ---- ---- ---- ---- 20 min ---- 45 min ---- 35*min ---- 35 min 135 min (2h15)

II.4 Conjugaison ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ----

Total par matinée ---- ---- ---- ---- ---- ---- 20 min ---- 45min ---- 1h25 ---- 35min ---

Total par semaine ---- ---- ---- ---- ---- ---- 45 min 75 min (1h25) 35 min ---

Tableau 5.2 : Grille représentant le temps effectif d’enseignement du français structuration (FR II)

Ces tableaux nous permettent de voir si le temps effectif correspond au temps officiel déterminé par l’horaire hebdomadaire de l’institution. Ces derniers nous montrent également pour quel domaine du français les enseignants consacrent le plus ou le moins de temps.

Tout d’abord, si l’on se réfère au temps alloué à l’enseignement du français en classe ordinaire − six heures en moyenne − on remarque que le temps réservé à cette discipline dans cette institution est fortement réduit. Ceci provient, selon nous, des contraintes institutionnelles qui pèsent sur ce contexte particulier que sont les institutions spécialisées.

En effet, le fait que chaque l’élève bénéficie à la fois d’une prise en charge scolaire, thérapeutique et éducative oblige les enseignants à travailler en partenariat avec plusieurs professionnels qui doivent tous, à un moment ou à un autre, intervenir auprès de l’enfant au cours de la semaine. Les objectifs scolaires ne sont donc pas la seule priorité des équipes éducatives, loin de là, et le temps d’enseignement est fortement contraint par cette organisation.

Concernant l’apprentissage initial de la lecture, nous pouvons constater que parmi les activités observées dans notre échantillon du lundi et du mardi matin, aucune n’est consacrée à l’apprentissage de la lecture. Les plages consacrées à la lecture mentionnée dans le tableau précédent ne concernent qu’un nombre restreint d’élèves travaillant sur des

« lectures silencieuses » (cf. Annexes C). Ce n’est donc pas un apprentissage de la lecture à proprement parlé. Certains de ces élèves peuvent toutefois, lors de ces moments, améliorer leurs compétences en lecture en lisant seuls.

Dans l’institution observée, du fait des contraintes liées à la dynamique institutionnelle, seulement 3h20 du programme hebdomadaire d’enseignement sont officiellement réservées à l’enseignement du français. Au regard des tableaux, nous pouvons observer que le temps réel d’enseignement est inférieur aux prévisions. Sur une semaine, nous voyons que cette discipline n’occupe que 2h55. Cependant, il est important de noter que, dans toutes classes, les heures d’enseignement officiel dont devraient bénéficier les élèves sont « artificielles » car elles ne prennent pas en compte les activités de routine et la mise en place des situations d’enseignement/apprentissage.

En ce qui concerne les temps surlignés en rose, nous pouvons remarquer que l’enseignement du français II se fait souvent à travers des activités de français I. En effet,

du français I, c’est-à-dire sous forme de fiches spécifiques. Cette donnée est surlignée en bleu dans le tableau 5.2 et marquée d’un astérisque car c’était une activité différenciée qui ne concernait qu’un seul élève.

Les tableaux précédents présentent le temps d’enseignement dispensés par les deux enseignants sur les matinées observées. Cependant, il faut noter que ces heures d’enseignement ne bénéficient pas à tous les élèves, ces derniers devant parfois travailler avec d’autres professionnels au cours de la matinée.

C’est pourquoi nous avons aussi créé un tableau présentant les heures d’enseignement du français reçues pour chaque élève de notre échantillon. Dans ce tableau, nous avons aussi noté avec quels professionnels les élèves travaillent le français.

(A = enseignant 1 ; B = enseignant 2, E = éducateur ; S = stagiaire et R = remplaçant)

Matinées d’observations

Tableau 5. 3. 1 : Temps d’enseignement du français reçu par élève (résultats en minutes)

* Elève 5 : partie en intégration en classe spécialisée dès la matinée n° 7

Tableau 5. 3. 3

Matinées d’observations Elèves

observés 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Total en minutes

E 9 60 B/E 40 B/E 45 B/R 40 B/E 45 B/E ---- ---- ---- ---- ---- ---- 45 A/B ----

275 min E 10 60 B/E 40 B/E 45 B/R 40 B/E 45 B/E ---- --- ---- ---- ---- ---- ---- ---- 230 min = (3h50)

E 11

---- ---- ---- ---- ---- ----

82 A/B ----

40 A/B 45 A/B ----

50 A/B 40 A/B

---- 45 A/B 25 B 15 A/B

342 min

E 12 60 B/E 40 B/E 45 B/R 40 B/E 45 B/E ---- ---- ---- ---- ---- ---- ---- ----

230 min Total

par semaine ---- E9) 85’ E10) 85’

E11) 85’ E12) 85’

---- ---- ---- ---- E9) ---- E10) ---- E11) 85’ E12) ----

E9) ---- E10) ---- E11) 90’ E12) ----

E9) 45’ E10) ---- E11) 85’ E12) 85’

En observant ces tableaux, nous remarquons qu’aucun élève ne profite du même temps d’enseignement en français et que quatre d’entre eux (tableau 5.3.1) reçoivent, en moyenne, plus d’enseignement que les autres. Si l’on se réfère au tableau qui présente les caractéristiques des élèves (cf. partie « méthodologie »), nous remarquons que ce sont les élèves qui ont « le meilleur niveau » en français qui bénéficient d’un temps plus important d’enseignement. Paradoxalement, ce sont en général les élèves non-décodeurs qui, dans notre échantillon, reçoivent le temps d’enseignement le plus faible. Même si ces élèves bénéficient d’une période le vendredi matin réservé à l’apprentissage du code, il nous semble que, compte tenu de leurs difficultés, ils devraient bénéficier d’un temps au moins égal d’enseignement si ce n’est supérieur. Rappelons, en effet, les données recueillies par Cuilleret. (2007) qui montrent qu’un élève de 1P (également non décodeur) bénéficie, en moyenne, de 1h30 à 2h par jour d’enseignement du code, à savoir 10 heures par semaine à savoir 10 fois plus que les élèves, non décodeurs, de cette institution.

Cependant, les résultats obtenus l’ont été dans une période limitée dans un contexte où, nous l’avons dit, les contraintes pèsent très lourdement sur l’exercice du métier d’enseignant. Nous avons, en effet, pu observer que les mouvements d’élèves ne sont pas toujours planifiés et dépendent des événements quotidiens. Si nous avions fait nos observations à un autre moment les données auraient probablement été différentes.

Nous observons aussi que c’est l’élève 10 qui a le moins de temps d’enseignement (230 min) et l’élève 3 le plus (930 min), même s’il était absent durant une matinée. Nous pouvons remarquer que ce dernier reçoit un nombre d’heures d’enseignement équivalent au temps d’enseignement effectif observé par semaine, à savoir 2h55. Cet élève, en début de décodage, participe donc à toutes les activités les lundis et mardis matins. Nous faisons l’hypothèse que, s’il est intégré dans tous les groupes, c’est parce que son projet individuel vise en priorité une intégration sociale et le travail sur les interactions avec les pairs.

L’élève 10 est diagnostiqué comme présentant un syndrome d’autisme : sa problématique et ses compétences scolaires font qu’il a du mal à intégrer un groupe de travail. Son projet individualisé vise en priorité des objectifs thérapeutiques et éducatifs. En dépit du fait qu’il existe des contraintes institutionnelles réduisant le nombre d’heure de français, pourquoi existe-t-il tant de variations entre les élèves ? Les points suivants concernant les modalités de planification et le choix des objectifs nous permettront d’apporter des éléments de réponses à cette problématique.