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5. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

5.2. Modalités de planification

5.2.1. Choix des objectifs

Venons-en, à présent, à notre première question de recherche : quels sont les objectifs que les enseignants visent en priorité ? Nous avons pu remarquer grâce aux réponses qu’ils donnent aux questions de nos différents entretiens et nos observations que les enseignants visent essentiellement des buts de type thérapeutiques et éducatifs. En effet, comme nous l’avons mentionné dans la partie méthodologique, la population accueillie dans ce centre de jour présente des troubles de la personnalité et du comportement. Il semble alors essentiel aux yeux des enseignants de traiter les difficultés des élèves au niveau des interactions, de la sociabilité et du rapport à soi. Les objectifs que les deux enseignants mentionnent en priorité sont la confiance en soi, la revalorisation, le plaisir d’apprendre et le travail sur la dynamique de groupe. Pour eux, un enfant qui n’est pas bien ne peut pas avoir une bonne image de lui et par conséquent ne peut pas construire des connaissances scolaires.

Ces résultats confirment ceux de l’étude de Gantner et Petrucciani- Juvet (2006) qui montre que les objectifs prioritaires des enseignants de cette institution sont de type éducatif et thérapeutique et sont centrés sur l’autonomie, l’image de soi et le bien être. Le travail en équipe pluridisciplinaire et les difficultés spécifiques des élèves expliquent sans doute ces choix influencés, selon nous, par le contexte même de l’institution qui vise à la fois le soin des enfants et leurs apprentissages ce qui n’est pas le cas en contexte ordinaire. Nous pouvons soutenir que si on interrogeait les enseignants du primaire sur la mission de l’école, aucun d’entre eux ne soutiendrait qu’elle est un lieu de soin.

Nous pouvons faire l’hypothèse que le fait que le responsable pédagogique soit un éducateur, colore les réponses des enseignants. De plus, il faut rappeler que les deux

enseignants travaillent souvent en duo avec les éducateurs pour diverses activités et que les projets individuels sont conçus par tous les intervenants de l’institution. Selon la problématique qu’ils jugent la plus handicapante pour le devenir de l’enfant, les objectifs assignés aux enseignants seront différents. Leur priorité fixée est aussi influencée par les difficultés spécifiques des élèves. Boimare (1999) dit en parlant des élèves en échec scolaire :

Apprendre n’est plus pour eux une opération simple, c’est aussi la remise en cause, au moins partielle, d’une façon d’être. C’est l’obligation de se séparer de comportements, qui certes parasitent l’apprentissage, mais qui sont aussi des moyens utilisés pour maintenir un équilibre précaire (p. 151).

Ainsi selon l’auteur, pour présenter le savoir « l’enseignant doit d’abord assainir le climat, diminuer l’inquiétude. Il doit faire en sorte que ces émotions, ces peurs, soient tamisées pour intégrer la réflexion, sans la mettre en pièce » (p. 155). Ceci permet d’expliquer en partie les objectifs transversaux mentionnés comme devant être prioritaires par les deux enseignants. Selon eux, si l’enseignant veut pouvoir enseigner des savoirs scolaires à ses élèves il doit d’abord travailler sur le climat de classe et donc la dynamique de groupe pour que l’élève s’y sente bien et ait une bonne estime de lui. En rapport avec les libertés caractéristiques du contexte institutionnel et les travaux de Pelgrims (2001, 2006), nous faisons l’hypothèse, que les enseignants courent le risque de simplifier les objectifs et les tâches afin d’éviter « le désordre en classe ». En effet, les enseignants soutiennent que, chez certains de leurs élèves, « apprendre » génère une certaine angoisse : selon eux, leur donner des tâches complexes risquerait d’entraîner un sentiment d’impuissance et aurait un effet sur l’estime de soi.

Nous pouvons citer en exemple un élève de l’institution qui a les compétences requises pour lire et écrire, mais qui refuse d’écrire. Selon les enseignants, cette tâche engendre chez lui une forte angoisse car il a des difficultés de langage qui le bloque lors du passage de l’oral à l’écrit. Les enseignants le font donc écrire à l’ordinateur afin d’éviter ces situations problématiques. Si ce choix pédagogique lui permet d’effacer plus facilement ces erreurs et d’avoir un rendu propre de ses textes, ce qui lui donne confiance et fierté, cela ne fait que repousser le problème et ne permet pas à l’élève d’améliorer ses compétences en écriture.

Concernant les objectifs prioritaires en français, nous avons dit plus haut combien ils dépendent du projet pédagogique élaboré pour chaque élève singulier. Nous en avons recensé trois: l’expression et la compréhension de la langue orale, la lecture et la production écrite. Pour des élèves en projet d’intégration, on trouve aussi les contenus du français II. Si l’on se réfère aux objectifs noyaux de l’enseignement du français à l’école primaire genevoise :

− Amener les élèves à développer leurs capacités à produire et comprendre, à l’oral comme à l’écrit, des textes de genres différents, en respectant les contraintes textuelles, syntaxiques, lexicales, orthographiques et calligraphiques. (Français I)

− Développer chez les élèves des capacités métalangagières, c’est-à-dire de prise de distance et de réflexion sur le fonctionnement de la langue, son usage et ses normes, afin de maîtriser progressivement les règles de grammaire, de vocabulaire, d’orthographe et de conjugaison. (Français II).

Nous pouvons remarquer que les objectifs visés par les enseignants de l’institution sont beaucoup plus généraux. Il faut ajouter qu’ils ne travaillent pas les objectifs par

« séquence didactique » et n’utilisent pas ou utilisent peu les moyens d’enseignement (types « les cahiers de Pinchat ») mis à leur disposition par le département de l’enseignement primaire.

Le plus souvent, ils entrent par l’activité et choisissent ensuite de travailler à l’intérieur de celle-ci divers domaines du français. Par exemple, les enseignants utilisent Catégo (Cèbe, Paour & Goigoux, 2004) (cf. Annexes D) à une toute autre fin que celle prévue par les auteurs. Alors que cet outil pédagogique vise la conceptualisation des procédures de catégorisation, ils s’en servent pour travailler le français « par petites touches » et plus spécifiquement (et simultanément) l’expression orale, le vocabulaire et la production écrite.

Concernant le développement de l’expression orale, elle est souvent, d’après les enseignants, en lien avec des objectifs thérapeutiques : savoir exprimer ses émotions, mettre des mots sur ce que l’on ressent…

D’après les deux enseignants que nous avons interrogés, le fait de les laisser s’exprimer librement, comme dans l’activité « Nicolas » (cf. Annexes E) permet de mieux

comprendre les élèves et de faire des liens avec leur vécu (cette activité sera décrite plus bas).

Pour ce qui est de la production écrite, les seuls genres textuels travaillés dans le centre de jour sont les genres narratif et descriptif. Ils sont toujours exercés à la suite d’une activité collective : les élèves doivent relater l’histoire racontée ou inventée, en lien avec la leçon, décrire des personnages…

Touchant les outils et les méthodes utilisés par les enseignants, on peut remarquer que la plupart du temps, ils sont créés de toute pièce ou adaptés des méthodes et des outils existants. Nous avons pu mesurer combien il est difficile de construire des tâches qui conviennent à tous les besoins des élèves (pour un travail mené en collectif) tout en considérant les projets et les besoins de chacun. Nous pensons que le fait de créer ses outils et ses activités permet de tenir compte des spécificités de chacun pour que tous les élèves y trouvent leur compte. Nous avons pu noter que, pour une même activité, les enseignants différencient les objectifs pour chaque élève. Bien souvent, ils commencent l’activité en collectif avec des consignes générales puis la termine en individuel avec des consignes différentes pour chaque élève. Cela permet d’avoir une dynamique de groupe et de faire travailler les élèves ensemble, puis de se centrer plus spécifiquement sur les besoins de chacun en différenciant la deuxième partie de l’activité.

Les tâches utilisées par les enseignants proviennent souvent de livres qui portent sur la même population que celle accueillie dans l’institution. Ils s’en inspirent pour créer des activités sur mesure en tenant compte des théories présentées dans les ouvrages. Dans notre étude, nous avons pu constater que les enseignants fondent une bonne partie de leurs pratiques d’enseignement sur l’ouvrage écrit par Boimare (1999) : « l’enfant et la peur d’apprendre ». Ce dernier propose d’organiser les activités pédagogiques centrées sur l’amélioration des compétences en lecture autour de trois axes : écouter, parler, écrire.

L’auteur propose de mettre les œuvres littéraires dites « fondatrices » au cœur des pratiques d’enseignement. Pour lui, en effet, ces œuvres abordent des questions essentielles qui préoccupent beaucoup les enfants et permettent d’aborder de nombreux contenus disciplinaires si l’on tire profit des aventures, dilemmes ou péripéties que vivent les personnages. La lecture de ces œuvres permet, toujours selon Boimare, de faire un temps d’échange collectif avant de passer à un moment d’écriture portant sur ce qui

émerge du texte dans la tête des enfants. Ce sont ces trois axes que nous avons pu repérer dans la plupart des activités que nous avons observées.

Les enseignants s’inspirent aussi de la pédagogie active de Freinet : dans cette perspective, l’élève apprend par l’expérience et l’expression libre est favorisée. Nous avons aussi noté que les enseignants utilisent beaucoup l’ordinateur pour favoriser l’écriture. Les élèves impriment leurs textes, ce qui permet d’avoir un rendu propre, ce qui lui apporte une satisfaction supplémentaire concernant le résultat de son travail.

Selon nous, ces méthodes de travail sont efficaces sur la dynamique de groupe et au niveau des interactions entre élèves et intervenants. Le fait de créer des liens avec les élèves permet de les mettre en confiance et de mettre en place le contrat didactique essentiel à toute situation d’enseignement. Nous avons effectivement observé que cela fonctionne pour améliorer l’ambiance de classe et la motivation des élèves à entrer dans les tâches. Cependant, pour nous, les objectifs et les contenus d’apprentissage semblent être moins important que l’activité en soi. Nous entendons par là que l’accent est mis sur les objectifs éducatifs et thérapeutiques, sans pour autant négliger les apprentissages scolaires. L’apprentissage scolaire apparaît comme un soutien au bien être de l’élève. De plus, les activités sont pensées de manière générale : à travers la production de texte ou encore l’expression orale d’autres contenus sont travaillés en fonction de la progression des élèves. Nous avons l’impression que les contenus d’apprentissage ne sont pas enseignés de manière détachés, en ce sens que nous n’avons pas observé de tâche spécifique à un seul contenu, comme par exemple un travail de conjugaison ou d’orthographe. Est-ce que dans cette manière de concevoir l’enseignement, une cohérence et une progression entre les apprentissages est privilégiée? Nous avons remarqué que les enseignements sont peu explicites. Les élèves réussissent les tâches mais les ont-ils vraiment comprises ? Est-ce que les élèves sont conscients de leurs apprentissages lorsqu’ils travaillent des contenus de manière implicite et pourront –ils les généraliser?

Les enseignants ne disposent pas d’outils concrets et les théories présentes dans les différents ouvrages auxquels ils se réfèrent n’en apportent pas qui soient prêts à l’emploi.

Les enseignants disent manquer de temps pour construire les outils dont ils auraient besoin. Ils disent faire « avec les moyens du bord », et adaptent certains outils existants, notamment ceux de l’ordinaire. En effet, ces outils leur paraissent souvent inappropriés.

C’est pourquoi, les deux enseignants ne les utilisent que dans des projets d’intégration en

vue d’habituer les élèves aux méthodes présentes dans l’ordinaire ou les classes spécialisées.