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5. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

5.3. Modalités de gestion en situation

Dans ce chapitre, nous allons apporter des éléments de réponse aux questions de recherche concernant l’organisation et la gestion de la classe. Nos observations, complétées des entretiens, pourront expliquer les choix que font les enseignants concernant les modalités d’organisation et de gestion de leur classe.

Nous allons partir de notre première question de recherche qui porte sur le choix de l’organisation sociale en fonction de la nature des connaissances visées. Les enseignants de cette institution privilégient-ils un travail collectif ou individualisé et selon quels critères ? Avant de répondre à cette question, il nous semble essentiel de faire la liste des différents modes d’organisation sociale en classe.

Lors des activités scolaires, les enseignants choisissent diverses organisations sociales, en lien avec le type de tâche. Il existe quatre modes : le travail collectif, le travail individuel, le travail en sous-groupe, le travail en dyade.

Selon l’étude de Maréchal (2004) qui porte sur les institutions spécialisées, il ressort que « le mode d’organisation sociale qui prédomine est le travail individuel avec des tâches identiques pour tous les élèves » (p. 124). Les résultats de Maréchal confirment ainsi ceux de l’étude menée en classe spécialisée par Ducrey et Pelgrims Ducrey (1997) :

En considérant uniquement les modes d’organisation sociale, il ressort de cette étude que l’on a plus de chances, en entrant dans une classe spéciale, de voir les élèves assis chacun à leur place, travaillant seuls sur une tâche tout en bénéficiant de régulations occasionnelles fournies par l’enseignant ; ou encore, en situation d’enseignement

collectif centré sur des interactions enseignant-élève de type questions-réponses, consignes-exécution. (Ducrey & Pelgrims Ducrey, p.114).

Nous pensons que le travail individualisé est une réponse à la grande hétérogénéité des compétences enfantines : privilégier ce mode d’organisation sociale devrait permettre à chaque élève d’avancer à son rythme et de suivre un programme qui tienne compte de ses besoins scolaires. Cependant, dans les entretiens que nous avons menés, les enseignants ont beaucoup mis l’accent sur l’importance, pour les élèves qui fréquentent ce centre de jour, de la construction d’habiletés sociales, des interactions entre enfants, de la création d’une dynamique de groupe… Qu’en est-il alors au sein de cette institution qui fait l’objet de nos observations ? Privilégient-ils une organisation sociale plus collective qu’ailleurs ?

Pour répondre à cette question, nous avons construit un tableau qui rassemble les informations concernant les différents modes d’organisation sociale observés au cours des treize matinées en fonction des activités proposées. Nous avons séparé les activités en

« sous-activités » puisque, nous l’avons dit plus haut, les activités de français qui étaient proposées aux élèves comprenaient souvent deux parties, une partie collective et une partie individuelle, nous avons donc nommé la partie individuelle : (titre activité) n° 2.

Modalités de travail Organisation

Humeur du jour Oral Collectif

Portrait Oral Collectif

Portrait n° 2 Ecrit individuel

Contes Oral Collectif

1

Contes n°2 Ecrit + desssin Individuel

Humeur du jour Oral Collectif

Nicolas Oral Collectif

Nicolas n° 2 Ecrit (2él.) / Ordi (4él.) Individuel

Contes Oral Collectif

2

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Humeur du jour Oral Collectif

Portrait Ecrit (1él.) / Ordi (5él.) Individuel

Contes Oral Collectif

3

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Portrait Oral Collectif

Portrait n° 2 Ordi (3él.)/ dessin (3él.) Individuel Lect. silencieuse (1 él.) Ecrit Individuel

Contes Oral Collectif

4

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Humeur du jour Oral Collectif

Lect. Silencieuse (2 él.) Ecrit Individuel

Nicolas Ordinateur Individuel

Contes Oral Collectif

5

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Jeu constr. Phrase/vac. Oral Collectif

Ecrit.//moment vac. Ecrit Individuel

6

Carte d’identité Oral Collectif

Humeur du jour Oral Collectif

Catégo Oral Collectif

Contes Oral Collectif

7

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Humeur du jour Oral Collectif

Nicolas Oral Collectif

Nicolas n° 2 Ecrit (1él.)/Ordi (4) Individuel 8

Carte d’identité Oral Collectif

Humeur du jour Oral Collectif

Catégo Oral Colectif

Lect. Silencieuse (2 él.) Ecrit Individuel

Contes Oral Collectif

9

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Tableau 5. 4 : Récapitulatif des modes d’organisation sociale et des modalités de travail proposés en fonction des activités

Nicolas n° 2 Ecrit Individuel

Carte d’identité Oral Collectif

Carte d’identité n°

2

Ecrit Individuel

Lect. Silencieuse (2 él.) Ecrit Individuel

Catégo Oral Collectif

Catégo n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Contes Oral Collectif

11

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Humeur du jour Oral Collectif

Nicolas Oral Collectif

Nicolas n° 2 Ecrit Individuel

Carte d’identité Oral Collectif

12

Carte d’identité n°

2

Ecrit Individuel

Catégo Oral Collectif

Catégo n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Contes Oral Collectif

13

Contes n° 2 Ecrit + dessin Individuel

Modalités de travail :

Oral ... Ecrit (+ dessin) ... Ordinateur ...

Organisation sociale :

Collectif ... Individuel ... Groupe...

La lecture du tableau 5.4 permet de noter que nos résultats confirment ceux relevés par d’autres études d’observation en classes spécialisées dans différents cantons de Suisse Romande (Ducrey & Pelgrims Ducrey, 1997) et dans d’autres pays (Pelgrims, 2001), ainsi que dans des institutions ou écoles d’enseignement spécialisé (Maréchal, 2004). En effet, les modes d’organisation sociale privilégiés dans ce centre de jour sont nettement le type

« collectif » et « individuel », jamais un travail en « sous-groupes » ou en « dyades ».

Nous avons également noté que les élèves en projet d’intégration, travaillent plus souvent seuls. Selon les enseignants, cette modalité permet de les habituer au mode d’organisation le plus fréquemment adopté en classes spécialisées et donc de leur apprendre à travailler de façon autonome.

Si l’on regarde le mode d’organisation sociale privilégié en fonction de l’objectif de l’activité, il est logique de constater que la production écrite va de pair avec un mode individuel. En classe ordinaire, de nombreux projets d’écriture sont menés en collectif.

Mais, ici, rappelons-le, les élèves ont chacun des projets différents qui s’appuient sur un bilan précis de leurs besoins et de leurs compétences. Chaque élève bénéficie de régulations individuelles pour l’aider, en principe, à atteindre les objectifs fixés par son plan éducatif individualisé. Les modalités de travail sont donc toujours différenciées.

Nous notons également que, comme dans l’étude de Maréchal (2004), les élèves travaillant de manière individuelle réalisent tous la même tâche. Toutefois, les attentes sont différentes d’un élève à l’autre.

Si l’on quitte le domaine de la production écrite pour nous intéresser aux autres activités, nos résultats s’éloignent de ceux de Maréchal et rejoignent ceux de Ducrey &

Pelgrims Ducrey (1997). Nous avons, en effet, constaté, que le mode d’organisation sociale qui prédomine dans cette institution est en enseignement collectif qui repose sur les interactions enseignants- élèves. Les modalités de réponses sont alors logiquement de type oral. Nous l’avons dit plus haut, lors des entretiens, les enseignants nous ont fait part d’une de leur priorité, à savoir la création d’une dynamique de groupe. Ceci permet d’expliquer leur choix de proposer souvent aux élèves des moments d’enseignement collectif afin de favoriser la socialisation, la proximité, l’écoute de la parole de l’autre et le respect de son point de vue et de ses différences.

Paradoxalement, nous n’avons jamais observé de travail en sous-groupe. Notons tout de même que selon notre grille d’observation, le travail en groupe était noté lorsque les élèves de la salle étaient divisés en sous-groupe de travail et que ces sous-groupes travaillaient sur la même activité. Mais nous pourrions tout de même nous questionner à ce sujet : pourquoi n’y a t-il jamais de travaux réellement effectués en groupe ? Nous faisons émettre l’hypothèse qu’au vu de la population de ce centre de jour, il est parfois difficile de les faire travailler ensemble sans le contrôle d’un adulte. En effet, selon les enseignants beaucoup d’entre eux ne tolèrent pas le travail en sous-groupes. Pourtant, lorsque l’enseignement est collectif les élèves sont tous ensemble. Mais cet enseignement est animé, contrôlé, encadré et géré par les enseignants. Lors des travaux en sous-groupes, ce sont les élèves qui doivent organiser, seuls, l’avancée du travail, s’entendre, concilier leurs points de vue, gérer leurs conflits… Autant de sources de tensions voire de conflits difficilement gérables par les élèves s’ils n’ont pas appris à le faire, compte tenu de leurs problématiques personnelles. Nous avons d’ailleurs régulièrement observé que certains élèves ont des comportements très difficiles à gérer : les mettre ensemble, sans aide, pourrait devenir explosif et représenterait un frein à la création d’une dynamique de groupe.

• Comment se caractérisent les interventions de l’enseignant ?

Lors de notre arrivée sur le terrain, nous avons pu rapidement remarquer que les enseignants encouragent très fréquemment leurs élèves, les valorisent et les relancent dans la tâche. Selon eux, ce type d’intervention verbale contribue à atteindre leurs objectifs prioritaires : croire en eux et en leur potentiel, les aider à retrouver confiance en eux, à retrouver le plaisir d’apprendre et à avoir une meilleure estime d’eux-mêmes.

Toutefois, il faut relativiser ces affirmations car, « nous pourrions finir par admettre que les classes spécialisées auraient pour objectif premier de « réparer » cette estime qu’elles contribueraient elles-mêmes à affecter… » (Pelgrims, 2007, p.10). Il faut également savoir ce que l’on entend par estime de soi. En effet selon Pelgrims (2007), il existe deux acceptions, la première s’apparente au concept de soi et la deuxième à la valeur de soi. Si l’on ne retient que le sens de « valeur de soi », cela signifierait que les échecs et la réorientation scolaire amèneraient les élèves à ne plus avoir de respect pour eux –même.

Les enseignants qui visent des objectifs tels que rehausser l’estime de soi ont tendance à offrir à leurs élèves des expériences de réussite et à leur proposer des tâches simplifiées.

Lors des moments en collectif, nous avons noté que les enseignants posent beaucoup de questions pour inciter chaque élève à s’intéresser à l’activité, à faire des liens avec d’autres tâches déjà faites ou avec la réalité. Ils ne donnent presque jamais la réponse aux élèves, attendant qu’elle vienne d’eux, quitte à les guider par des relances ou par d’autres questions.

Lors des moments d’écriture, les enseignants passent pour réguler le travail de chacun et apportent un soutien individualisé. Si un élève a de bonnes compétences en français, les enseignants vont le pousser à faire attention à l’orthographe et la syntaxe. Un élève qui entre dans l’écrit va plutôt être encouragé à produire une phrase correctement construite.

Ces aides permettent aux élèves de réussir la tâche, mais pas forcément de la comprendre. Pelgrims (sous presse) dit à ce propos:

Ces pratiques d’adaptation des enseignants affectent chez les élèves, eux-mêmes conscients des libertés de programme et d’évaluations certificatives, la mobilisation des processus d’autorégulation requis par l’engagement et la persévérance dans les activités d’apprentissages scolaires, et renforcent l’apprentissage de leurs stratégies d’adaptation à la rupture du contrat éducatif et aux situations didactiques perçues comme ennuyeuses ou porteuses d’échec : stratégies consistant à modifier l’environnement plutôt qu’à mobiliser les ressources personnelles en négociant les conditions et les critères de réussite, en sollicitant des aides et des réponses promises par l’instauration d’un contrat social d’aides. (p.11).

Nous pouvons alors nous demander si ces pratiques d’adaptation ne vont pas à l’encontre d’un des devoirs de tous les enseignants assigné par la mission de l’école (C1 1, art.4) : « Aider chaque enfant à prendre conscience de ses compétences et à développer son autonomie. » (DEP, 1996, p. 2).

Nous pouvons remarquer dans nos grilles d’observation que les deux enseignants n’interviennent pas toujours ensemble pour mener les séances de français. Parfois l’un est seul, parfois ils sont deux ou encore, un enseignant travaille avec un éducateur. Lors des

des envies de travail de chacun, mais également de leurs compétences. Cependant cela soulève une question : Les élèves toutes divisions confondues, n’ont-ils pas besoin d’une certaine stabilité pour pouvoir penser en toute sécurité et prendre de plus en plus de contrôle sur leur fonctionnement et leurs apprentissages ? Ces changements de cadre et d’intervenants, ajoutés au fait que les professionnels ne connaissent pas toujours exactement la progression du groupe dans ses apprentissages, n’aident pas à stabiliser le cadre d’intervention, donc n’aide pas à stabiliser et à sécuriser les élèves qui, ici plus qu’ailleurs sont sensibles aux changements de milieux. Nous émettons l’hypothèse qu’il serait difficile de garder un cadre stable dans un contexte tel qu’une institution spécialisée.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le fonctionnement pluridisciplinaire impose des changements de groupe et d’interventions.