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3.1 Problématique

Si on dispose aujourd’hui d’études qui décrivent les pratiques professionnelles des enseignants ordinaires et spécialisés dans les différentes disciplines scolaires et les différents degrés, on manque d’études décrivant finement les pratiques pédagogiques et didactiques des enseignants spécialisés exerçant en institution, dans une discipline spécifique : le français. Notre travail vise donc à apporter des réponses aux questions que se posent les chercheurs, les enseignants débutants et experts et les parents d’élèves. Il devrait aussi pouvoir aider les enseignants débutants en enseignement spécialisé à mieux se représenter le contexte et les possibilités d’actions éducatives.

Dans ce mémoire, nous cherchons à décrire les pratiques pédagogiques que mettent en œuvre les enseignants spécialisés dans le domaine du français quand ils ont en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers âgés de neuf à treize ans scolarisés en institution spécialisée. Nous nous demandons, en effet, comment les enseignants adaptent (ou ajustent) leurs pratiques professionnelles aux spécificités de leurs élèves (leurs potentiels, leurs besoins, leurs comportements…) et aux contenus d’enseignement en fonction du contexte particulier dans lequel ils professent.

Nombreux sont les enseignants spécialisés qui disent manquer d’outils spécifiques capables de les aider dans leur activité professionnelle. Ils sont donc contraints de fabriquer eux-mêmes leurs méthodes et leurs outils, parfois en retravaillant − pour les adapter − les moyens d’enseignement de l’enseignement primaire ordinaire. Mais cette partie de leur activité professionnelle reste souvent solitaire, peu visible et peu mutualisée. C’est pourquoi il nous a paru utile de mener un ensemble d’observations pour mieux connaître (et faire connaître) les pratiques et les savoir-faire qu’ils déploient.

Nous l’avons dit plus haut, ce sont les pratiques des enseignants qui travaillent en institution qui sont au cœur de ce travail de recherche dans la mesure où ce contexte d’exercice a été très peu étudié. Ce dernier présente des particularités importantes qui

tiennent, notamment, au fonctionnement interdisciplinaire : en effet, les enseignants collaborant avec des éducateurs dans l’organisation et la gestion des tâches éducatives et scolaires (Garin, 2003), les élèves sont, au fil d’une journée, pris en charge individuellement ou collectivement par différents professionnels pour réaliser des tâches scolaires, éducatives ou bénéficier de prises en charge thérapeutiques. Ces caractéristiques ne sont pas sans effet sur les pratiques d’enseignement pour les raisons que nous avons évoquées plus haut. Elles réduisent aussi les possibilités d’apprentissage des élèves, moins fréquentes qu’en classe spécialisée et en classe ordinaire, comme en témoignent les études menées par Pelgrims (2001, 2006) et Maréchal (2004) dans le domaine des mathématiques.

Notre recherche fait donc suite au travail de Pelgrims en traitant d’un autre domaine d’apprentissage, le français, qui fait partie des apprentissages fondamentaux. Sa maîtrise est, en effet, essentielle pour pouvoir vivre en société de manière relativement autonome.

Le fait de savoir lire permet, en effet, d’apprendre, de s’informer (bus, journaux, panneaux d’indications, marche à suivre, etc.), de s’intégrer dans la vie sociale et professionnelle.

Compte tenu des habiletés requises pour comprendre et des spécificités de notre population dans le domaine de la lecture, nous faisons l’hypothèse que l’enseignement du français devrait faire l’objet, dans les institutions, d’un enseignement intensif et régulier selon des modalités pédagogiques particulières. Reste à savoir comment, compte tenu des contraintes de fonctionnement et des besoins spécifiques de chaque élève, les enseignants procèdent pour planifier et mettre en œuvre cet enseignement, sur quels aspects ils se centrent plus particulièrement et le temps qu’ils accordent aux différents sous-domaines de la discipline (enseignement du décodage, vocabulaire, grammaire, orthographe, compréhension en lecture…).

3.2. Questions de recherche

De nombreux travaux portent sur les caractéristiques des élèves scolarisés en contexte d’enseignement spécialisé (leurs potentiels et leurs difficultés). Aussi nous a-t-il paru plus intéressant de nous centrer sur les pratiques d’enseignement en institution.

en œuvre par deux enseignants spécialisés en institution et à les comprendre comme stratégies d’adaptation des enseignants aux libertés et contraintes particulières au contexte d’enseignement spécialisé (Pelgrims, 2001, 2006).

Les pratiques d’enseignement représentent :

Le fruit d’une interactivité entre des dimensions relevant des situations, des sujets et des processus. L’étude des pratiques en contextes et de leur organisation s’inscrit dans une approche situationniste de l’activité des enseignants en classe. Celle-ci peut être conçue comme un système dynamique d’actions ou « cours d’action » dont l’organisation émerge de la rencontre avec l’environnement matériel et social de la classe. (Casalfiore, 2002, cité par Clanet, 2005, p.14).

Pour diriger notre étude, nous sommes parties de la question générale suivante :

« Comment un enseignant travaillant en institution spécialisée auprès d’élèves à besoins éducatifs particuliers âgés de neuf à treize ans, met-il en place l’enseignement du français dans sa classe? »

Pour répondre à cette question générale, nous avons guidé notre recherche par les questions spécifiques suivantes :

Questions portant sur les objectifs et la planification

− Comment l’enseignant planifie-t-il son enseignement? Avec quels outils?

− Quels sont les objectifs qu’il vise en priorité ?

− Quels sont les contenus cibles de son enseignement ?

− Quand et comment choisit-il de changer de contenus d’enseignement ?

− Évalue-t-il les compétences et les connaissances des élèves, et si oui comment ?

Les apports théoriques développés dans notre première partie, nous permettent de poser que les enseignants ont peu de moyens (d’outils, de manuels, de méthodes) à leur disposition et qu’ils sont donc contraints d’adapter les outils existants aux caractéristiques réelles ou supposées de leurs élèves. Si nous nous référons à la recherche effectuée par Gantner et Petrucciani-Juvet (2006), nous constatons que les enseignants de centre de jour jugent comme prioritaires des objectifs de type éducatifs (autonomie,

image de soi, vie quotidienne) et thérapeutique (bien-être). Concernant les contenus cibles de l’enseignement Ducrey et Pelgrims Ducrey (1997) affirment pourtant qu’« une des finalités des classes spéciales consiste à favoriser la maîtrise des compétences et connaissances de base de la scolarité primaire » (p.116) autrement dit le savoir

« lire−écrire−compter ».

Questions portant sur l’organisation et la gestion en classe :

− Dans quelle mesure l’enseignement (objectifs, tâches, déroulement…) est-il collectif ou individualisé ?

− En fonction des objectifs visés, quelles sont les organisations sociales qui sont privilégiées (collectif, groupe, dyade, individuel) et sur quoi reposent ces choix ?

− Comment se caractérisent les interventions de l’enseignant ?

Compte tenu des besoins particuliers de chaque élève singulier, on a coutume de soutenir qu’il est très difficile de dispenser un enseignement collectif. Toutefois on peut faire l’hypothèse que les enseignants, conscients que le travail en groupe favorise la dynamique de groupe et l’échange de points de vue, vont choisir d’utiliser, pour certaines tâches au moins, ce mode d’organisation. On peut aussi supposer que, dans d’autres types d’activités, ils préfèreront faire travailler les élèves en petit groupe voire individuellement pour apporter une aide spécifique à chacun, favoriser les apprentissages et/ou garantir un climat plus propice au travail.

Concernant la nature des interventions des enseignants, nous savons que, dans l’institution choisie, les deux enseignants ont fait le choix de travailler en duo. On peut faire l’hypothèse que ce choix présente certains avantages, tels que travailler avec des groupes à effectifs plus grands ou plus restreints selon le cas ou gérer les imprévus plus facilement.

Questions portant sur le temps alloué à l’enseignement du français :

− Quel est le temps dévolu aux différents domaines du français au cours d’une journée, d’une semaine?

− Comment les enseignants intègrent-ils un élève dans une tâche lorsque les groupes d’élèves se composent et recomposent sous l’effet des séances thérapeutiques individualisées ?

Selon Maréchal (2004), le temps d’enseignement des mathématiques est fortement conditionné par la gestion pluridisciplinaire qui régit la dynamique institutionnelle. Nous pouvons donc faire l’hypothèse que l’enseignement du français devrait également en faire les frais.

Questions portant sur les outils et méthodes :

− Quels sont les outils et les méthodes que les enseignants utilisent (manuels, moyens d’enseignement, conception personnelle) ?

− Suivent-ils une seule méthode ou plusieurs ?

− Adaptent-ils ces outils et ces méthodes et si oui comment ? En fonction des élèves ? Du groupe classe ? Des difficultés présentées par l’élève ? Des projets socio-éducatifs individuels ? Des objectifs de l’institution ? Des programmes officiels ? Du temps réservé à l’enseignement compte tenu de l’instabilité du milieu ?

− Quels types de supports utilisent-ils ?

− Dans quelle mesure et comment aident-ils les élèves à faire des liens entre les différentes disciplines, activités, tâches ?

Nous savons que les enseignants spécialisés disposent de tous les moyens officiels donnés par la direction générale de l’enseignement primaire mais qu’ils ne sont pas contraints de les utiliser (liberté pédagogique). Compte tenu de ce que nous avons dit dans notre première partie, nous faisons l’hypothèse qu’ils les adaptent en fonction des besoins et du niveau de leurs élèves ou qu’ils conçoivent eux-mêmes leurs outils et supports. Cela demande une bonne connaissance des élèves, de leurs compétences et de leurs besoins.