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Introduction

En abordant le contexte général de l’intégration des Tic dans le système éducatif, nous posons le cadre contextuel de notre recherche doctorale qui distingue, d’un côté, les discours officiels du Ministère de l’Éducation nationale, de l’autre côté, les pratiques des acteurs-enseignants en situation pédagogique. L’étude des évaluations menées tant par le Ministère que par l’Institut Médiamétrie révèlent une tension entre un fort équipement en matériel informatique et en connexion haut débit et une sous-utilisation de ces infrastructures à des fins pédagogiques ou de création de contenus. Ces évaluations pointent la faiblesse des projets transdisciplinaires incitant à la coopération et la collaboration pour la communication trans-européenne interclasse et interétablissements.

Nous soutenons que cette dichotomie illustre le déterminisme des politiques publiques. Ces dernières présentent les Tic comme causes d’impacts, selon une logique de causalité linéaire (Bouquillon, Pailliart, 2006), et non comme inscrites dans un processus complexe de remise en cause du paradigme dominant en éducation, le paradigme d’enseignement (Tardif, 1998), d’interrogation de la cohérence actuelle du système éducatif (Moeglin, 2005) ou d’enrichissement des pratiques existantes (Chaptal, 2007).

Ce paradoxe interroge la capacité d’intégration des Tic au sein de l’organisation élargie Éducation nationale et leur appropriation par tous les acteurs. Il pose différents problèmes que nous exposons ci-après :

- Il semble que le modèle d’intégration de la technique dans une logique d’égalité des chances soit insuffisant. En effet, le diffusionnisme technique actuel véhicule une visée instrumentale de la société.

- L’organisation élargie Éducation nationale peut-elle se suffire d’une large diffusion des dispositifs techniques sans penser à intégrer les usagers-enseignants dans la conception et l’évolution de ces dispositifs ? La constitution de réseaux locaux, l’enrôlement d’acteurs sans contraindre ces derniers et la création d’alliances

autour de la problématisation de la technique et de ses usages sont nécessaires à son appropriation par les usagers. Mais ils supposent aussi la prise en compte de l’intentionnalité des acteurs, leur représentation de la technique et leur projet personnel d’usage.

Notre travail de recherche en Sic convoque différents champs disciplinaires et questionne les pratiques de communication liées au changement. Nous défendons l’idée que l’organisation peut prendre en compte et valoriser le jeu de ses acteurs. Elle peut en tirer avantage dans une logique de changement qui intègre le « projet engageant ».

Dans ce qui suit, nous abordons successivement ces deux considérations. Dans un premier chapitre, nous interrogeons les modèles de la sociologie de l’innovation et dressons le bilan de l’intégration des Tic dans le système éducatif. Nous démontrons que la logique d’égalité des chances qui exige que tous les établissements aient des infrastructures comparables conduit progressivement au diffusionnisme technique. Dans un second chapitre, nous proposons de lier les concepts d’« accompagnement » et de « projet engageant » pour penser une démarche d’intégration des Tic qui accorde une place centrale à l’acteur. Cette dernière prend en considération la dimension subjective de l’intentionnalité des acteurs et de leur motivation à agir, d’une part, et la dimension sociale du projet qui inscrit le sujet dans l’espace social, d’autre part. Nous considérons « l’accompagnement » comme une double médiation : une médiation technique et sociale qui s’exerce dans une logique de co-construction et de co-évolution des dispositifs techniques et de leurs usages, une médiation de la communication qui favorise l’acculturation à la technique et dans laquelle s’engage une dialectique du singulier et du collectif (Lamizet, 1994).

Nous envisageons de montrer en quoi le « projet engageant » constitue un moyen de relier les discours et les actes par l’engagement des acteurs dans leur décision d’appartenance et l’émergence d’un changement vers l’appropriation des Tic en situation pédagogique.

CHAPITRE 1 : SOCLE THEORIQUE : LA TECHNIQUE ET

LE SOCIAL

Les différentes évaluations de l’intégration des Tic dans le système éducatif font état d’un paradoxe entre le développement des infrastructures et les usages constatés. Le rapport des experts sur la contribution des nouvelles technologies à la modernisation du système éducatif (Igf, Igen, 2007) constate que « beaucoup de

conditions favorables à l’usage des Tic sont réunies, mais ces usages demeurent modestes. (…) Les statistiques européennes classent la France en avant-dernière position au niveau européen lorsque l’on regarde globalement l’accès à l’outil, sa maîtrise dans un contexte pédagogique et la motivation des enseignants. (…) Il est ainsi difficile de voir émerger une vraie politique nationale, tant pour impulser un élan collectif dans une direction définie que pour piloter et évaluer les résultats obtenus. (…) Les collectivités ont donc de façon croissante le sentiment que les investissements qu’elles réalisent ne sont pas utilisés au mieux. »

Ce constat nous conduit à interroger le processus de changement de pratiques des enseignants dans l’organisation élargie Éducation nationale, à l’apparition d’une innovation technique. Cette innovation technique, « banale » ou « ordinaire » (Alter, 2000), a besoin de passeurs qui investissent en travail, en action et en identité pour l’inscrire dans le quotidien des acteurs et les inviter à rompre des routines. Nous proposons ici un détour théorique par la sociologie de l’innovation afin de comprendre le paradoxe auquel nous faisons face. En effet, nous affirmons que les discours incitatifs et prescriptifs qui accompagnent les investissements massifs des collectivités territoriales résultent d’un diffusionnisme technique qui privilégie la mise en usage d’équipements au détriment de la construction sociale d’usages.

En préalable à ce détour, nous nous attachons à définir dans une première sous- section les concepts d’organisation élargie, d’usage et de médiation. Dans une seconde sous-partie, nous parcourons la sociologie de l’innovation pour comprendre en quoi le modèle d’intégration des Tic dans l’organisation Éducation nationale relève du diffusionnisme technique. Dans une troisième sous-section, nous croisons notre approche historique de l’intégration des technologies avec la

sociopolitique des usages pour dresser le bilan de trente-cinq années d’intégration de la technique dans le système éducatif.

1.1 : Réflexion autour de trois concepts en sciences de