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L’Éducation nationale est à la fois une institution et une organisation. Quelle est alors la définition de ces deux termes ?

Le terme « institution » est très souvent employé, en France, pour désigner l’Éducation nationale. Il est cependant utilisé dans un sens très large, presque synonyme de « social ». Selon la définition empruntée au réseau thématique « sociologie des institutions » de l’association française de sociologie60, les institutions sont des « mondes sociaux particuliers investis d’une mission orientée

vers le bien public et l’intérêt général ou encore d’une mission régalienne, disposant d’une forte assise organisationnelle et participant d’une œuvre socialisatrice et d’une emprise sur l’individu suffisamment fortes. » Ainsi,

l’éducation est une mission d’intérêt général relevant du pouvoir de l’État et concernant l’ensemble des citoyens.

Un lieu commun prétend que les institutions sont aujourd’hui en déclin (Dubet, 2002). Face à l’émergence de l’individualisme et de la crise de l’autorité, les institutions n’ont plus l’emprise nécessaire sur les individus qu’elles cherchent à transformer. François Dubet souligne qu’elles ont globalement perdu leur caractère sacré, leur légitimité et l’autorité qu’elles conféraient à leurs agents. Une procédure de « délégitimation » est inscrite dans la perte de crédibilité du Grand récit (Lyotard, 1979).

En contradiction avec ce lieu commun, des travaux de recherche contemporains, notamment ceux de Gilles Chantraine (2004), montrent que des institutions sont en partie transformées par les nouveaux impératifs de l’action sociale. Ceux-ci valorisent l’autonomie, la responsabilité et l’implication des individus. Ce qui est en cause dans la crise des institutions est donc la prise en compte de l’individu comme acteur autonome et responsable plutôt qu’un être assujetti.

Par ailleurs, l’Éducation nationale est considérée comme une organisation qui « n’appartient pas au monde matériel puisque ce n’est pas un objet que nous

pouvons voir, toucher, flairer, goûter, ou, d’une manière générale percevoir par les sens. Elle appartient au monde des objets imaginés. » (Mucchielli, 2006 :

131). Ce concept peut se définir à deux niveaux :

- L’organisation est une entité, c’est « un groupement, une

association qui se propose des buts déterminés » selon la première

définition du dictionnaire Larousse, édition 2007. Dans ce cas, l’entité organisation est durable, elle présente une certaine division des tâches et possède des règles de fonctionnement. L’organisation est un ensemble productif qui ne peut exister sans le support d’une structure, d’actifs physiques (les locaux, les outils) et d’un système de gestion et de pilotage. « L’organisation a en commun avec

l’entreprise d’être constituée par un ensemble de personnes ou de services tournés vers un but déterminé qui constitue sa raison d’être, les rapports marchands n’y sont pas obligatoirement présents. » (Hotier, 2000 : 12). Yves-Frédéric Livian (2005)

distingue quatre composantes de l’organisation : l’humain, le physique, le système de gestion et la structure.

60 In « Éducation, justice, travail social… le nouveau pouvoir des institutions », revue Sciences

Figure 6 : Organisation : théories et pratiques. (Livian, 2005)

- Cependant, le concept d’organisation désigne aussi une manière dont les différents organes ou parties d’un ensemble complexe ou d’une société sont structurés et agencés en vue de fonctionner. Il s’agit des règles que tout groupe se donne pour organiser sa vie collective. Ainsi, l’efficience d’une entreprise peut dépendre de son sens de l’organisation ou de la qualité de son organisation, c’est-à- dire de sa capacité à agencer la circulation de l’information et la coopération au travail par exemple. L’organisation est un lieu de perpétuels débats entre les acteurs pour arriver momentanément à résoudre, d’une façon la plus acceptable pour certains, les problématiques managériales : les problématiques de structuration et de coordination du travail, les problématiques de la cohésion et de l’engagement, les problématiques de l’évolution et du changement (Mucchielli, 2006). Françoise Bernard distingue les organisations relevant de l’économie de marché et les organisations relevant de l’économie sociale en considérant que ces dernières relèvent plutôt de l’organisation « institution » alors que les organisations du secteur des hautes technologies relèvent plutôt d’une définition de l’organisation « artefact » (Bernard, 1997). Poursuivant la distinction, l’auteur précise que les organisations Structure

Humain

Physique

« institution » sont centrées sur des éléments de « valeur », référent éthique, tandis que les organisations « artefact » sont centrées sur les éléments de « fait ».

La théorie de la structuration d’Anthony Giddens (1987) part d’une conception particulière de l’acteur social. Elle remet en cause les conceptions traditionnelles et opposées (sociologies de l’action et fonctionnalisme) qui défendent soit la domination de l’acteur social, soit l’influence des structures sociales. Cette théorie aborde les notions d’action et de structure dans une relation dialectique. Les acteurs en co-présence sont indissociables des structures sociales qui les portent. Leurs comportements ne sont pas déterminés, les acteurs sont capables d’exprimer les raisons de faire ce qu’ils font de façon discursive. L’action est contextuelle, elle se conçoit placée dans l’espace et le temps, c’est-à-dire dans le cadre de contextes. L’action entretient un rapport de médiation entre un soi agissant et le monde environnant. Partant des travaux d’Anthony Giddens, nous proposons de nous approprier le concept d’organisation élargie élaboré par Daphné Duvernay (2004) et considérer, à la suite de Christian Le Moënne (2006 : 16), les dimensions différentes de l’organisation : « les “micro”, “meso” et “macro-

niveaux” de l’économie industrielle suggèrent qu’il pourrait y avoir différents “espaces”, qui (…) appellent des approches différentes. » Le concept

d’organisation élargie nous permet de situer les actions conduites par les individus enseignants dans le contexte collectif de l’Éducation nationale. L’organisation élargie imbrique cinq niveaux organisationnels : un infra-niveau, un micro-niveau, un méso-niveau, un macro-niveau et un méta-niveau d’organisation.

- L’infra-niveau des motivations intrinsèques des individus est en quelque sorte le point central de notre étude puisque le « projet engageant » s’adresse au sujet doué d’intentionnalité première, laquelle contribue à l’émergence du changement.

- Le micro-niveau représente les composantes organigramme dans lesquelles le sujet singulier conduit ses actions. Pour l’enseignant du premier degré, il s’agit de sa classe, de son école et de la circonscription dont il dépend. Pour le projet « P’tit journ@l », ce niveau est celui des partenariats, des engagements et de l’action.

Les participants au projet se reconnaissent comme partenaires à ce niveau et appartiennent à une culture commune (Lamizet, 1994). Ce niveau est celui dans lequel le « chercheur-acteur-impliqué » évolue en quête de significations.

- Le méso-niveau est le niveau de l’organisation institution, à savoir l’Inspection académique et le Rectorat. Ce niveau structure le fonctionnement des deux précédents par l’insertion de normes, de règles, de pratiques qu’elles soient singulières, rituelles ou de routines. C’est le lieu de la décision, de l’organisation, en tant que méthode de travail, et de la structuration. Ce niveau est organisé selon une hiérarchie très prégnante.

- Le macro-niveau est représenté par les structures étatiques du secteur de l’éducation. La Direction de l’enseignement scolaire (Desco) est responsable de l’enseignement primaire. La Délégation aux usages d’Internet (Dui) coordonne les actions gouvernementales touchant le grand public. La Sous-direction des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (Sd-Tice) établit les grands schémas d’ensemble pour l’intégration des Tic et poursuit des missions de développement des Tic dans le système éducatif. Elle est chargée de la mise en œuvre des décisions pour l’enseignement scolaire. Ce niveau est celui du pilotage national.

- Le méta-niveau est celui des idées, des projets sociopolitiques, des valeurs portées par une Nation, de l’Institution en tant qu’idéal. « L’éducation est, par excellence, une institution, c’est-à-dire un

ensemble d’idées, de croyances, de normes, de comportements proposés et souvent imposées dans une société donnée. » (Petit,

1986 : 30).

Cette conception de l’organisation élargie Éducation nationale, présentée dans la figure suivante, met en évidence des systèmes sociaux. Dans la perspective des travaux d’Anthony Giddens (1987), nous considérons que les systèmes sociaux établissent des relations dialectiques avec les acteurs sociaux. Leurs

comportements ne sont pas déterminés, chacun peut rendre compte par le discours, de ce qu’il fait quand il le fait.

Figure 7 : L’organisation élargie appliquée à notre terrain (d’après Duvernay, 2004 : 142)

Méta-niveau

L’Éducation en général, les idéaux républicains

Infra-niveau

Intentionnalité première du sujet

Micro-niveau

Ecoles, Ien, Cddp, Clemi

Méso-niveau

Rectorat, Inspection académique

Macro-niveau