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En France, comme pour la plupart des pays européens, les budgets limités des établissements sont absorbés par les logiciels génériques. Les usages se développent très lentement et les logiciels proposés par les éditeurs ne satisfont pas les attentes des enseignants. Cependant, la diffusion dans la société des

ordinateurs multimédias et des connexions aux réseaux de télécommunication au début des années 90 relance les initiatives politiques envers les écoles. Conscients des déceptions causées par les plans massifs d’équipement des années 80, les gouvernements européens hésitent à se lancer dans une nouvelle aventure coûteuse tant en moyens financiers qu’humains. Dès 1996, l’explosion d’Internet et le défi politique et technologique lancé par l’administration Bill Clinton et Al Gore aux États-Unis déclenchent une seconde vague de mesures d’équipement et de connexion au réseau en faveur des établissements scolaires de principaux pays industrialisés. En faisant converger les intérêts de l’éducation et de l’industrie, le plan Clinton-Gore relatif aux « autoroutes de l’information » prépare la jeunesse à l’usage des Tic et élargit le marché des industriels de l’informatique et des télécommunications d’abord aux familles puis au consommateur de demain. Les uns après les autres, les pays européens s’engagent dans cette voie après l’initiative américaine en faveur des « autoroutes de l’information ». En 1994, les pays du Nord de l’Europe sont les premiers à créer un réseau international d’écoles qui relie par Internet la Suède, le Danemark, la Finlande, la Norvège et l’Islande. Début 1996, notre voisin allemand lance un programme sur trois ans dont le but est la connexion à Internet de 10 000 des 52 000 écoles allemandes, avec formation des enseignants. Ce programme associe le fournisseur d’accès Deutsche Télécom, les Länders impliqués dans des actions locales pilotes et des entreprises volontaires pour le financement de projets présentés par les établissements. Dès 1997, Tony Blair lance un New Deal pour les écoles de nos voisins britanniques, dont la pièce maîtresse est le partenariat avec les entreprises privées pour l’équipement des écoles, leur accès à des logiciels ou à des services éducatifs, administratifs et techniques. En France, le plan Claude Allègre, présenté en novembre 1997 par ce Ministre de l’Éducation nationale, prévoit l’équipement et la connexion de tous les établissements de l’enseignement public, de la maternelle au lycée. Afin de ne pas répéter les erreurs du plan « Ipt », le plan Allègre met l’accent sur la pédagogie afin que les technologies conduisent les élèves à une démarche active d’échange et de coopération. Dans le cadre de la décentralisation du système éducatif français, ce plan attribue aux Recteurs la charge d’identifier les besoins et les ressources de leurs Académies en ce qui concerne le matériel, la maintenance et les développements pédagogiques. Le

gouvernement trace les grandes lignes, mais les Collectivités locales et les équipes pédagogiques décident des mesures concrètes et mettent en œuvre des projets d’établissements. Alors que le plan « Ipt » des années 80 laissait l’initiative aux pouvoirs publics nationaux ou régionaux, les plans de la seconde vague laissent l’initiative aux acteurs de terrain. Des équipes d’enseignants motivés cherchent le soutien d’une Municipalité, d’un Département ou d’une Région pour conduire un projet local d’investissement. À la différence de la Grande-Bretagne, qui préfère systématiquement avoir recours au secteur privé, le système éducatif français se tourne d’abord sur lui-même pour l’équipement, la formation des enseignants et la production de logiciels éducatifs. Un fonds de soutien aux Collectivités locales est mis en place ; il permet à l’État de participer à leurs côtés au financement des projets d’établissements. Les opérateurs des télécommunications sont priés de proposer des conditions préférentielles de connexion aux établissements scolaires. Cette seconde vague liée à l’explosion d’Internet introduit un changement dans les usages des Tic. Il ne s’agit plus d’initier une classe d’âge à l’informatique et à ses implications dans la société, mais de dessiner un véritable projet de vie dans la «société de l’information » tout en résistant, selon Christian Gautelier à la pression « d’un marché qui emporte tout sur son passage » (Crinon, Gautelier, 2001 : 163). Les plans de la seconde vague concernent l’ensemble des systèmes éducatifs, du primaire au supérieur, et mettent l’accent sur un usage banalisé des Tic, transversal et pédagogique, qui prenne en compte les trois missions de l’école : la construction des savoirs, le développement de la personne et la formation du citoyen. Cette approche s’accompagne d’une réflexion sur l’éducation en général et sur les méthodes pédagogiques. Le concept anglo-saxon de long life learning se répand dans les cercles éducatifs. L’école est désormais considérée comme un des accès possibles à l’éducation et à la culture. Internet et le multimédia fondent cette vision d’un apprentissage à la carte sans contrainte de lieu, de temps et en fonction de besoins définis. Les ordinateurs qui équipent les écoles sont multimédias ; ils gèrent simultanément de l’image, du texte et du son et peuvent communiquer entre eux. De nouveaux usages apparaissent et donnent aux Tic leur statut d’outil pédagogique. Il s’agit de l’échange de messages électroniques ou courriels, de la recherche documentaire en ligne, de la gestion commune de fichiers et de la création des sites d’écoles. Petit à petit, des

échanges lient des établissements, des élèves, des enseignants autour d’un projet pédagogique commun :

- le journal en ligne franco-québécois « Cyberpresse63 » né en 1996 ; - le village virtuel « Anvie la Corbeline » 64 dont le principe est la correspondance entre les élèves d’une classe et les personnages imaginaires du village virtuel ;

- l’environnement du « Monde de Darwin65 » dont l’objectif est de contribuer au développement de la démarche scientifique en incitant les apprenants à la coopération et au partage d’informations.

Ces usages reflètent une pédagogie du faire, de la création, de la production de contenus sous la forme de cédérom, de journaux, de sites d’écoles sur Internet. L’ordinateur devient un outil au service de l’expression humaine, sensible et émotive, des relations et des échanges. Les démarches d’utilisation des Tic mettent l’accent sur l’activité du sujet apprenant, autonome, responsable, en interaction avec ses partenaires de travail, participant à l’entraide et à la coopération dans la classe et à de véritables situations de communication.

Dans tous les cas, l’existence d’un projet identifié, co-construit et problématisé est la condition première. « Aussi les projets impliquant les Tic nécessitent-ils une

articulation cohérente avec le projet global de l’établissement, une gestion du temps et de l’espace desserrée au profit d’emplois du temps plus modulaires (…) la présence d’ordinateurs dans les salles de classe et en accès libre dans des lieux collectifs : autant de facteurs qui favorisent une utilisation novatrice des Tic. »

(Crinon, Gautelier, 2001 : 164).

1.3.2.1 : Traduction

Cette seconde vague est marquée par une approche de la technique comme un construit social : l’approche de la « traduction » dont la spécificité réside dans la construction « d’alliances » au sein de « réseaux » vers la mise au point d’un

63 http://cyberpresse.cndp.fr 64 http://anvie.cdp.ac-caen.fr

système technologique, la construction sociale des « boîtes noires » (Latour, 1989 ; Callon, 1986). Ces alliances relèvent d’un processus de traduction, d’intéressement et d’enrôlement auprès d’acteurs humains et non humains, comme un projet local doit laisser l’initiative aux acteurs de terrain pour bâtir des partenariats, convaincre des décideurs institutionnels et trouver des financements. Le plan Allègre lancé en 1997 valorise « les acteurs stratégiques » du terrain local dans le cadre de la décentralisation du système éducatif. À l’inverse du plan informatique pour tous porté par une volonté politique nationale, les projets de la seconde vague dépendent du recensement des besoins et des ressources identifiées au niveau local. Victor Scardigli (1992) souligne l’importance majeure des acteurs locaux. Ces derniers sont concernés par l’appropriation culturelle d’une vague d’innovations technologiques et mettent en œuvre un réseau d’acteurs complémentaires : les micro-acteurs (familles, réseaux d’amis et de connaissances, petites entreprises), les acteurs intermédiaires (associations, écoles) et les acteurs institutionnels (Collectivités territoriales, lieux de recherche et d’enseignement). Dans cette perspective, les technologies font l’objet d’une appropriation sociale et culturelle par les micro-acteurs de la vie quotidienne. Comme le souligne Madeleine Akrich (1993), ces derniers n’apparaissent qu’à la mise en œuvre de la technique, comme de simples tacticiens dans un contexte social particulier : « L’utilisateur des dispositifs techniques n’est perçu qu’au

travers de sa confrontation avec l’objet. » (Akrich, 1993 : 37).

La conception sociotechnique sous-jacente est portée par l’évolution du matériel informatique et l’apparition de l’Internet. L’ordinateur est multimédia. Connecté au réseau Internet, il permet l’échange du son, de l’image et du texte entre internautes. Les pratiques d’échange, de recherche et de publication d’informations sur le World Wide Web (www) ou sur les bases de données se développent et contribuent à l’émergence de l’utopie de « l’intelligence

collective » (Levy, 1994). Pour Pierre Levy, le problème n’est pas celui de l’accès

aux technologies de l’information et de la communication, mais plutôt de savoir si le mode classique de diffusion de l’information sera reproduit aux dépens des perspectives offertes par Internet : l’individu devient co-producteur de ses savoirs

en participant à des processus d’intelligence collective. Cette intelligence consiste à mettre en synergie les compétences des individus selon le principe que chacun sait quelque chose ou est doué de compétences et de savoir-faire. À l’école primaire, cette synergie se révèle dans la profusion de sites d’écoles, de groupement de classes ou classe unique. De nombreux enseignants se battent pour introduire les Tic dans leur établissement. En témoigne l’expérience du « réseau buissonnier » mené dans le Vercors auprès d’une quinzaine d’écoles primaires rurales. L’objectif initial est la rupture de l’isolement des classes, souvent unique, et l’initiation des enfants aux Tic. Les élèves de ces écoles participent directement à la constitution en commun de dossiers thématiques et échangent des informations qu’ils publient, par la suite, sur le site du réseau. Ces sites appartiennent à la génération du web.1. Ils sont statiques et leur complexité exige la présence d’un webmestre ; il s’agit le plus souvent d’un enseignant compétent bénévole ou détaché à cette fin.

Cette pédagogie consiste à faire coopérer les enfants et à valoriser les connaissances acquises autrement que par l’attribution d’une note. Elle existe depuis plus d’un siècle sous le vocable de pédagogie active et porte en elle une conception constructiviste de l’apprentissage. Les priorités sont le respect de l’enfant et le développement de son intelligence, obtenus par les méthodes actives qui permettent de construire les connaissances en développant l’autonomie. Pour les constructivistes, les connaissances sont des fabrications individuelles résultant de l’expérience personnelle. Les constructions mentales qui permettent d’appréhender une même réalité diffèrent d’un individu à l’autre. Les connaissances correspondent à des réalités subjectives et intérieures et sont des interprétations viables de notre monde élaborées à un instant donné. De ce fait, les constructivistes prônent une pédagogie de l’interaction reposant sur deux principes : la construction des connaissances par l’apprenant et la négociation des connaissances dans le cadre d’interaction avec d’autres apprenants. L’apprentissage se déroule alors dans un contexte social où l’apprenant échange, partage, confronte ses idées et ses points de vue avec ses pairs ou la société. Cette négociation sociale l’amène peu à peu à prendre la mesure de ses connaissances et de leur validité.

Au cours de la seconde vague, l’ordinateur est passé d’objet à outil d’enseignement dans le cadre restreint des pédagogies alternatives. La logique des projets locaux induit la construction d’alliances et d’enrôlement d’acteurs au sein de réseaux pédagogiques innovants qui valorisent l’outil communiquant que représente l’ordinateur multimédia connecté au réseau.