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Dans le cadre de notre recherche, nous considérons l’usage comme un construit social (Chambat, 1994) qui permet la prise en compte du phénomène d’appropriation des objets et des dispositifs techniques. L’usage est l’ensemble des pratiques quotidiennes des acteurs enseignants, leurs manières de faire singulières ou stabilisées, les attitudes et les représentations qu’ils développent face au dispositif technique (Millerand, 1998 ; Jouët, 1993). Cette notion nous aide à comprendre ce qui se passe quand l’usager entre en confrontation avec la machine. Nous sommes amené à considérer les attitudes, les représentations de la technique et les histoires personnelles vécues par chacun au cours de cette rencontre avec la technique (Thevenot, 1993).

Le chercheur que nous sommes s’intéresse aux usages des Tic par les enseignants en situation pédagogique, c’est-à-dire aux pratiques professionnelles éducatives à visée de communication collaborative. Nous questionnons l’appropriation des Tic qui représente leur « intégration créatrice » (Breton & Proulx, 2002). Nous rapprochons le concept « d’appropriation » (Breton & Proulx, 2002) des « braconnages », « ruses » et « manière de faire » (De Certeau, 1980) qui possèdent un sens propre pour l’usager. Nous sommes en quête de ces « logiques d’usage » (Perriault, 1989) qui permettent des créations alternatives, une « production de soi » (Jouët, 1993a), une négociation entre les utilisateurs et la technologie d’une part, entre les utilisateurs et les concepteurs d’autre part.

Dans le cadre de nos résultats, nous nous attacherons à rendre compte du passage du scénario porté et énoncé à la mise en place du projet « P’tit journ@l » vers un scénario approprié par les participants : comment les acteurs-enseignants s’approprient le dispositif technique dans leur contexte élargi ? Quelle adaptation, extension, déplacement ou détournement opèrent-ils pour donner une signification à leur usage du dispositif pédagogique ? Comment deviennent-ils des auteurs- actants qui inventent leurs usages, voire interagissent avec les concepteurs au cours de multiples médiations permettant la modification des scénarios d’usage initiaux ?

Méthodologiquement, les études d’usages accordent un rôle central aux discours des usagers saisis dans les contextes d’usage des objets ou des dispositifs

techniques. Par conséquent, les phénomènes liés à l’usage de la technologie sont associés à des discours d’usagers, lesquels sont placés en bout de chaîne car ils ne produisent plus que du discours. Ceci renforce la perception des usages sociaux en phénomène de réception pour des objets élaborés ailleurs ainsi que la partition traditionnelle entre la production et la réception, les stratégies des concepteurs et les tactiques des utilisateurs. Pour sortir de cette conception linéaire de l’usage, nous renonçons à penser les usages en termes de simples rapports à la technique ou en phénomènes de réception. Le croisement des regards individuels de professionnels sur les logiques de conception et des regards individuels d’usagers sur les logiques d’usages permet de montrer que les logiques d’usages intègrent un repérage et une reconnaissance des intentions de conception à partir desquelles elles se construisent, tandis que symétriquement, les logiques de conception se fondent partiellement sur une anticipation constante des usages supposés. Il s’agit d’aller vers une prise en compte méthodologique de l’usage comme représentation sociale (Le Marec, 2001). Définies par Serge Moscovici (1961), les représentations sociales sont considérées comme des savoirs sociaux, à la charnière de l’individuel et du collectif, qui ont une visée pratique et sont produits et mobilisés au cours d’interactions et dans des processus de communication. Ainsi, le mode d’interprétation des discours des usagers doit tenter de repérer la manière dont les usages sont liés à un contexte : « Le contexte n’est pas un

environnement objectif éventuellement filtré par les représentations sociales, dans lequel prendraient place les phénomènes de l’usage tels qu’ils se manifestent par des comportements et des discours en situation. (…) Dans la mesure où les usages peuvent être vus comme des représentations en actes qui s’actualisent dans des situations qu’elles contribuent à créer, orienter ou modifier, le contexte est une partie intégrante de l’usage. » (Le Marec, 2001). Cet élargissement de la notion

d’usage aux représentations permet la considération des façons de faire avec l’objet comme des élaborations parfois très complexes et non comme des réactions face à la technique. L’usage devient une notion plastique et complexe qui intègre trois dimensions s’appuyant sur les représentations sociales : les projets, les contextes, les techniques. Les usagers qui produisent des discours sont bien souvent impliqués dans un projet culturel ou social de diffusion des Tic. Cette implication personnelle dépend de leurs propres intérêts et de leur propre

histoire. L’usage personnel dépend d’un projet d’usage lequel s’articule à un projet de vie. Ces logiques de projets déterminent le rapport à l’objet et à son contenu (Davallon & al., 1997).

Le contexte d’utilisation, public ou privé, institutionnel ou informel détermine les conditions spécifiques d’utilisation des Tic et un cadrage de l’usage dans des pratiques sociales et culturelles préexistantes. Les pratiques sont recadrées, recomposées et plus ou moins complexifiées par l’usage de la technique et par la volonté des usagers de composer avec la nouveauté. La technique de l’usage, les activités manipulatoires ne sont pas seulement des façons de bricoler ou de se débrouiller avec les objets techniques. Elles peuvent représenter des techniques inventées et mises au point par les utilisateurs pour fabriquer quelque chose avec la technologie pour soi-même ou pour autrui.

Dans le cadre de notre recherche, nous prenons en compte la plasticité intéressante de la notion d’usage et nous nous attachons à l’étudier sous ses dimensions multiples qui dépassent totalement la question de l’utilisation. Les représentations sociales permettent la prise en compte de la richesse des savoirs dans l’étude du rapport entre les individus et les machines, rendent nécessaire l’articulation précise et détaillée des savoirs, des objets et des pratiques et s’élaborent à partir de multiples médiations, concept dont nous allons rendre compte à présent.