• Aucun résultat trouvé

Le bilan de trente-cinq années d’introduction des technologies informatiques dans le système éducatif est dressé par les enquêtes, notes d’évaluation et rapports que nous avons présentés. La grande majorité de ces évaluations utilisent des indicateurs quantitatifs pour évaluer la mise en place des Tic dans l’éducation. Qu’il s’agisse du taux d’équipement (ratio nombre d’élèves par ordinateur), du nombre d’enseignants formés (ratio nombre de stages proposés et nombre de stagiaires présents), de la fréquence des usages (nombre de connexions sur Internet, de mails échangés, de consultations des sites éducatifs et de pages publiées) ou du nombre de personnes impliquées dans la validation du B2i, ces indicateurs quantitatifs dressent un bilan statique. Ils ne permettent pas de comprendre comment se fait l’intégration des Tic à l’école mais décrivent de manière objective une situation. « Même construits avec soin, ces indicateurs

quantitatifs renseignent peu sur les activités réelles dans lesquelles les acteurs sont engagés, encore moins sur le sens que peuvent avoir pour eux de telles activités. » (Baron, Bruillard, 1996 : 95). Il s’agit plus de justifier la

modernisation du système éducatif que d’éclairer l’évolution des mentalités et des visées pédagogiques dans une société de l’information.

Pour mesurer l’apport des Tic à l’apprentissage, dans les disciplines, dans les pratiques pédagogiques, dans la construction de compétences, il faut rechercher des indicateurs qualitatifs qui rendent compte des changements de comportement des élèves et des enseignants. S’il est reconnu que les Tic favorisent la prise d’information, la production de documents et la communication, il faut admettre que la communauté éducative joue un rôle fondamental dans l’intégration de celles-ci. Il ne suffit pas de généraliser la connexion des usagers à un réseau à haut débit pour que les modalités de travail collaboratif s’instaurent (Cerisier, 2005). Dans les faits, les usages développés à l’école restent très éloignés des pratiques collaboratives en réseau et la faible création de contenus en situation pédagogique rend compte du manque d’appropriation de cet outil en situation de face à face avec les élèves. « Cela signifie qu’avant de s’occuper des machines et des

utilisation, de ceux et celles qui devront faire en sorte que les élèves de demain soient capables de les employer avec plaisir et à bon escient, de ceux et celles qui avant toute chose, comme le renard, devront les apprivoiser. “Qu’est ce que signifie apprivoiser ?” demandait le Petit Prince. C’est une chose trop oubliée. Ça signifie “créer des liens” répondit le renard. Les enseignants savent qu’il est important d’avoir une bonne relation, d’avoir créé des liens avec ce que l’on veut utiliser ou étudier. Mais on n’apprivoise pas n’importe comment : on apprend d’abord à ne pas être effrayé et à s’approcher de plus en plus près de ce que l’on veut apprivoiser. C’est bien ainsi que les membres de la communauté éducative devront agir : il leur faudra d’abord apprendre à aimer ces nouvelles technologies, pour être capables de les faire aimer par leurs élèves. » (Lowenthal,

2000 : 268).

À l’école primaire, les usages pédagogiques de l’informatique sont étroitement liés au degré d’investissement des enseignants leaders qui se sont formés seuls pour la plupart et à l’engagement des directeurs d’école, à l’investissement des parents d’élèves ainsi qu’ au soutien des Inspecteurs de l’Education nationale (Inrp, 1998 & 2000). Les attitudes personnelles des enseignants, renforcées ou contrecarrées par le contexte local spécifique, sont plus déterminantes pour la mise en place des activités intégrant les technologies de l’information et de la communication que les instructions officielles (Harrari, 2000).

Les freins à l’intégration des Tic dans la pratique pédagogique sont nombreux, ils relèvent des représentations du métier et de l’apprendre (Pouts-Lajus,1998). L’ordinateur peut-il remplacer l’enseignant dans une logique de transmission des savoirs ? Peut-on laisser seul l’élève face à l’outil alors que les interactions dans une classe sont au centre de l’apprentissage dans une logique de construction active des connaissances ? D’autres freins dépendent de la qualité des contenus proposés en situation pédagogique : Internet est une vaste banque de données dont les informations sont à valider. Identifier les sources de l’information, les vérifier, les hiérarchiser sont des compétences à développer avec un certain sens critique que les élèves ne peuvent acquérir seuls. Par ailleurs, l’offre technologique est en constante évolution et, de ce fait, le matériel est vite obsolète par rapport aux nouveaux contenus proposés sur le marché des logiciels éducatifs. Pourtant les Tic

offrent l’opportunité d’apprendre différemment à l’école et en dehors de l’école. L’ordinateur, doté d’outils divers qui permettent la création et la mémorisation de contenus multimédias, devient un objet communicant qui s’inscrit dans un véritable acte de communication quand il est relié au réseau (Crinon et Gautellier, 2001).

Le problème de l’acculturation progressive de la communauté éducative aux nouveaux outils est posé. Il s’agit de comprendre comment les membres de la communauté éducative s’approprient peu à peu les Tic et développent des usages, car ce n’est pas parce qu’un dispositif technique permet l’échange, la mutualisation et la collaboration que les membres de la communauté vont échanger, mutualiser, collaborer. À défaut, nous retrouverions l’illusion selon laquelle la conception des outils porte un déterminisme technologique capable de primer sur le déterminisme social concernant les usages. Or, la logique de l’usage modifie bien souvent les règles à l’origine de la conception de l’outil technique (Perriault,1989).

Il faut aussi compter sur la faiblesse des réseaux humains, c’est-à-dire la difficulté à partager et à échanger dans une culture fortement marquée par l’individualisme et la reconnaissance du mérite personnel. « L’investissement en vaut-il la

peine ? » est la question posée par Alain Chaptal, chef de la mission veille

technologique au Cndp48, quand il constate que : « La situation des technologies

éducatives dans l’enseignement primaire et secondaire français peut être schématiquement caractérisée par l’existence d’une tension croissante entre, d’une part, une masse critique d’équipements découlant d’un effort appréciable de la collectivité durant les dernières années et, d’autre part, des usages qui ne se développent pas au rythme espéré et restent, pour l’essentiel, encore en marge du système éducatif. » (Chaptal, 2000). Pour répondre à la question : « Des Tic pour quoi faire ? », il est temps de s’intéresser aux acteurs de la communauté éducative

considérés comme des sujets dotés d’intentionnalité et de prendre en compte le sens donné à cet outil pour tous les partenaires impliqués. L’usage n’est pas anodin. Il est révélateur d’intention et de motivation. Ainsi, il est important de

s’interroger sur le comment et le pourquoi de l’implication des personnes dans ce genre de dispositif et de considérer une notion essentielle : l’acceptabilité (Ardourel, 2002). L’acceptabilité d’un dispositif est en amont du concept d’usage et détermine la capacité à susciter des usages. « L’acceptabilité d’une situation

(ou d’un dispositif) par un public donné correspond à l’engagement des acteurs face à un choix vis-à-vis de cette situation. » (Ardourel, 2002 : 117). Elle se

construit par des actions de communication dont le but est d’établir une relation de confiance, bâtie sur des valeurs de respect et d’éthique et non par l’autorité. Elle dépend de la qualité d’écoute et de dialogue de l’Institution qui doit organiser la communication de l’autre. L’acceptabilité apparaît donc comme un principe de réflexion et un processus d’action. Ce concept est le fruit de la rencontre entre l’offre d’un nouveau produit ou service et un public ciblé qui n’exprime aucune demande explicite. Il diffère du concept d’utilisabilité (Tricot, 2000), lié aux contextes ergonomiques et cognitifs des dispositifs, car l’acceptabilité met en jeu l’environnement social et institutionnel. La qualité du projet, son adéquation avec les missions et les valeurs de l’Institution et l’existence d’un espace de négociation sont des éléments fondamentaux d’acceptabilité.

L’éducation est une activité sociale qui prend peu à peu la forme d’un marché (Moeglin, 1998) où vont se rencontrer les intentions de formation et les intentions industrielles et commerciales. De l’équilibre de ces intentions dépend la réussite des dispositifs mis en œuvre. La mise en œuvre d’un processus d’acceptabilité regroupe l’ensemble des acteurs et les engage dans une démarche communicationnelle dont l’objectif est la vérification, tout au long du développement du dispositif, des conditions et des degrés d’acceptabilité. Ce concept est au cœur de notre problématique ; nous l’évoquons en intégrant l’intentionnalité des enseignants-usagers dans le processus de généralisation des Tic à l’école.

Dans le cadre de cette recherche doctorale, nous portons notre regard sur la dichotomie entre le discours institutionnel de généralisation et d’appropriation de l’usage des Tic par une diversité d’acteurs (Barats, 2006) et la réalité sociale du « bricolage pédagogique ». Ce bricolage traduit la problématique de l’usage des Tic par les équipes éducatives, alors même que l’informatique inonde le quotidien de chaque individu. « Une des explications susceptible d’être avancée réside dans

le fait qu’environ un tiers des enseignants du secondaire se dit non convaincu d’un bénéfice tiré du recours aux Tic et que le même pourcentage déclare que la matière qu’ils enseignent ne s’y prête pas, quand bien même ils reconnaissent (…) les effets en matière de motivation des élèves. » (Chaptal, 2007 : 77).

Nous posons des questions essentielles dont le fondement dépend de notre approche personnelle du terrain en qualité d’enseignante.

- Comment inventer des « us » simples en rapport avec les besoins pédagogiques ?

- Comment s’y prendre en situation avec les élèves ?

- Un accompagnement des enseignants peut-il contribuer à une appropriation des « machines à communiquer » en situation pédagogique ?

Ce questionnement est le fil d’Ariane que nous avons suivi pour élaborer notre projet de recherche. Nous l’abordons avec un double regard : le regard du professeur des écoles et le regard du jeune chercheur en sciences de l’information et de la communication. L’enseignant que nous sommes est sensible aux aspects pédagogiques et didactiques liés à l’intégration d’une technologie en classe. En effet, nous sommes convaincu que ce qui ne fait sens ni pour les élèves, ni pour le maître, ne peut pénétrer la salle de classe, au risque de rester dans un placard. Le jeune chercheur qui s’installe en nous élabore patiemment son projet de recherche avant de le proposer à sa communauté éducative et bâtir en collaboration avec elle son objet d’étude.

Après avoir longuement présenté le contexte dans lequel s’inscrit notre travail, nous entendons aborder ici notre projet de recherche doctorale. Né d’une démarche inductive, ce projet s’est construit avec et pour le terrain et dépend de nos pré-cadres cognitifs et théoriques élaborés au cours de nos cursus d’enseignement supérieur en sciences de gestion, sciences de l’éducation et sciences de l’information et de la communication. Les hypothèses formulées sont portées par notre pratique professionnelle et notre inscription en qualité de jeune

chercheur sur le terrain de nos activités professionnelles : il s’agit de l’école élémentaire que nous abordons en qualité de membre reconnu par ses pairs.

0.3.1 : Constat

Le système éducatif entre dans une logique d’industrialisation de la formation et de rationalisation des pratiques telle que Pierre Moeglin (1998) et Elisabeth Fichez (2001) la définissent. Cette logique conduit à la généralisation des technologies de l’information et de la communication dans les établissements scolaires. Or nous constatons un paradoxe entre les discours institutionnels d’intégration des Tic et les pratiques d’enseignants.

D’un côté, les collectivités territoriales investissent massivement en infrastructures et en connexions à la suite des plans Réso 2000 et 2007, le Ministère de l’Éducation nationale instaure le cadre de certification de compétences avec le B2i pour les élèves et le C2i pour les enseignants, et le Parlement vote la nouvelle loi d’orientation pour l’école qui intègre l’utilisation des Tic dans le socle commun de connaissances et de compétences.

De l’autre côté, les études réalisées tant par et pour le ministère constatent la faiblesse de l’usage de ces technologies en situation pédagogique et le manque de création de contenus par la communauté éducative. Ainsi, les discours conduisent les acteurs à avoir conscience des enjeux de l’intégration des Tic ; cependant, il y a inadaptation entre les efforts et les effets. Au regard des investissements réalisés et des coûts engagés, le rapport de l’Inspection Générale des Finances (Igf) et de l’Inspection Générale de l’Education Nationale (Igen) constate l’insuffisance des résultats (Igf, Igen, 2007).

L’analyse du contexte général et local de l’introduction des Tic dans le système éducatif nous permet de dresser le constat suivant :

Il ne suffit pas d’équiper les écoles pour voir les Tic intégrées dans les pratiques de classe. La généralisation des infrastructures et les projets d’équipement sont nécessaires, ils ne sont cependant pas suffisants.

Nous postulons que des projets d’usage des Tic sont à inventer avec les enseignants dans le cadre d’un modèle d’intégration qui place au premier rang la formation professionnelle et s’appuie sur la responsabilisation et l’autonomie des élèves. Nous tentons alors d’élaborer un projet de recherche qui tienne compte de cette considération.