• Aucun résultat trouvé

Les concepts d’identité et d’appartenance représentent les deux dimensions de la médiation. « L’identité renvoie à la dimension singulière du sujet qui est, par

définition, unique et représentative de celui qui en est porteur. L’appartenance, au contraire, complémentaire de l’identité dans la constitution de la personnalité du sujet, relève de sa dimension collective : de son aptitude à la socialisation et de son expérience de la citoyenneté. » (Lamizet, 1994 : 139). Bernard Lamizet

définit donc la médiation dans la relation. Cette médiation assure l’articulation entre le singulier et le collectif par l’appropriation des codes et des référents communs à une société, à une culture, à une communauté. « On parle de

médiation à partir du moment où s’engage une dialectique du singulier et du collectif. » (Lamizet, 1994 : 135). L’auteur conçoit la médiation sur la

que la parole individuellement assumée est une parole qui s’énonce dans l’espace particulier où vivent et où s’expriment des personnes singulières, la parole qui s’énonce “au nom de” s’énonce dans l’espace public. C’est cela la médiation. »

(Lamizet, 1992 : 184-186). La communication est un échange de signifiants dont le sens résulte d’un contrat entre les sujets qui échangent. Le signe est arbitraire, son sens dépend de l’adhésion à un code, à un système de significations et donc de l’appartenance à une culture. « La communication produit du sens, et par

conséquent les personnes qui s’échangent du sens produisent du sens ensemble (…) à force de communiquer ensemble, on finit par produire des changements, des évolutions dans les représentations qu’on se fait des choses. Mais, cela n’est pas de l’action, c’est du symbolique. » (Lamizet, 1994 : 145).

L’espace public est alors « un espace structuré, jalonné, repéré par des relations

d’appartenance et par des relations de reconnaissance par les autres acteurs, qui, comme nous, font partie de cet espace de sociabilité et le composent avec nous. »

(Lamizet,1994 : 137). L’espace social est l’espace de la communication et de la relation avec les autres, dans lequel nous circulons sous le regard de l’autre et dans lequel nous conservons une image d’acteur intégré à la vie sociale et collective. Cette image est produite par notre adhésion à la norme sociale de la mode (le code vestimentaire d’une communauté), notre culture et notre savoir, notre profession et notre statut social. Dans tous les cas, elle porte la représentation de notre appartenance à une culture commune, de notre inscription dans la sociabilité par les pratiques professionnelles et sociales qui nous font reconnaître de nos partenaires. Dans l’espace social ainsi désigné, cohabitent trois formes de médiation de la communication (Lamizet, 1997 : 364-365) :

- La médiation du langage ou médiation symbolique : « le langage et

le symbolique constituent des médiations, car ils assurent, au cours de l’usage qui en est fait par les sujets, l’appropriation singulière des codes collectifs. » Chaque locuteur rend possible la médiation

symbolique car il possède une façon particulière de s’exprimer. Cette expression particulière dépend des modes d’appropriation du vocabulaire, de la grammaire et du système de représentations de l’individu. « Le langage est, sans doute, la première médiation. En

hommes en leur donnant du sens et en leur permettant de représenter symboliquement le réel qu’ils perçoivent (…) pour s’inscrire dans un code commun à tous, et, ainsi, faire l’objet d’un partage, d’une mise en commun entre tous ceux qui appartiennent à la même culture. » L’individu fait « un usage singulier de la norme collective que représente le langage », il se construit sa

représentation du lien social par la médiation du langage en s’appropriant de façon singulière le langage commun de l’espace social de communication, fondé sur des normes collectives.

- La médiation de la communication dans l’espace social : « Si la

communication exerce une fonction de médiation dans l’espace social, c’est qu’elle organise et structure les expressions des appartenances dont les acteurs sociaux se réclament dans l’espace social. » Cette médiation se retrouve dans trois types

d’organisation de l’espace social : le repérage, l’esthétique et la diffusion. Le repérage correspond à la médiation de la carte, au côté symbolique de l’espace qui fait sens pour le sujet. Daniel Bougnoux (2006) considère que la carte et le territoire entretiennent des rapports conflictuels car ces deux termes sont séparés de part et d’autre de la « coupure sémiotique » qui qualifie l’accès au symbolique. L’esthétique fait référence au paysage et à la forme de l’espace. La médiation culturelle, artistique, esthétique permet la construction d’une vision du paysage, elle représente l’ensemble des savoirs, des images, des représentations qui nous aident à définir la société à laquelle nous appartenons. Elle est perceptible et accessible car le sens d’une œuvre dépend de l’émotion esthétique qu’elle dégage, de la reconnaissance d’une culture. Elle renvoie à la dimension originaire du sujet, articule l’appartenance sociale et culturelle de ceux qui assistent à l’œuvre d’art et à la promesse d’éternité qu’elle comporte (Lamizet, 94). La diffusion ou médiation informationnelle correspond à la mise en forme du réel pour le rendre diffusable par le langage, les images ou selon les structures des processus de diffusion. L’information

exerce un processus de médiation car elle participe à une unification du tissu social et à un renforcement du lien constitutif de la sociabilité. Les médias ont pour premier rôle la diffusion de l’information. Or, ils contribuent aussi à renforcer la cohésion culturelle et l’identité des membres de l’espace social dans lequel l’information est diffusée (Lamizet, 94).

- La médiation institutionnelle est la troisième forme de médiation. C’est une médiation symbolique de l’appartenance sociale. L’institution est une organisation qui représente le lien et l’appartenance sociale de ceux qui la composent, c’est un ensemble de formes, de représentations et d’informations. « Les stratégies de

communication sont des médiations institutionnelles parce qu’elles représentent l’usage communicationnel des institutions par les acteurs qui en font partie. Les stratégies de communication sont mises en oeuvre par des acteurs institutionnels en vue de faire évoluer l’espace public et institutionnel dans lequel ils se trouvent.» L’individu appartient à une communauté d’acteurs

sociaux et la médiation lui permet de dépasser la seule dimension de la singularité en facilitant son insertion dans le collectif. Il peut communiquer au nom de l’institution qu’il représente et qui le représente. La médiation « se structure sur la base d’une

institutionnalisation de la relation » (Lamizet, 1992 : 330) et le

langage assure une fonction de médiation symbolique.

1.1.3.5 : Penser nos concepts « d’accompagnement » et de « projet

engageant » autour des médiations

Dans les catégories précédemment définies, la médiation représente un tiers qui bouleverse la logique binaire contenue dans le rapport du sujet à l’objet que ce dernier soit le langage, la communication dans l’espace social ou le rapport à l’institution. Ce tiers propose une mise en relation composée « à travers des

mixtes, mi-humains mi-matériels, que l’analyse traditionnelle, construite sur l’opposition binaire entre le monde naturel et le monde symbolique, entre un

univers de choses et un univers de signes, n’arrive pas à penser. » (Hennion,

1993 : 13-14).

Dans le cadre de notre recherche, nous privilégions deux conceptions de la médiation pour rendre compte des concepts « d’accompagnement » et de « projet engageant » : la médiation de la technique et du social (Jouët, 1993a ; Perriault, 1989 ; Proulx, 2000) et la médiation de la communication (Lamizet, 1992, 1994, 1997). En effet, nous dénonçons le déterminisme technique et nous nous intéressons d’abord aux médiations de la technique et du social qui favorisent l’appropriation de la technique par le développement d’usages personnels. Puis nous engageons notre réflexion sur la médiation de la communication lors de « l’accompagnement » des acteurs dans le cadre d’un « projet engageant ».

Partant des travaux de la sociologie de l’innovation, nous avançons l’idée que « l’accompagnement » est une médiation qui permet d’articuler le singulier et le collectif (Lamizet, 94) vers la co-construction de l’interface technique « P’tit journ@l » entre les usagers et les concepteurs (Flichy, 2003) et l’évolution des représentations des enseignants au sujet de la technique. La médiation renvoie ici à un double fonctionnement : elle désigne l’ensemble des dynamiques et des structures engagées dans l’appropriation de formes collectives, sociales et institutionnelles (les usages collaboratifs ou l’acquisition des compétences du C2i) ou dans la forme collective de représentations individuelles (les craintes de la technique, les utopies portées par les discours, le dépassement de soi et la confiance).

Par ailleurs, le « projet engageant » pense l’intentionnalité des acteurs et nous invite à questionner l’engagement dans une logique d’appartenance. L’appartenance caractérise l’émergence de la sociabilité de l’espace dans la conscience du sujet (Lamizet, 94). L’existence sociale de l’individu se fonde sur les liens d’appartenance qu’il choisit et qu’il assume dans les rapports sociaux. Ce choix exige une condition de liberté et de responsabilité car il engage l’individu et détermine sa reconnaissance dans l’espace social. « La médiation me permet

d’avoir des opinions ou des choix sociaux et politiques, et, en même temps de comprendre que ces choix et ces opinions ne sont pas seulement individuels, mais qu’ils relèvent aussi des conditions et des circonstances de mon insertion, de mon ancrage, dans la vie institutionnelle et sociale. » (Lamizet, 94 : 139).

Après avoir éclairé les concepts d’organisation élargie, d’usage et de médiation, nous interrogeons la sociologie de l’innovation pour comprendre le paradoxe auquel nous faisons face. Le modèle d’intégration des technologies dans le système éducatif est-il à l’origine de la « consistance » des acteurs par rapport au changement de pratiques professionnelles que ces techniques induisent implicitement ? Sommes-nous dans un diffusionnisme technique qui pense la mise en usage d’équipements informatiques en omettant de s’intéresser aux acteurs enseignants, à leurs contraintes, leur histoire, leur pratique et leur rapport à la technique ?

1.2 : L’innovation technique : approches conceptuelles en