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V ARIA TI ONS SUR DES TECHNIQUES DE CODIFICATION

B. Techniques d'expression des codes

«Un code n'est pas un magma d'articles. Ce n'est pas un chaos, mais un ordre, une présentation ordonnée d'un pan de 1 'ordre juridique.» 17 Cela n'est

15 GUY BRAIBANT, «La problématique de la codification», in: Faut-il codifier le droit?

Expériences comparées (note 12), p. 165.

16 F. TERRÉ/OUDIN-ADAM, «Codifier est un art difficile (à propos d'un ... code de com-merce»), D 1994, chron., p. 99.

17 GÉRARD CORNU, Linguistique juridique, 2ème éd., Paris 2000, no 77.

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certes pas propre aux codes et devrait être inhérent à toute loi. Mais la légis-lation d'ensemble que représente un code suppose, au-delà des exigences gé-nérales de tout discours législatif, une structure particulière qui soit capable d'en embrasser toutes les nombreuses dispositions qui doivent s'y enchaîner selon un ordre logique. Chacune doit s'y incorporer à un ensemble cohérent.

Ce qui caractérise un code, c'est son unité. Tout code suppose le respect de trois unités: unité d'objet, unité d'esprit et unité de forme. L'unité d'esprit y est particulièrement caractéristique de la codification substantielle. On ne s'attachera ici qu'à cette idée d'unité qui implique, dans un code, une atten-tion particulière à sa présentaatten-tion formelle pour garantir la logique de l'in-corporation de toutes les règles qu'il comporte à l'ensemble cohérent qu'il constitue. Il faut ainsi réfléchir particulièrement, lors de l'élaboration d'un code, à la logique de sa composition d'ensemble et à celle des articles qui y sont réunis.

La composition d'ensemble d'un code doit représenter à la fois sa logi-que interne, son contenu matériel et la hiérarchie de ses dispositions pour chacune des matières qu'il régit. La division d'un code en parties s'impose en effet en raison du nombre d'articles qu'il comporte et de la possibilité de les grouper en ensembles présentant une réelle unité conceptuelle. Ainsi, un bon plan est indispensable à sa cohérence et à sa compréhension. Or, en matière législative, les plans doivent être apparents pour faciliter la lecture de la loi.

On distingue souvent des «plans logiques», fondés sur la logique déductive ou la chronologie et les «plans symboliques», dictés par l'idée que la cons-truction a pour objet de mettre en évidence 18. Mais les plans logiques, les plus courants, ont 1' avantage de permettre une normalisation des lois. Au-delà de la succession d'articles qui compose tout texte législatif, la construction d'un code revêt une importance particulière pour cristalliser son unité d'ensemble et la logique interne des parties qui y sont réunies.

S'il commence, le cas échéant, par des dispositions préliminaires, géné-rales et transversales, un code se divise toujours en parties principales dont chacune correspond à un objet déterminé. Ainsi, le Code civil français com-porte trois livres respectivement intitulés «des personnes», «des biens et des différentes modifications de la propriété» et «des différentes manières dont on acquiert la propriété». Le Code civil suisse, qui est différent du «Code des

18 VIANDIER (note 2), no 192 s.

JEAN-LOUIS BERGEL

obligations», comprend quatre livres consacrés au droit des personnes, au droit de la famille, aux successions et aux droits réels. Le Code civil du Qué-bec est divisé en dix livres, allant des personnes, de la famille, des succes-sions, des biens et des obligations, aux «priorités et hypothèques», à la preuve, à la prescription, à la publicité des droits et au droit international privé.

Chacun de ces livres comporte une structure interne, plus ou moins hié-rarchisée, et se décompose en «titres», divisés eux-mêmes, selon les cas, «en sous-titres», comportant eux-mêmes des «chapitres» subdivisés en sections, regroupant des paragraphes ou des sous-sections ...

Ces plans reflètent un ordre logique naturel des dispositions propres à chaque matière selon deux paradigmes principaux: la loi va du général au particulier et de la règle à son application 19.

Quant au choix du plan, JHERING en a posé les meilleurs critères dans

«l'esprit du droit romain»: «plus la construction est simple, et plus elle est patfaite, c'est-à-dire plus elle est claire, transparente, naturelle. [ ... ]La cons-truction est claire lorsqu'elle rend le rapport facilement accessible à notre entendement[ ... ]; elle est transparente, lorsque les conséquences du rapport apparaissent ouvertement [ ... ]; elle est naturelle, lorsque la construction ne prétend pas déroger aux phénomènes du monde physique ou intellectue1»20.

«L'article est l'élément de base de la communication normative»21 . Il caractérise le style législatif et réglementaire. C'est «le lieu d'une disposition légale», identifié dans l'ensemble d'un texte par son numéro22, par lequel on citera cette disposition. A cet égard, c'est une entité distincte des autres élé-ments du texte qui devrait se caractériser par sa concision et son unité intel-lectuelle. Le principe essentiel de la rédaction législative devrait être: «un article, une idée»23. Il s'agit là d'une des conditions de la clarté du message législatif et de sa compréhension par ses destinataires. Le législateur impose, interdit, autorise, dispose ... Il n'a pas, comme le juge, à argumenter ou à

19 CORNU (note 17), no 76.

20 RUDOLF VON JHER1NG, L'esprit du droit romain dans les diverses phases de son déve-loppement, traduit par OCTAVE LOUIS MARIE GHISLAIN DE MEULENAERE, 3ème éd., Pa-ris 1886, tome 2, page 72, cité par VIANDIER (note 2), no 192.

21 ROBERT C. BERGERON, Essais sur la rédaction législative, Ottawa 1999, p. 29.

22 CORNU (note 17), no 74.

23 Ibidem.

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motiver. Bentham écrivait: «chaque article doit être réduit à une proposition pure et simple; ou du moins un article ne doit jamais renfermer deux proposi-tions complètes et indépendantes»24. En France, actuellement, les circulaires des Premiers ministres successifs concernant 1' élaboration des textes préco-nisent de «n'énoncer qu'une règle par article».

Cette indication est toutefois souvent méconnue, notamment dans des lois dont le projet émane de ministères dits techniques dont les bureaux, con-fondant plus ou moins article et chapitre, rédigent souvent des articles «com-posés de nombreuses phrases, qui hébergent chacune plusieurs idées»25 . Cette pratique, toujours néfaste pour la clarté et la bonne interprétation des textes, est plus particulièrement à bannir dans un code fondamental qui n'a pas vo-cation à réglementer de menus détails techniques. PoRTALIS écrivait: «1' office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière»26. Il est vrai que la notion même d'unité de proposition, bien qu'elle ne soit pas claire, ne paraît pas exclure d'énoncer, dans un même article, un principe et une excep-tion, un principe et sa conséquence, un principe et sa sancexcep-tion, un principe et ses principales applications ... On observe d'ailleurs que «l'article de loi n'est pas une unité indivisible» et comporte souvent plusieurs alinéas dont chacun contient une ou plusieurs phrases27 dont le repérage dépend d'un renvoi à la ligne, quel que soit le signe placé à la fin de la ligne précédente, et devrait être identifié par un chiffre ou une lettre. L'alinéa ne devrait être que la subdivi-sion intellectuelle et formelle d'un article, dans le respect de son unité.

Mais, spécialement dans un code, au sens substantiel et fondamental de ce terme, l'expression de l'unité d'ensemble et de la généralité de principe qu'il représente doit s'exprimer formellement par des «articles d'annonce», comme par exemple 1' article 1603 du Code civil français énumérant les obli-gations principales du vendeur, qui sont précisées par la suite, des «articles

24 JÉRÊMY BENTHAM, Tactique des assemblées législatives, traduit par ETIENNE DUMONT, 2ème éd., Paris 1822, tome 1, p. 102 s., cité par CORNU (note 17), no 74.

25 VIANDIER (note 2), n° 201.

26 JEAN ETIENNE MARIE PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de code civil, Ed.

Aix-en-Provence 1988, p. 26.

27 CORNU (note 17), no 74; sur la notion actuelle d'alinéa en France, yo Circ. Premier min. du 20 octobre 2000, JO 31 oct. 2000, p. 17302.

JEAN-LOUIS BERGEL

de synthèse», placés en tête d'une division ou en transition avec la suivante, donnant une vue d'ensemble de tout un pan du droit, comme l'article 1370 du Code civil pour les obligations extra-contractuelles, et des «articles de défini-tion» des principaux concepts28.

Ces exigences formelles ne se retrouvent évidemment pas dans de sim-ples codifications administratives «à droit constant» puisque ce processus, limité à la mise en ordre de textes existants, ne comporte ni conception ni rédaction de textes nouveaux. Les problèmes techniques qui s'y attachent sont donc d'une toute autre nature.

II. La technique de codification

«à

droit constant»

A la différence de la codification réformatrice, la codification «à droit cons-tant» n'est qu'une sorte de «consolidation» ou de «compilation» consistant à rassembler dans un texte unique les dispositions existantes relatives à un domaine déterminé du droit, mais dispersées dans un nombre parfois élevé de lois séparées. Contrairement à la codification substantielle, cette codification purement formelle n'a ni fonction «dogmatique», ni fonction «subversive» et créatrice. Elle n'a qu'une fonction «pédagogique», dans la mesure où elle facilite 1' accès à la connaissance du droit. On a pu dire qu'elle est un peu «la codification du pauvre»29.

Ils' agit à cet égard d'une réponse à la «décodification» que constitue la prolifération de lois spéciales, souvent circonstancielles et dotées d'une logi-que propre, en dehors des grands codes et souvent en contradiction avec eux.

Plus un droit devient complexe et pléthorique, plus il devient inaccessible et inintelligible, donc arbitraire et injuste. Face à l'inflation législative que con-naissent les sociétés modernes, la sécurité juridique des citoyens, des entre-prises et même des collectivités publiques exige une remise en ordre systéma-tique du droit qu'une codification purement formelle des textes existants a pour but de réaliser.

Cette «consolidation» de type anglosaxon correspond à la «codification dite «administrative» que l'on pratique actuellement en France et que l'on

28 CORNU (note 17), no 75.

29 VIANDIER (note 2), n° 120.

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s'efforcera de présenter ici. Il s'agit d'une codification sans innovations, d'une simple mise en ordre des textes avec une répartition rationnelle entre des codes existants ou à créer et une organisation méthodique de chacun d'eux:

c'est pourquoi on parle de «codification à droit constant».

La Commission Supérieure de Codification, «chargée d'œuvrer à la sim-plification et à la clarification du droit», y a pour objet une codification quasi systématique du droit français, si bien que la France devrait avoir une soixan-taine de codes au début du XXIème siècle. A titre d'exemples ont été adoptés:

le Code de la consommation, par la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993, le Code Général des Collectivités Territoriales, par la loi no 96-142 du 21 février 1996 et, tout récemment, le Code de commerce et le Code de l'environne-ment, par les ordonnances n°5 2000-912 et 2000-14 du 18 septembre 2000.

Le processus de codification à droit constant est sanctionné par le Parle-ment qui vote les parties législatives des codes. Mais la loi n° 99-1071 du

16 décembre 1999 habilite maintenant le Gouvernement à procéder par ordonnances à l'adoption de la partie législative de certains codes, ce qui n'exclut pas le contrôle du Parlement à l'occasion des lois d'habilitation et de ratification. La méthodologie de cette codification à droit constant des textes législatifs et réglementaires pose des problèmes divers, dont certains sont évoqués dans une circulaire du Premier ministre du 30 mai 1996 (JO 5 juin), concernant à la fois la conception (A) et la présentation (B) des codes.