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PRATIQUE. L'EXPÉRIENCE DE LA COMMISSION EXTERNE D'ÉVALUATION

IV. A la recherche des buts

En principe, les buts poursuivis par une législation devraient constituer la référence première de toute évaluation. Le succès d'une loi, son efficacité renvoient en effet aux buts et aux objectifs visés par cette loi.

La littérature a abondamment montré à quel point cette référence posait problème20. Souvent les buts sont tout simplement absents ou déclinés à un tel niveau d'abstraction qu'ils ne présentent aucune utilité pour l' évaluateur.

Le flou permet alors aux différents acteurs concernés de poursuivre leurs propres objectifs21. Mieux précisés, les buts peuvent se révéler incompatibles

18 Idem p. 37.

19 Voir (note 6), p. 53.

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Cf. notammentMADER (note 6), p. 78 s.;HOLAND (note 16), p. 37;JEAN-DANIEL DELLEY/

LUZIUS MADER, «Que faire des objectifs dans une étude de mise en œuvre?», Revue suisse de sociologie, 3 1981, p. 385-397.

21 JEAN-DANIEL DELLEY ET AL., Le droit en action, Saint-Saphorin 1986, p. 31 ss.

JEAN-DANIEL DELLEY

dès lors qu'on cherche à les concrétiser. Le contexte dans lequel une législa-tion a été édictée évolue et la même loi va être mise au service de nouveaux objectifs. FREIBURGHAUS n'hésite pas à parler de la «fiction de la finalité des programmes d'action étatiques»22. Et lorsque 1' évaluateur tente de faire 1' exé-gèse des intentions du législateur, le risque n'est pas négligeable qu'il y glisse ses propres objectifs ou qu'il procède à une sélection en fonction de ses va-leurs.

Parfois un objectif se détache, clair et précis. Une aubaine rare pour l'évaluateur mais qui lui fait courir le risque de négliger d'autres objectifs moins explicites. En choisissant de vérifier si les Transports publics genevois (TPG) atteignaient une vitesse commerciale moyenne de 18 km/h, un objectif fixé par la loi cantonale sur le réseau des transports publics (H 1 50), la CEPP était consciente de ce risque. En effet, le respect des horaires, la fré-quence, le confott et le prix concourent tout autant que la vitesse à 1' attractivité des transports publics, elle-même condition nécessaire du transfert du trans-port privé aux transtrans-ports publics. Mais cette évaluation, au-delà de l'échec constaté- vitesse commerciale non atteinte malgré des investissements finan-ciers importants -, a permis de mettre en évidence des lacunes dans le suivi des mesures prises, un manque de coordination entre les services et les auto-rités impliqués dans cette politique, le relatif désintérêt des TPG pour 1' objec-tif de vitesse commerciale pourtant fixé dans la loi et surtout la fonction ambiguë d'un but général, la complémentarité des moyens de transport, cer-tes consensuel mais autorisant des interprétations fort divergencer-tes23.

La CEPP a adopté la même démarche à propos de la politique sociale du logement24. Plutôt que de reconstruire les objectifs découlant du but général de la législation- stimuler la mise sur le marché de logements correspondant aux besoins prépondérants de la population -, la commission a brossé le portrait de la population bénéficiant de ce type de logements et analysé le coût de construction et le niveau des loyers des immeubles subventionnés. En révélant que l'aide publique, parce qu'elle n'incitait pas les promoteurs à

22 Voir (note 7), p. 55.

23 Vitesse commerciale des TPG. Evaluation des mesures prises en tant que moyen de promotion des transpm1s publics, Genève 2000.

24 Politique sociale du logement. Evaluation de l'encouragement à la construction selon la loi générale sur le logement, Genève 1997.

L'ÉVALUATION LÉGISLATIVE ENTRE RIGUEUR SCIENTIFIQUE ET UTILITÉ PRATIQUE

construire de manière économique, ne permettait pas d'abaisser les loyers au-dessous du niveau du marché, la CEPP a montré que le mécanisme légal favorisait plus la construction de nouveaux logements qu'il ne facilitait l'ac-cès au logement des catégories de revenus les moins favorisées. Au sens strict du terme, la CEPP n'a pas évalué la loi générale sur le logement, mais s'est limitée à inventorier les faits indispensables à l'appréciation de cette loi.

C'est avec la même retenue que la CEPP a abordé le dossier des déduc-tions fiscales dont peuvent faire usage les personnes physiques25 . L'ensemble des déductions autorisées par la législation fiscale résulte de décisions ponc-tuelles et successives dont il serait vain de rechercher le but commun et la cohérence. Par contre, la mise en évidence des effets des déductions sur les recettes de l'Etat et sur les contribuables en fonction de leur niveau de revenu -une analyse qui n'avait jamais été réalisée- a révélé en particulier le rôle modérateur des déductions sur la progressivité de l'impôt et a permis de for-tement relativiser une idée très répandue, à savoir le caractère social des dé-ductions.

De manière délibérée, la CEPP concentre son effort sur l'inventaire des faits- des effets? - sur 1' éclairage du terrain auquel s'applique la législation.

Ce faisant, elle néglige quelque peu la dimension relationnelle de l'évalua-tion, la comparaison entre l'état de fait et les buts et objectifs assignés à la législation et les rapports de causalité entre faits/effets et loi. La méconnais-sance de la législation en action, telle qu'elle agit très concrètement dans la réalité, est telle que le seul inventaire des faits constitue à lui seul un facteur de première importance pour le pilotage législatif. Contre l'ignorance ou les idées reçues, la CEPP propose une image nouvelle ou renouvelée de l'état des lieux, même si cette image est incomplète. Une image qui interroge les auto-rités et le public: en somme, s'agit-il bien de la situation que vous vouliez promouvoir en légiférant, respectivement vos attentes ont-elles été satisfai-tes? Ou encore, si l'intention initiale n'était pas claire: êtes-vous prêts à assu-mer les conséquences de votre décision d'alors?

25 Politique cantonale en matière de déductions fiscales. Evaluation des déductions gene-voises sur le revenu des personnes physiques sous l'angle de leur impact financieJ; de leur vérification par l'administration et de l'égalité de traitement, Genève 1998.

JEAN-DANIEL DELLEY