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Chapitre 3 – Problématique et méthodologie de la recherche

3.4. Méthodologie de la recherche

3.4.5. Techniques de collecte de données

3.4.5.1. Entretiens semi-dirigés

L’entretien est une forme fondamentale de communication et d’interaction humaine (Campenhoudt et al. 2017 : 241). Elle offre notamment l’occasion de rendre compte du point

de vue de l’acteur (De Sardan 2008 : 54). Si l’entretien consiste en un véritable échange au cours duquel il est possible pour le chercheur d’en retirer des informations et des éléments complexes et sensibles sur une problématique de recherche donnée, il n’en demeure pas moins qu’il doit être conduit de façon rigoureuse. Ainsi, à partir d’un schéma de base, j’ai choisi de « laisser venir » le participant à la recherche, pour qu’il puisse parler librement et à son rythme. De cette manière, tout en recentrant à l’occasion l’entretien sur mes objectifs de recherche, il s’est créé un climat d’ouverture et de respect de l’autre (Campenhoudt et al. 2017 : 242).

Au total, j’ai réalisé 30 entretiens (4 lors du premier séjour, et 26 lors du deuxième) auprès de 37 participants : 15 entrevues auprès des professionnels œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu (juge, notaire, travailleurs sociaux, psychologues et éducateurs spécialisés); ainsi que 15 entretiens auprès des familles d’enfants fa’a’amu (parents ayant confiés ou reçus, ainsi que des enfants fa’a’amu adultes).

Dix-huit de ces participants faisaient partie de la population des « spécialistes œuvrant auprès d’enfants fa’a’amu » : dans le domaine de l’intervention sociale, j’ai rencontré quatre psychologues, quatre assistantes sociales, une éducatrice spécialisée et une secrétaire; dans le domaine de la santé, je me suis entretenue avec deux sages-femmes et une infirmière; et pour le domaine de la justice, j’ai rencontré un notaire et un magistrat. J’ai complété le volet entretien de mon projet auprès des spécialistes en ajoutant des voix du domaine de l’éducation, dont un conseiller principal en éducation et une directrice d’un établissement de formation scolaire en milieu pratique, la Maison familiale rurale (MFR). J’ai aussi eu l’occasion de m’entretenir avec Flora Devatine, directrice de l’Académie tahitienne (Fare

Va’ana). Leurs connaissances des procédures juridiques, administratives et sociales

déployées pour protéger les enfants sont nécessaires afin de comprendre les enjeux pratiques de l’adoption fa’a’amu. J’ai ajusté mon schéma d’entretien en fonction des profils des participants.

Dix-neuf participants à ma recherche faisaient partie de la population « parents d’enfants

fa’a’amu ayant confiés ou reçus un enfant par le biais d’une adoption à la polynésienne ou

encore enfants fa’a’amu adultes ». J’ai interviewé quatre personnes fa’a’amu, huit mères

grand-mère fa’a’amu, un arrière-grand-père fa’a’amu et deux mères ayant confié leur enfant en fa’a’amu.

Veuillez consulter l’annexe VIII afin de prendre connaissance du tableau présentant les principales caractéristiques des participants à cette recherche.

J’ai guidé ces entretiens grâce à deux guides d’entrevues établies au préalable : un pour les spécialistes et un pour les parents (confieurs et receveurs) (voir l’annexe IX). Afin de raffiner ces guides, après chaque entrevue effectuée auprès des spécialistes et des parents (confieurs et receveurs), j’ai procédé à un travail itératif en écoutant mes entrevues et en testant la validité de mes questions, de façon à continuellement peaufiner ma problématique de recherche et mes instruments de collecte de données.

3.4.5.2. L’observation

Olivier de Sardan décrit l’observation comme « une attitude cognitive “naturelle” menée par tout un chacun de façon efficace dans le flux des activités quotidiennes » (2008 : 66). Pour un chercheur, l’observation est l’occasion de comprendre les activités sociales qui nous intéressent et permet de relever le prédiscursif et l’infra-discursif de celle-ci, notamment le silence et l’informulable (De Sardan 2008 : 66). À cet effet, lors de l’observation de rencontres entre personnels des services sociaux et parents d’enfants fa’a’amu, j’ai mobilisé les techniques d’observation déployées par Benoit De L’Estoile pour l’anthropologie de la réunion. Bien que mes observations se soient basées sur des rencontres et non des réunions, certains emprunts ont pu être mobilisés dans ma recherche. Il avance que,

[s]i elle n’implique pas une égalité entre les participants, la réunion postule que ceux qui ont « voix au chapitre » ont la possibilité, au moins théorique, de prendre la parole. Elle suppose aussi implicitement l’existence d’un langage commun permettant la discussion. Il est donc particulièrement fécond de s’intéresser […] à des réunions se déroulant dans des contextes de forte asymétrie, mettant aux prises des participants appartenant à des « mondes » hétérogènes, agissant en référence à des échelles différentes, et où l’existence d’un langage commun – au sens propre et figuré – ne peut être postulée a priori. Les configurations coloniales fournissent ainsi nombre de situations de confrontation entre des mondes hétérogènes, produits dans des trajectoires historiques très différentes, se trouvant en relation d’interdépendance asymétrique (De L’Estoile 2015 : 3).

Ainsi, je me suis attardée à l’observation de rencontres entre des mondes hétérogènes, celui des services sociaux et celui des parents d’enfants fa’a’amu, comme dispositif d’interaction

directe (voir l’annexe X). L’hétérogénéité de ces deux mondes peut notamment résider dans des différences de scolarité, d’âge, de genre, d’ethnie et de statut socio-économique auxquelles j’ai été attentive. Notons cependant qu’au plan ethnique, puisque 80% de la population est d’origine polynésienne et que plusieurs travailleurs sociaux sont d’origine polynésienne, ces rencontres n’ont pas nécessairement été le lieu d’interaction entre « dominants » et « dominés ». Des hiérarchies peuvent cependant être à l’œuvre relativement à d’autres caractéristiques. Dans le cadre de ces observations, il s’est agi d’être attentive aux caractéristiques de chacun et d’en déceler les impacts dans les interactions. Qui sont ces travailleurs sociaux ? Qui sont les parents d’enfants fa’a’amu ?

J’ai été particulièrement attentive au déroulement de la rencontre, à l’organisation de l’espace et du temps, « les interactions entre les acteurs réunis, leur organisation et leur dynamique et donc les rapports différentiels de pouvoir [De L’Estoile, 2015], les actions, réactions, attitudes et hexis corporelles des acteurs [Le Collectif Onze, 2013 : 266], les prises de parole, les silences, les propos échangés » (Gagné 2018 : 95).

3.4.5.3. Journal de terrain

Le journal de terrain est un outil d’enquête de terrain indispensable dans lequel sont notées les observations et la progression de la recherche, jour après jour (Beaud et Weber 2010 : 78). Cet outil réflexif tire son utilité de la réflexion constante sur le terrain ainsi que de la relecture qu’on en fait au retour du terrain. Ainsi, ce journal de bord peut prendre différentes formes, dont celle que j’ai retenue pour ma recherche. La page droite consiste en une suite d’annotations de style télégraphique, de façon à retracer les événements de l’enquête en incluant les pseudonymes des personnes, le lieu de la rencontre, mes impressions, mes descriptions et récits (Beaud et Weber 2010 : 78-79). La page de gauche du journal est le support de mes questions théoriques, de mes hypothèses, de mes analyses préliminaires, de mes doutes, bref, de ma vie intellectuelle (Beaud et Weber 2010 : 79). De cette façon, un constant travail réflexif s’est effectué à travers ce journal, ceci m’a permis de situer mes données dans le temps et l’espace et de prendre un pas de recul par rapport à mes a priori.