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Chapitre 2 – Contexte historique, politique et social de la Polynésie française

2.4. Vers une compréhension de la famille en Polynésie française

2.4.1. Les formes d’adoption coutumière en Océanie

Comme mentionné en introduction, en Océanie, l’adoption coutumière est une pratique largement répandue. Elle consiste à « confier » son enfant à des parents proches (grands- parents, frère-sœur, oncle-tante, cousin-cousine, amis, voisins, etc.). Ce type d’adoption est informelle et relève d’une entente établie pendant la grossesse, à la naissance ou encore lorsque l’enfant est plus âgé, entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant. Les motivations pour confier un enfant à d’autres parents varient d’un endroit à l’autre et surtout selon la position par rapport à l’enfant (donneur ou receveur).

En 1976, l’anthropologue Ivan Brady reprenait, dans l’introduction de son ouvrage

Transactions in Kinship: Adoption and Fosterage in Oceania, les motivations identifiées six

ans plus tôt dans l’ouvrage de l’anthropologue Vern Carroll (1970) relativement à l’adoption en Océanie. Principalement effectuée dans une logique d’alliance entre familles, cette circulation d’enfants peut subvenir dans plusieurs cas de figure. Par exemple, une famille en situation précaire peut confier un enfant à un couple en situation socio-économique plus

avantageuse; l’adoption peut avoir pour but de fournir un enfant à un couple infertile ou de valider le statut d’adultes des parents adoptifs ; l’enfant peut être désiré afin d’aider au travail dans la maisonnée ou encore de favoriser le rapprochement entre deux groupes (Carroll 1970 : 5; Brady 1976 : 23-24). L’adoption peut aussi être pratiquée si un couple n’a toujours pas d’enfant et veut s’assurer une certaine sécurité pour ses vieux jours. Un enfant peut aussi être confié en adoption si une jeune mère se trouve dans une situation d’instabilité amoureuse et économique ou suite à un accouchement mortel (Hooper 1970 : 69).

En Océanie, dans le triangle polynésien (voir l’annexe VI), à Hawai’i, l’adoption coutumière

hanai fait partie d’une structure sociale de coopération, plutôt que de compétition. Ainsi, la

générosité et la prise en charge de personnes dépendantes de la société (ici les enfants) sont hautement valorisées et indicatrices d’un rang social élevé (Howard et al. 1970 : 47-49). Tout comme pour le mariage, l’adoption est l’opportunité de faire entrer dans une famille, une personne extérieure à celle-ci. Cette stratégie de parenté est caractéristique de la flexibilité du concept d’apparentement.

En Mélanésie, dans le sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée, sur l’île Suau, l’adoption coutumière13 est aussi largement répandue et considérée comme essentielle pour élever des enfants (Bowie 2004 : 4). Dans l’étude de Melissa Demian, dans les deux villages de Suau où elle a effectué ses recherches, presque chaque maisonnée avait adopté ou confié un enfant (Bowie 2004 : 4). Ce type d’adoption défie l’étroite conception occidentale de ce type de pratique. Il est plutôt question de « transactions de parenté » (Goodenough 1970; Demian 2004 : 106). Par exemple, un enfant peut être adopté à l’intérieur d’une même famille de façon à le faire circuler à travers les générations, mais aussi de clan à clan, ou même, de lignée à lignée à l’intérieur d’un même village (Bowie 2004 : 10). La « transaction » des enfants est ainsi créatrice de liens de parentalité : « [b]ecause the conditions for distinguishing between parents and non-parents are not solely couched in terms of “blood”, and because multiple parenthood is perfectly acceptable, the index of the parent–child

13 Parmi plusieurs dialectes Suau, voici les deux expressions les plus utilisées pour parler d’adoption référant à deux stades différents : abiudo’i « prendre un enfant qui n’est pas le sien », et abihela’i « prendre un enfant et l’élever » (Demian 2015 : 102).

relationship is the work performed by parents for their children and by children for their parents » (Demian 2004 : 106). Cette conception de la parenté comme une transaction permet d’appréhender différentes façons de faire famille.

Chez les Māori de Nouvelle-Zélande, l’adoption coutumière whangai – qui veut dire « faire manger », « élever » (Metge 1995 : 211) – est pratiquée afin de solidifier des liens entre familles et pour des raisons économiques, participant ainsi à l’équilibre de la société. Elle est donc considérée comme une pratique hautement positive (Metge 1995 : 212). Lorsqu’un enfant māori nait et est confié à d’autres parents, il se retrouve avec deux groupes de relations sociales plutôt qu’un seul qui le définissent et l’ancrent dans la société.

Cette pratique d’adoption coutumière, comme pour la plupart des autres sociétés d’Océanie, est considérée comme informelle. Toutefois, en Nouvelle-Zélande, elle bénéficie d’une reconnaissance officielle du gouvernement, et depuis 2011, elle détient une valeur légale en matière d’héritage foncier (Keane 2011a). Aujourd’hui, certains Māori reconnaissent pourtant que l’adoption coutumière change : « [t]he practice is diluted today. It has many faces, many manifestations. Gone are the values, the history and the very essence that makes us intrinsically Maori » (Keane 2011b).

Ces trois exemples d’adoption coutumière en Océanie ont été l’occasion d’exposer comment peut s’exprimer de façon concrète, la pratique d’adoption coutumière, hier comme aujourd’hui plus largement en Océanie.

2.4.2. ‘Utuafare

Lors des journées de recherche sur l’enfant fa’a’amu organisées en 1992 par l’Association Polynésienne de Recherche, Intervention et Formation (A.P.R.I.F.), des intervenants sociaux, des anthropologues, des sociologues, des enseignants, des ministres, des magistrats et des avocats se sont penchés sur l’enjeu des transformations de la notion de fa’a’amu comme révélateur des changements des rapports sociaux au sein de la société polynésienne

(A.P.R.I.F. 1993 : 15). L’organisation même de la famille polynésienne, le ‘utuafare14, laquelle se basait principalement sur le rapport à la terre et à la famille élargie (A.P.R.I.F. 1993), aurait été ébranlée. Entre autres, ont été déstabilisés la place des femmes et des hommes, l’éducation des enfants et le rapport à une terre familiale. Lors de ce colloque, Jean- Marius Raapoto, ancien ministre de l’Éducation de Polynésie française, souligna les contrastes entre le modèle familial polynésien et le modèle nucléaire occidental et il le montra en s’appuyant notamment sur deux dimensions se situant au cœur du ‘utuafare auxquelles nous nous attarderons maintenant.

2.4.2.1. Première dimension du ‘utuafare : l’attachement à une terre familiale

L’attachement à la terre relève d’une conception économique de la vie en groupe, reposant essentiellement sur la notion de subsistance (A.P.R.I.F. 1993 : 47). Il est généralement accepté que le ‘utuafare ou le ‘ati (clan) soit composé de cinq à vingt membres d’une même lignée familiale, liés soit par la consanguinité, le mariage ou encore par l’adoption à la polynésienne. Les membres du ‘utuafare habitent généralement sur une même terre familiale ancestrale. Précisons que dans le modèle de parenté malayo-polynésien, la filiation est indifférenciée et les familles sont organisées de façon élargie, c’est-à-dire qu’un couple marié a le choix de s’établir de l’un ou l’autre côté familial (Ghasarian 1996 : 72). Chaque bâtiment qui constitue le ‘utuafare ou maisonnée correspond à une station différente :

(…) une ou plusieurs demeures (fare taoto, maison pour dormir), un édifice pour faire la cuisine (fare tutu), un édifice pour prendre les repas (fare tarnaara’a) et le four dit tahitien ou polynésien (hima’a ou ahima’a destiné à cuire les aliments à la mode tahitienne ou polynésienne, c’est-à- dire, à l’étouffée). La maisonnée correspond donc en réalité à une cour, une enceinte résidentielle (‘aua fare) qui abrite différents types de formes familiales : familles élémentaires ou nucléaires, familles étendues, groupes de frères et sœurs. (Robineau 1989 : 384)

Dans cette organisation dynamique, chaque individu se situe par rapport au groupe selon sa fonction dans la satisfaction des besoins relatifs à la subsistance (A.P.R.I.F. 1993 : 47; Oliver 2002 : 35). Les tâches accomplies par les femmes consistaient essentiellement à s’occuper

14 ‘Utuafare est le nom commun qui en français se traduit par « maison familiale ». Ce mot est aussi utilisé pour désigner la famille (ceux qui habitent la même maison). Il est aussi possible d’utiliser le nom commun fēti'i qui désigne la famille ou un parent qui est uni par la parenté. En verbe, fēti'i peut être traduit par attacher ou lier en français (Académie Tahitienne 2017).

des affaires de famille, dont l’éducation des enfants, et de subsistance, comme le ramassage de coquillages et de crustacés, la pêche aux petits poissons et de mollusques, la fabrication de tapa (vêtement fabriqué à partir de matière végétale), ainsi que le tressage en tout genre (ceintures, paniers, tapis, voiles, etc., Cerf 2007 : 124). Les hommes, quant à eux,

(…) construisaient les maisons, les temples, les pirogues, allaient chercher les régimes de bananes plantains sur les pentes des reliefs, chassaient les cochons sauvages, partaient en pirogue pêcher en haute mer. Ils s’occupaient des marae [cours cérémonielles] et de tout ce qui concernait les dieux et la religion, et avaient en charge la décision de l’exécution des guerres. […] Il semble cependant que la séparation entre hommes et femmes était souvent aménagée (Howard et Kirkpatrick [1989] : 82-83) et que la règle était la flexibilité selon les capacités de chacun et selon les circonstances. (Fuller, 1993, dans Cerf 2007 : 125)

Les enfants étaient, et sont toujours, des êtres très prisés et respectés (Oliver 2002). Ils jouissaient d’une grande liberté, mais apprenaient tout en intégrant leur rôle dans la société par mimétisme. Chacun des membres du ‘utuafare avait donc sa place dans un système de règles et de tapu (tabou) qui régissait leur organisation et leur vie sociale.

À la suite de la venue au monde d’un enfant, il fallait notamment enterrer son placenta (pūfenua15) sur la terre à laquelle il était rattaché (terre maternelle ou paternelle, puisqu’il s’agit de filiation indifférenciée). Dans son livre Entre nature et culture. La mise en terre du

placenta en Polynésie française (2005), Bruno Saura indique qu’un traitement spécifique est

accordé au placenta : on l’enterre tout près – si ce n’est pas en-dessous – d’un arbre fruitier, jeune ou ancien. Il ne s’agit pas d’une métaphore signifiant que l’enfant grandit en même temps que son arbre, mais il s’agit plutôt de souligner l’harmonie et la continuité des éléments (ici entre l’humain et la plante) (Saura 2005 : 85). Il explique que le choix d’un arbre fruitier n’est pas anodin : « [i]l existe en effet une continuité de fructification entre l’arbre fruitier et ce nouveau-né dont le pufenua est “planté” par un parent ou grand-parent, c’est-à-dire par quelqu’un qui a déjà donné la vie. […] On constate donc dans ce rite un lien fondamental entre la naissance, le placenta et la terre » (Saura 2005 : 86). D’ailleurs, la terre fait fondamentalement partie de la parenté et comme l’enterrement du placenta le montre, le rapport à la terre est fondamental. Paul Ottino expliquait bien qu’en Polynésie, « les terres

15 Pūfenua est le nom commun pour désigner le placenta d’un animal ou d’une personne. « Après l'accouchement, le placenta était enterré sur une terre familiale, il marquait le lien entre la terre et la personne »

(sont) comme la descendance, l’un des éléments de la parenté. En fait, la parenté considérée en soi sans référence à des terres et à des propriétés précises n’a guère de sens » (1972 : 435, dans Saura 2005 : 86). On comprend rapidement que cette conception du rapport à la terre est différente de celle des Occidentaux où les principes de la propriété privée, mais également du contrôle en vue d’une exploitation de la terre sont la norme.

Historiquement, si la mobilité trans-insulaire des Polynésiens, rendue possible grâce à leur compétence en navigation, s’inscrit dans la structure sociale polynésienne (logique d’alliance, mobilisation de la parentèle, stratégies résidentielles, Ghasarian 2014 : 23-24), l’importante mobilité géographique engendrée par l’implantation du CEP a contribué, de manière générale, à l’éclatement de la famille élargie basée sur la notion de subsistance. En effet, pour les Polynésiens, en particulier pour les hommes, aller travailler en ville répond à « un désir d’échapper à une société vécue comme trop traditionnelle avec ses limites et ses contraintes, particulièrement dans les îles et les atolls » (A.P.R.I.F. 1993 : 67), au souhait d’un avenir meilleur ou à la volonté d’aider financièrement les siens restés sur les îles ou les atolls (A.P.R.I.F. 1993 : 67). Ajouter à cela la privatisation des terres ainsi que l’imposition du principe d’indivision qui participent à cet éclatement.

2.4.2.2. Deuxième dimension du ‘utuafare : la composition de la famille polynésienne

La deuxième dimension du ‘utuafare renvoie à la composition même de la famille, divisée en trois pôles. Le premier est constitué des parents congénitaux : le père et la mère. Raapoto explique la relation parent-enfant comme étant, dans un premier temps, vécue comme viscérale, avec ses moments de tendresse qui, dans un deuxième temps, laissent parfois place à une certaine rudesse, pouvant mener à l’attribution de punitions corporelles (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Le deuxième pôle est celui des oncles et des tantes qui participent de façon importante à l’éducation des enfants. En effet, dans le modèle de parenté malayo-polynésien, l’accent est mis sur la séparation entre générations (système générationnel), dans lequel, comme mentionné plus haut, la filiation est indifférenciée et les familles sont organisées de façon élargie (Ghasarian 1996 : 210) :

(…) les Polynésiens des îles de la Société privilégient, non la filiation, mais la génération ; la descendance d’un même ventre ‘opu constitue le groupe élémentaire de parenté de frères et sœurs ‘opu ho’e (un ventre), et la relation de filiation s’établit, moins entre parents et enfants, qu’entre

‘opu ho’e des parents et ‘opu ho’e des enfants, c’est-à-dire entre groupes de siblings en relation

de filiation. (Robineau 1989 : 384)

C’est la raison pour laquelle les parents en ligne directe ainsi que leurs frères et sœurs (collatéraux) sont ordonnés en génération (enfants, parents, grands-parents, arrière-grands- parents, etc.) (Ghasarian 1996 : 210). L’enfant les appelle généralement papa et mama tout comme ses parents congénitaux, mais il ajoute un prénom. Les rôles accordés aux oncles et aux tantes de l’enfant sont d’ordres éducatif et de soutien : « ils permettent à l’enfant de communiquer et d’échanger avec l’adulte », en particulier dans les moments où il a besoin de se faire rassurer « [v]iens, mon petit, on t’a frappé, viens chercher consolation » (AP.R.I.F. 1993 : 48). Ainsi, le rôle d’éducation n’incombe pas qu’aux parents en ligne directe avec l’enfant. Cette logique d’entraide est largement répandue en Polynésie française.

Enfin, le troisième pôle est celui des frères, sœurs, cousins et cousines, qui ont un rôle de socialisation et d’initiation (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Dans la même logique d’indifférenciation, il n’existe pas de distinction entre les termes d’adresse pour désigner les « cousins » et les « frères » ainsi que les « cousines » et les « sœurs » (A.P.R.I.F. 1993 : 48).

Le choix des prénoms (i’oa16) est aussi un élément constitutif (et de continuité) de la famille pour la plupart des Polynésiens, encore aujourd’hui. Nommer un enfant n’est pas seulement l’affaire du père et de la mère. Dans les faits, les grands-parents vont intervenir dans ce choix et, dans certains cas, la famille élargie (oncle et tante, par exemple). Ce choix est aussi effectué en relation étroite avec les tupuna (ancêtres). En attribuant le nom d’un ancêtre de la lignée à un enfant, il s’agit de les faire revenir à la vie, d’attacher l’enfant à une terre appartenant à la lignée de l’ancêtre et de souligner (sinon, réitérer) la généalogie (Barbiera 1997 : 142-143; entretien avec Flora Devatine 30 novembre 2018).

Ainsi, pour Raapoto, si la famille polynésienne est constituée par l’interaction de ces deux dimensions (subsistance et ‘ōpū hō’ē), son drame actuel est d’être coupée du réseau de

16 I’oa est le nom commun tahitien qui désigne en français le prénom, le nom, l’appellation, la désignation ou la dénomination. Par exemple, i’oa fa’atara est le surnom ou le nom donné à l'occasion d'un mariage ou d'un événement important. I’oa topa peut aussi désigner le surnom ou le nom donné à l'occasion d'un mariage ou d'un événement important. I’oa na’ina’i désigne le prénom. I’oa fa’apoipo est le nom donné lors du mariage

soutien constitué par la famille élargie, notamment dans le cas de familles polynésiennes fracturées par la migration provoquée par l’implantation d’une économie basée sur le salariat, l’économie de marché et la montée de l’individualisme inhérent à ce marché. Dans ce contexte, l’enfant n’a plus accès aussi facilement à ce réseau de soutien vital (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Jean-Claude Rau, alors sociologue au Service Territorial des Affaires Sociales de Polynésie française, constate en 1993 que depuis l’éclatement du modèle familial étendu au profit du modèle nucléaire, les relations familiales « deviennent plus facultatives qu’obligatoires » et « le nombre de situations où elles sont de mise, décroît » (A.P.R.I.F. 1993 : 67). D’ailleurs, une des participantes à ma recherche témoigne de cette volonté de prendre ses distances avec sa famille élargie ainsi que de son goût d’autonomie :

(…) ils [ses frères et sœurs] sont toujours là, dans cette coquille, moi non, je suis partie. J’ai fait ma vie, ça n’a pas fonctionné, mais je continue. Puis, je vais leur rendre visite de temps en temps. Quand je sens que je dois y aller, j’y vais. Quand j’ai besoin de me ressourcer, j’y vais. Mais autrement, je n’y vais pas. Après, quand nous avons nos grandes fêtes, l’anniversaire de mon père, de ma mère, ou nos enfants ou nos réunions familiales, oui j’y vais, après je reviens. J’aime bien mon indépendance. J’ai perdu cette habitude d’être dans une famille nombreuse, parce qu’on est nombreux. Ma maman, elle a tant d’enfants, sa sœur, elle en a que deux, ses frères en ont sept. Ce ne sont que des familles nombreuses. Alors moi, j’ai perdu ce goût. Bon bien après j’aime bien, mais pas pour rester longtemps comme avant, j’y vais juste ce qu’il faut et après je repars. (Meleana17, 45 ans, mars 2018)

En particulier sur l’île de Tahiti où l’industrialisation s’est opérée de façon plus marquée que dans les autres îles, les familles polynésiennes tendent de plus en plus à adhérer au modèle de famille nucléaire occidentale. En effet, celui-ci correspond davantage au système socio- économique récemment implanté en Polynésie française ainsi qu’aux valeurs occidentales où on insiste sur la liberté individuelle et l’autonomie des individus. Ces valeurs sont cohérentes avec les principes du Code civil français pour ce qui est des matières relatives à l’autorité parentale, à l’enfance et à l’adoption. D’ailleurs, comme le montre le rapport de l’A.P.R.I.F., les acteurs institutionnels venus de France métropolitaine (notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des services sociaux ou encore de la justice) et qui œuvrent auprès des familles polynésiennes placent la relation parents-enfants au centre d’une définition saine de la famille, en se basant sur l’idée qu’il est nécessaire à l’épanouissement de l’enfant de

considérer ses parents comme des référents clairs et stables (A.P.R.I.F. 1993 : 68). Comme Bruno Saura le précise, cette vision de la famille repose sur l’idée occidentale selon laquelle « [l]’enfant est supposé universellement avoir besoin d’un seul couple de référents, père et mère, ce que dément l’exemple de nombre de sociétés non occidentales dans lesquelles les enfants ne sont ni plus ni moins déséquilibrés qu’ailleurs » (1998 : 29).

Toutefois, si ces changements sociaux et économiques ont entraîné certaines ruptures au sein de la société polynésienne, notamment au sein du ‘utuafare, la pratique ancestrale du don d’enfant, pour sa part, demeure très vivante.