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Te fa'a'amu : défis et enjeux aujourd'hui pour les familles et les professionnels des services sociaux de Polynésie française

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Te fa'a'amu

: défis et enjeux aujourd'hui pour les

familles et les professionnels des services sociaux de

Polynésie française

Mémoire

Anne-Julie Asselin

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Te fa’a’amu

Défis et enjeux aujourd’hui pour les familles et les

professionnels des services sociaux de Polynésie

française

Mémoire

Anne-Julie Asselin

Sous la direction de :

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Résumé

Le présent mémoire porte sur l’adoption coutumière, appelée fa’a’amu (en français, nourrir, adopter, élever), chez les Mā’ohi, peuple autochtone de Polynésie française, un territoire français d’Océanie. Cette coutume ancestrale de circulation d’enfants, qui se retrouve dans toute l’Océanie, relève d’un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Elle repose sur une entente entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant. Si cette pratique a changé avec la colonisation – les archipels composant la Polynésie française ont été colonisés par la France à partir de 1842 – et les bouleversements entraînés par l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), un centre d’expérimentation nucléaire, en 1962, elle est toujours répandue, bien qu’elle demeure officieuse. Alors que la population aux origines mā’ohi représente plus de 80 % de la population de ce territoire situé à 18000 km de la France métropolitaine, le Code civil, introduit dès les années 1860, ne prend pas en considération ce type d’adoption, alors que l’autorité parentale et la filiation sont parmi les matières sur lesquelles l’État et la Polynésie française partagent les compétences (Peres 2007). Ce mémoire fait donc état des enjeux concrets que soulève l’adoption à la polynésienne, alors qu’elle ne fait pas l’objet d’une reconnaissance légale. Plus particulièrement, il s’intéresse aux transformations de la pratique depuis la colonisation (défis et enjeux) ainsi qu’à ses réalités contemporaines en s’appuyant sur des cas concrets d’adoption fa’a’amu. La pluralité des expériences d’adoption à la polynésienne donne à voir certaines continuités culturelles, par exemple, en termes de « logique » d’apparentement polynésien. Il ressort également des expériences d’adoption présentées que la cohabitation de deux régimes de droits relatifs à l’adoption présente certains défis particuliers pour les enfants et leurs familles, mais également pour les professionnels des services qui interviennent auprès d’eux quand ils rencontrent certains problèmes. Ce mémoire explore également les réalités contemporaines de l’adoption à la polynésienne à travers la perspective du personnel des services sociaux de la Polynésie française.

Mots-clés : adoption à la polynésienne, fa’a’amu, parenté, droit, pluralisme juridique,

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Abstract

This master’s thesis deals with customary adoption, called fa’a’amu (nurturing, adopting, raising), among the Ma’ohi, who are indigenous to French Polynesia. French Polynesia is a French territory in Oceania. This ancestral custom of the circulation of children, which is found throughout Oceania, is part of a mode of social regulation which consists of entrusting your child to close relatives, who parent the child. It is based on an agreement between the adoptive parents and the biological parents, who generally keep ties with the child. If this practice changed with colonization - the archipelagos making up French Polynesia were colonized by France from 1842 - and the upheavals brought about by the establishment of the Pacific Experimentation Center (CEP), a nuclear center, in 1962, it is still widespread, although it remains unofficially recognized by both the French and French Polynesian states. While the population of Mā’ohi origin represents more than 80% of the population of this territory located 18,000 km from mainland France, the Civil Code, introduced in the 1860s, does not take this type of adoption into account, while parental authority and filiation are among the matters over which the State and French Polynesia share jurisdiction (Peres 2007). This thesis, therefore, describes the concrete issues raised by the practice of te fa’a’amu, when it is not subject to legal recognition. More particularly, the thesis is interested in understanding the transformations of the practice since colonization, and understanding challenges and issues pertinent to it, based on concrete cases of fa’a’amu children. The plurality of Polynesian adoption experiences shows certain cultural continuities in terms customs and practices, while for other constituent elements of fa’a’amu, the impact of the cohabitation of two legal regimes (one French, the other Polynesian) contributes to metamorphosis and an adaptation of these. In light of these cultural exchanges, some children who have been fa’a’amu find themselves in a situation where social service personnel must act to protect the best interests of the child. The intervention of these professionals shows, in certain cases, a cultural gap which manifests in a concrete way the double standard experienced by Polynesians, that is to say, to answer for the French world, while remaining Polynesian.

Keywords: Polynesian adoption, fa’a’amu, kinship, law, legal pluralism, colonialism,

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux et schémas ... vii

Liste des acronymes... viii

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Chapitre 1 – Cadre théorique ... 5

1.1. La « situation coloniale » et ses legs ... 5

1.2. Le droit et ses mécanismes de régulation sociale ... 8

1.2.1. Implantation d’un régime de rationalité par le droit ... 8

1.2.2. Pluralisme juridique en anthropologie ... 9

1.2.3. Continuités et ruptures des pratiques juridiques ... 11

1.3. La parenté ... 12

1.3.1. La parenté comme champ d’études particulier ... 13

1.3.2. Nouveaux regards : discussion autour des concepts de « relatedness » et de « kinning » ... 17

1.3.3. L’adoption comme phénomène d’apparentement et de familisation... 19

1.4. Conclusion du chapitre ... 22

Chapitre 2 – Contexte historique, politique et social de la Polynésie française ... 24

2.1. La colonisation française du Royaume des Pomare ... 24

2.2. Imposition de nouvelles normes concernant les terres : Tahiti et Rurutu ... 27

2.3. La période des essais nucléaires en Polynésie française et les transformations du paysage social polynésien ... 29

2.4. Vers une compréhension de la famille en Polynésie française ... 33

2.4.1. Les formes d’adoption coutumière en Océanie ... 33

2.4.2. ‘Utuafare ... 35

2.4.3. Te fa’a’amu ... 41

2.5. Quelques considérations légales concernant te fa’a’amu ... 46

(6)

Chapitre 3 – Problématique et méthodologie de la recherche ... 49

3.1. Problématique ... 49

3.2. Question de recherche ... 50

3.3. Objectifs ... 51

3.4. Méthodologie de la recherche ... 51

3.4.1. Population-cible, sous-populations et échantillonnage non-probabiliste ... 51

3.4.2. Stratégie de recherche ... 53

3.4.3. Méthode de recrutement ... 54

3.4.4. Institution et lieux ... 54

3.4.5. Techniques de collecte de données ... 55

3.4.4. Le rapport aux sujets... 59

3.4.6. Opérationnalisation et analyse des données recueillies ... 59

3.5. Considérations éthiques ... 61

3.6. Conclusion du chapitre ... 62

Chapitre 4 – Défis et enjeux du fa’a’amu contemporain en Polynésie française pour les familles d’enfants fa’a’amu et les personnes fa’a’amu ... 63

4.1. Typologie du fa’a’amu ... 64

4.1.1. Fa’a’amu intrafamilial auprès des grands-parents ... 66

4.1.2. Fa’a’amu intrafamilial auprès de la famille proche et élargie ... 72

4.1.3. Fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens (amis, voisins, etc.) ... 75

4.1.4. Fa’a’amu extrafamilial auprès de non-Polynésiens (métropolitains) ... 76

4.2. La famille en question : analyse des sept portraits ... 81

4.2.1. Les conditions de confiage et d’accueil d’un enfant fa’a’amu ... 82

4.2.2. Déroulement de l’adoption à la polynésienne suite au confiage ... 89

4.2.3. Les personnes fa’a’amu et l’héritage des terres familiales... 98

4.3. Conclusion du chapitre ... 101

Chapitre 5 – Les stratégies relatives au fa’a’amu des professionnels qui œuvrent auprès des familles d’enfants fa’a’amu ... 103

5.1. Les rôles des institutions administratives et judiciaires : quelle place pour l’enfant fa’a’amu ? ... 104

(7)

5.1.2. L’enfant en risque de danger, l’enfant en danger avéré (ou maltraité) et les

procédures du signalement d’un enfant ... 110

5.2. Les professionnels, leur travail et leur perception de l’enfant fa’a’amu ... 114

5.2.1. Qui sont les intervenants sociaux en Polynésie française? ... 115

5.2.2. Principes d’intervention en amont de l’adoption à la polynésienne ... 117

5.2.2. Une semaine dans les pas du personnel des services sociaux de Polynésie française ... 120

5.2.3. Repérage des enfants fa’a’amu en risque de danger et en danger (avéré) ... 122

5.2.4. Quelques motifs d’intervention des professionnels des services sociaux ... 126

5.2.5. Le double standard vécu par les professionnels œuvrant dans le domaine du social ... 131

5.3. Conclusion du chapitre ... 135

Conclusion ... 137

Bibliographie ... 140

Glossaire Tahitien- Français ... 154

Annexe I – An Analytic Continuum of Adoption and Fosterage ... 156

Annexe II – Carte des Établissements français d’Océanie (ÉFO) 1884 ... 157

Annexe III – Carte du territoire de la Polynésie française depuis 1957 ... 158

Annexe IV – Billet du référendum 1958 ... 159

Annexe V – Carte du triangle polynésien ... 160

Annexe VI – Carte de l’Océanie ... 161

Annexe VII – Petite annonce sur le babillard d’un supermarché « bébé à adopter » ... 162

Annexe VIII – Tableau des participants ... 163

Annexe IX – Les guides d’entretiens ... 167

Annexe X – Guide d’observation de rencontre entre spécialistes et parents... 172

(8)

Liste des tableaux et schémas

Tableaux et schémas Titre Page

Tableau 1. Annexion, protectorat et citoyenneté – Tahiti et Rurutu

25

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Liste des acronymes

Acronymes Définitions

AFAREP Association Formation Action Recherche en Polynésie ANMDA Association Nationale des Maisons de l’Adolescent

APRIF Association Polynésienne de recherche, intervention et formation BAC Baccalauréat, diplôme sanctionnant la fin des études secondaires CEP Centre d’expérimentation du Pacifique

CÉRUL Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval

CETAD Centre d’éducation aux technologies appropriées au développement

CIDE Convention internationale des droits de l’enfant ou Convention relative aux droits de l’enfant

CFLN Comité français de la libération nationale

CFPO Compagnie française du phosphate de l’Océanie CJA Centre des jeunes adolescents

CM2 Le cours moyen 2e année (CM2), ou deuxième année du cycle 3, constitue la dernière année (avant l’entrée au collège) de l’école primaire

COM Collectivité d’Outre-mer CPS Caisse de prévoyance sociale DAS Direction des affaires sociales

DAEU Diplôme d’accès aux études universitaires DEAP Délégation de l’exercice de l’autorité parentale DEAMP Diplôme d’État d’aide médico-psychologique DEAVS Diplôme d’État d’Auxiliaire de Vie Sociale DEME Diplôme d'État de Moniteur Éducateur

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DGEE Direction générale de l’éducation et des enseignements DPJ Direction de la protection de la jeunesse

DRJSCS Direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale

DSFE Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité ÉFO Établissement français d’Océanie

F CFP Franc Pacifique

FDHI Fédération internationale des droits de l’homme HCDH Haut-commissariat des Droits de l’Homme

IPFSS Institut Polynésien de formation sanitaire et sociale ISPF Institut de la Statistique de la Polynésie française MFR Maison familiale rurale

ODAS Observatoire national de l’action sociale décentralisée ONU Organisation des Nations unies

RDPT Rassemblement des populations tahitiennes

TOM Territoire d’Outre-mer

UPF Université de la Polynésie française

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Remerciements

J’aimerais prendre les prochaines lignes afin de remercier les personnes qui m’ont épaulée et soutenue au cours de ce projet de maîtrise.

Je tiens d’abord à remercier toutes les femmes fortes et courageuses de mon entourage pour leur inspiration à persévérer dans mes études. À ma sœur Marie-Laurence, merci de toujours avoir été fière de moi, tu es une source de force inépuisable dont je m’abreuve quotidiennement; à ma précieuse tante Jo-Anne, merci pour ton modèle de féminisme intemporel qui me permet d’être la femme que je suis aujourd’hui; à ma chère grand-mamou, Gaétane, merci de m’avoir appris à faire les choses à mon rythme; à ma tendre amie Sarah, merci pour ta précieuse écoute et ton humour si nécessaire; à mes charmantes colocataires, Frédérique et Audrey, merci pour nos soirées « décompressantes » et nos conversations à n’en plus finir; à mon amie Maude, merci d’avoir été à mes côtés lors de mon premier terrain de recherche et d’avoir partagé avec moi ta joie pour la musique lors de nos balades nocturnes au port de Pape’ete; to my friend Elizabeth, I would like to thank you for being my rock during my second fieldwork period, our crazy laughs and dancing nights were always welcome; à ma chère Marjo, merci pour nos rencontres culturelles polynésiennes/françaises/québécoises; to my friend Jan, thank you for inspiring me with your life story and your sharp mind always looking for something new to learn; enfin et non la moindre, merci à la directrice de mon projet de mémoire, Natacha Gagné. Je dis merci, mais ce mot est bien maigre pour un accompagnement si important. D’abord, merci pour tes réflexions et nos discussions qui m’amènent toujours à donner le meilleur de moi-même. Merci pour les innombrables opportunités d’emplois. Merci pour ton écoute, ta compréhension et ton soutien personnel lorsque j’en ai eu le plus besoin. Merci pour ta patience. Merci pour toutes ces heures de corrections! Enfin, merci de m’avoir transmis un si beau bagage intellectuel et humain que j’emporte avec moi dans mon baluchon pour la suite.

Aux hommes de ma vie, je remercie d’abord mes frères, Philippe et Gabriel. Votre sincérité et votre candeur sont si précieuses à mes yeux. Merci de me faire apprendre à tous les jours. Je vous aime de tout mon cœur. À mes oncles, sans qui, je n’y serais pas arrivée, merci pour votre soutien dans les dernières années et votre partage de l’importance de l’éducation.

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Spécialement, à mon oncle Daniel, je dis merci de m’avoir fait rêver d’être une femme de science. À mon oncle Bruno, merci pour ton amour, ton support et ton enthousiasme incontesté dans la poursuite de mes études. Enfin, à mon grand-père Lucien, qui me comprenait et m’acceptait inconditionnellement, je te dis merci pour ton honnêteté indiscutable.

Merci à mes chers collègues et amis, Pascal-Olivier, François, Marie-Ève et Catherine, avec qui j’ai su traverser avec légèreté et plaisir les méandres de la maîtrise.

À mes amis de la Rive-Sud de Québec, spécialement Camille et Chloé, merci pour votre amour et votre amitié pendant mes années d’études.

J’aimerais notamment remercier mes amis au fenua, Muschenda, Hinatea, Maiana, Hiti, Petero, Régis et Tevai, votre amitié reste à tout jamais gravée dans mon cœur.

À tous ceux qui ont croisé mon chemin, je vous remercie. Vous vous reconnaitrez dans ces lignes. Je ne puis vous nommer, mais pour votre soutien, pour votre écoute et pour votre justesse d’esprit, je vous remercie d’avoir fait office de pilier à un moment ou à un autre. Nos discussions, si douces ou si dures, m’ont toujours été précieuses.

Au Québec, j’en profite pour remercier le Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) auquel je suis affiliée et à partir duquel j’ai pu effectuer une partie de mes travaux de recherche. Ce centre a joué un rôle majeur dans la poursuite de mes recherches et m’a offert plusieurs opportunités dont des contrats et la Bourse de mobilité à la maîtrise. Un merci tout spécial est dédié à Lise G. Fortin pour le soutien quotidien qu’elle offre à tous ceux qui croisent les portes du centre de recherche.

En Polynésie française, je tiens aussi à remercier l’Équipe d’accueil Sociétés traditionnelles et contemporaines en Océanie (EASTCO) qui m’a accueillie comme étudiante-chercheure invitée lors de mes terrains de recherche. Ce statut m’a permis d’avoir accès aux ressources de l’Université de la Polynésie française (UPF), ce qui a participé à la bonne conduite de mes recherches.

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Ma recherche n’aurait pas pu être possible sans le soutien financier de différentes organisations durant mes années d’études supérieures. D’abord, je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour l’obtention de la Bourse d’études supérieures du Canada au niveau de la maîtrise, Joseph-Armand-Bombardier. Ensuite, merci au Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour l’obtention de la Bourse à la maîtrise en recherche (B1). Merci d’encourager les jeunes chercheures à contribuer à l’effort scientifique en sciences sociales. Je tiens aussi à remercier le Département d’anthropologie de l’Université Laval pour l’obtention de la Bourse d’excellence de soutien au terrain à la maîtrise. Enfin, merci au Fonds Georges-Henri-Lévesque pour l’obtention de la Bourse d’excellence de soutien à la recherche. Mes séjours sur le terrain furent également facilités grâce à des bourses provenant d’une subvention Savoir du Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH) du Canada pour le projet « Mouvements autochtones et redéfinitions contemporaines de la souveraineté : comparaisons intercontinentales », sous la direction de Natacha Gagné.

Enfin, je remercie mes parents, Jacinthe et François. Quel cliché! Mais ce mémoire vous est dédicacé, pour votre présence en votre absence. Je vous aime. Vous m’avez tant transmis, dans votre silence ou votre parole : vous êtes mes héros. Ni plus ni moins, je suis vous et vous êtes moi. Intelligents, aveuglés, perspicaces, susceptibles, « tous pour un et un pour tous », je vous porte partout et on vous sent présents dans ce mémoire, merci. Personnes incroyables, encore, ordinaires, je suis fière de vous et fière de moi. Nous nous verrons plus tard où nous aurons l’occasion de discuter de ce mémoire et de toutes les belles choses qui m’attendent. La famille est un sujet « vieux comme le monde », mais aussi contemporain et toujours si précieux.

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Introduction

Chez les Polynésiens1 de Polynésie française, un territoire français d’Océanie, l’adoption à la polynésienne, appelée « fa’a’amu2 » en Tahitien3, est une pratique répandue, mais officieuse. Cette pratique ancestrale de circulation d’enfants, qui se retrouve dans toute l’Océanie (Firth 1936; Beaglehole 1940; Carroll 1970; Levy 1973; Brady 1976; Charles 1995; Saura 1998; Leblic 2004; Bowie 2004; Demian 2004; Marshall 2008; Schachter 2008; Howell 2009; Collard et Zonabend 2015), relève d’un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Il s’agit d’une entente informelle entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant. Les pratiques liées à l’adoption fa’a’amu se déploient aujourd’hui dans une société qui a subi dans son histoire des transformations majeures, en particulier depuis la colonisation française. Ces changements dont nous donnerons un aperçu dans ce mémoire affectèrent directement les pratiques relatives à l’organisation de la famille et, par ricochet, à l’adoption

fa’a’amu.

En vertu du Code civil français en vigueur sur le territoire depuis le XIXᵉ siècle, bien que les parents adoptifs possèdent, dans les faits, la garde de l’enfant, ce sont les parents biologiques qui en restent les gardiens légaux (Charles 1995). La pratique pose donc au quotidien des problèmes concrets relatifs à l’exercice de l’autorité parentale et à l’accès à certains services, congés et allocations parentaux pour les parents polynésiens, comme l’ont révélé des entretiens réalisés auprès du personnel de la justice, dans le cadre du projet « Legs colonial

1 Dans ce mémoire, trois noms communs seront employés pour identifier les personnes aux origines polynésiennes. Le terme « M/mā’ohi » fait référence aux personnes qui s’identifient comme autochtones en Polynésie française. Le terme « P/polynésien » est employé pour définir les personnes originaires de Polynésie française de façon plus inclusive. Enfin, le terme « T/tahitien » est employé lorsqu’une situation concerne les personnes rattachées spécifiquement à l’île de Tahiti et parfois plus largement aux îles de la Société.

2 Le mot fa’a’amu en Tahitien, peut être employé comme adjectif signifiant « adopté » ou « adoptif » : « e tamari’i fa’a’amu », « un enfant adoptif/adopté ». Il peut aussi être employé comme verbe 1. « nourrir, donner à manger » : « Ua fa’a’amu ānei ‘oe i te pua’a ? », « As-tu donné à manger aux cochons ? »; 2. « adopter » : « E piti tamari’i tāna i fa’a’amu », « Il a adopté deux enfants »; 3. « élever des animaux » : « E fa’a’amu ‘oia i te moa i Taravao », « Il élève des poulets à Taravao » (Académie tahitienne 2017). Le mot « fa’a’amu » est constitué du préfixe préfixe causatif ou « fa’a », suivi du verbe « ‘amu », qui veut dire manger. On peut y ajouter le suffixe « ra’a », ce qui effet de transformer le verbe en substantif : fa’a’amura’a (Hooper 1970 : 70).

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et outre-mer autochtone: Kanak de Nouvelle-Calédonie, Amérindiens de Guyane et Mā’ohi de Polynésie face à deux institutions de la République française (justice, école) », auquel j’ai pris part comme auxiliaire de recherche en 2016 dans le cadre de la recherche menée par Natacha Gagné sur la justice en Polynésie.

Pour pallier l’absence de dispositions légales concernant en propre l’adoption à la polynésienne dans une société en profonde mutation, les parents (biologiques et adoptifs) ainsi que leurs avocats se tournent parfois vers les dispositions du Code civil relatives à la délégation de l’exercice de l’autorité parentale et à l’adoption de façon à bricoler des dispositions pour protéger l’enfant, même si celles-ci ne recouvrent qu’imparfaitement les réalités culturelles des Polynésiens.

Dans ce mémoire, je m’intéresse à l’adoption à la polynésienne, tout particulièrement au cas d’enfants fa’a’amu suivis par les services sociaux sur les îles de Rurutu et de Tahiti. Ainsi, la recherche s’est articulée autour de la question suivante : En Polynésie française, comment

les acteurs aujourd’hui impliqués auprès d’enfants fa’a’amu (personnel des services sociaux, parents fa’a’amu et biologiques) composent-ils avec l’adoption à la polynésienne comme pratique ancestrale, mais toujours actuelle ?

Mon mémoire s’inscrit dans l’idée de donner la parole aux populations autochtones quant à la manière de gérer leurs affaires sociales. À titre d’exemple comparatif, en étant attentif aux enjeux pratiques reliés à l’adoption coutumière en milieu autochtone, le droit de la famille québécois fut modifié par la prise en compte de l’adoption coutumière en milieu autochtone (Goudeau 2017). Brièvement, cet amendement donne le droit aux communautés de produire un certificat d’adoption coutumière, lequel est reconnu par le droit québécois. Il s’agit d’une adoption simple : la filiation avec les parents biologiques est maintenue et s’y ajoute la filiation des parents adoptifs (Goudeau 2017). Ceci permet de régler ces questions entre membres de la communauté, sans passer par les tribunaux québécois. Il s’agit là d’un gain pour les communautés autochtones du Québec qui revendiquent depuis longtemps le droit de gérer leurs affaires sociales comme il leur semble bon de le faire. Christiane Guay, professeure de travail social, et Sébastien Grammond, qui était professeur de droit au moment de cette publication, expliquent :

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(…) des agences autochtones de protection de la jeunesse sont en mesure de mieux saisir les besoins et comprendre les réalités culturelles des communautés qu’elles desservent (Sinclair et

al., 2004). Leur personnel, qui est en grande partie composé d’Autochtones, peut interpréter la

loi d’une manière qui est davantage compatible avec le mode de vie, les croyances et valeurs autochtones. De plus, la gouvernance en matière de services sociaux permettrait de mettre à l’avant-plan les valeurs culturelles telles la famille, l’entraide et le respect, que l’on considère malmenées par l’actuel système de protection de la jeunesse. (Grammond et Guay 2016 : 11)

Mon étude pourrait donc alimenter les réflexions entourant l’adoption à la polynésienne et ainsi avoir des retombées pratiques potentielles. En étant attentive aux défis et enjeux de l’adoption fa’a’amu pour les Polynésiens, mon projet s’inscrit donc dans les suites d’une réflexion entamée il y a vingt-huit ans, en Polynésie française, sur les enjeux et défis de l’adoption fa’a’amu. En effet, en 1992, une initiative d’acteurs institutionnels (ministres, chercheurs, responsables d’association) fut mise sur pied afin de traiter de la question de l’enfant fa’a’amu, ce qui donna lieu, en 1993, à la publication des actes du colloque « Regards sur l’enfant fa’a’amu » par l’Association Polynésienne de Recherche, Intervention et Formation, dans lesquels plusieurs recommandations apparaissent (A.P.R.I.F. 1993). Elles n’ont pourtant fait l’objet d’aucun suivi de la part de l’État français ou du gouvernement du territoire. Mon mémoire sera l’occasion de faire un retour sur ces recommandations auprès des acteurs sur le terrain afin de contribuer à les actualiser. Les retombées de cette recherche pourront notamment servir à alimenter les réflexions des acteurs impliqués dans les services relatifs à l’enfance et à la justice (A.P.R.I.F. 1993).

Ce mémoire comporte cinq chapitres. Le premier discute du cadre théorique sur lequel je me suis appuyée pour répondre à ma question de recherche. En débutant par les écrits portant sur le colonialisme et ses mécanismes, j’identifie d’abord certains éléments qui ont permis à l’État français de s’implanter sur ce territoire pour ensuite montrer en quoi le droit a quelque chose à voir avec ces mécanismes de domination, pour enfin questionner les notions d’« apparentement » et de « familisation ».

Je présenterai par la suite, dans le deuxième chapitre, le contexte socio-culturel et historique de la Polynésie française. Il donne un aperçu des changements majeurs qui ont marqué l’histoire du territoire afin de saisir dans sa complexité la question de l’adoption fa’a’amu et ses enjeux et défis dans la Polynésie française d’aujourd’hui.

(18)

Le troisième chapitre porte sur la problématique de la recherche ainsi que sur le cadre méthodologique déployé dans sa mise en œuvre.

Le chapitre quatre traite de façon empirique de l’adoption à la polynésienne et des défis qu’elle pose aujourd’hui pour les Polynésiens faisant partie d’un monde pluriel. Le chapitre est divisé en deux parties. La première présente une typologie de l’adoption à la polynésienne, illustrée par des portraits d’enfants fa’a’amu. La deuxième partie présente une discussion en trois temps, articulées autour des différents moments de la vie d’un enfant

fa’a’amu, de manière à mettre en relief certains défis et enjeux l’entourant.

Le chapitre cinq est en quelque sorte une réponse au chapitre 4, c’est-à-dire qu’il est indissociable de ce dernier pour une prise en compte holiste de l’adoption fa’a’amu en Polynésie française. Dans ce chapitre, je m’intéresse au travail des professionnels des services sociaux dans leur intervention auprès des familles d’enfants fa’a’amu et des enfants

fa’a’amu. Il s’agit là encore d’analyser les défis qui se posent à ces travailleurs qui tentent

tant bien que mal de prendre en compte les réalités culturelles et sociales relevant de l’adoption à la polynésienne, mais qui sont aussi soumis aux cadres administratifs français en matière de protection de l’enfance.

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Chapitre 1 – Cadre théorique

Pour ce mémoire, je propose un cadre théorique constitué par différentes notions. Ce choix s’inscrit dans une démarche de « théorisation bricolée », c’est-à-dire qu’il s’agit d’élaborer un modèle d’analyse qui agence des concepts opératoires isolés, sans emprunter une théorie existante (Campenhoudt et al. 2017 : 383). Afin de comprendre l’adoption à la polynésienne et ses enjeux actuels dans le contexte légal français, il me semble important de débuter par la notion de « situation coloniale » afin de me doter d’outils pour comprendre la Polynésie française dans la situation globale dont elle fait partie. D’ailleurs, la notion de droit en anthropologie et son intrication particulière dans l’histoire coloniale de la Polynésie française me semblent un autre élément conceptuel important à retenir. Il s’agit de soulever, en trois temps, les implications du droit pour mon projet, en commençant par une réflexion sur l’imposition d’un mode de pensée par le droit, suivie d’une discussion de la notion de pluralisme juridique, laquelle permet de lever le voile sur les angles morts du centralisme juridique dans les États comme la France, puis d’aborder la question des continuités et des ruptures historiques des pratiques de justice en contexte colonial. Enfin, les dernières notions qui serviront à cadrer théoriquement mon projet relèvent des concepts d’« apparentement » et de « familisation ». En effet, il me semble pertinent de comprendre les processus relationnels relevant de la famille en Polynésie afin de comprendre les enjeux pratiques contemporains que pose l’adoption à la polynésienne dans le contexte de la Polynésie et de la République française.

1.1. La « situation coloniale » et ses legs

La Polynésie française fait partie d’une matrice coloniale particulière qui peut être illustrée par le commentaire de l’Amiral commandant supérieur des troupes du Pacifique en 2009 : « [l]es colonies ont été traitées de façon très différente. Ainsi, la Polynésie n’a jamais été une colonie de peuplement et il n’y a jamais eu d’esclavage, ni de traite, même s’il y a eu quelques déportés politiques » (cité dans Regnault 2013 : 167). En effet la Polynésie française fut dès le départ une colonie d’exploitation, grâce notamment aux gisements de phosphate. La population aux origines polynésiennes y resta toujours très majoritaire; elle représente aujourd’hui plus de 80% de la population totale du territoire.

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De plus, une des particularités de la colonisation fut l’imposition, dès les années 1860, du Code civil français pour les Polynésiens faisant partie de l’ancien royaume des Pomare. Ainsi, dans cette partie du territoire polynésien, il n’y a pas eu de régime d’indigénat, comme partout ailleurs dans le Second Empire colonial français.

Le concept de « situation coloniale » élaboré par l’anthropologue Georges Balandier en 1951 m’apparaît d’une grande pertinence encore aujourd’hui pour penser le renversement du monde suite à l’expansion globale des Empires coloniaux (Copans 2001 : 32). En effet, selon Balandier, « [l]’action coloniale, au cours du XIXᵉ siècle, est la forme la plus importante, la plus grosse de conséquence prise par cette expansion européenne; elle a bouleversé brutalement l’histoire des peuples qu’elle soumettait; elle a, en s’établissant, imposé à ceux-ci une situation d’un type bien particulier » (Balandier 1951 : 44). Ainsi, la situation coloniale est la « construction culturelle et politique d’un moment particulier » (Cooper et Stoler 1997 : 15, cité dans Merle 2013 : 212), constituée d’acteurs (colonisateurs et colonisés) qui participent à l’édification de leur situation commune. L’approche de la situation coloniale tente de retracer le « jeu » qui se joue entre les colonisés et les colonisateurs et l’unité qu’ils forment ensemble (Balandier 1951 : 44).

L’approche d’Albert Memmi est complémentaire à celle de Balandier pour la compréhension de la relation entre colonisateur et colonisé. Selon Memmi, le colonisateur est lié au colonisé dans une relation dont ils ne peuvent s’extraire aisément. Ce lien de dépendance est complexe et Memmi l’explique comme suit : « [i]l détruit et recrée les deux partenaires de la colonisation en colonisateur et colonisé : l’un est défiguré en oppresseur, en être partiel, incivique, tricheur, préoccupé uniquement de ses privilèges, de leur défense à tout prix; l’autre en opprimé, brisé dans son développement, composant avec son écrasement » (Memmi 1957 : 108). Si cette relation est caractéristique de la situation coloniale, on peut se demander si elle demeure présente au sein d’une société (post)coloniale, comme on qualifie souvent la Polynésie française, alors qu’il n’y a jamais eu révolution, ce qui implique que le territoire est toujours sous la tutelle française.

Une des dimensions de la colonisation à laquelle j’ai été particulièrement attentive dans ce projet est le droit. Pour Balandier, l’expansion européenne fut possible grâce à des actions économiques, administratives ainsi que missionnaires (Balandier 1951 : 52). Memmi

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précise : « [l]a relation coloniale n’est pas simplement un rapport interpsychologique entre le colonisateur et le colonisé, c’est aussi la relation entre le colonisé et l’administration coloniale, le pouvoir politique, l’économie coloniale, etc. » (Memmi 1957 : 94). Balandier mentionne également les aspects juridiques de la situation coloniale (Balandier 1951 : 50). Ainsi, la colonisation procède à travers une série d’actions qui « appelle des outils politiques (…) en passant du législatif au militaire » (Memmi 1957 : 92). Ceci implique de faire une « sociologie historique du politique qui s’interroge sur les processus concrets, dans des situations contingentes précises, par lesquels s’effectue le changement social et s’affirme simultanément des lignes de continuité » (Bayart et Bertrand 2006 : 144).

Pour la Polynésie française, un moment historique comme celui de l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) en 1962 permet d’entrevoir les effets du colonialisme (Saura 2015 : 300) de façon à documenter les différentes lignes de continuité et de rupture sociales, notamment celles concernant la parenté, puis plus particulièrement l’adoption à la polynésienne. Cette époque est marquante en termes de changements sociaux dus au refus d’indépendance (1958) de la part du peuple polynésien, alors que pour plusieurs anciennes colonies, les années 1960 signifièrent la décolonisation. Il en est autrement pour la Polynésie, qui entrait plutôt dans l’aire du nucléaire. Nic Maclellan parle de « colonialisme nucléaire » (2005 : 364). Pour lui, la position stratégique de la Polynésie française pour l’implantation du CEP est étroitement liée à l’histoire coloniale particulière de celle-ci et montre comment un territoire intrinsèquement périphérique, presque oublié de la métropole, est devenu dépendant de l’État français et de l’économie générée par le CEP (Maclellan 2005 : 369). En effet, durant ces années, la France a mis la Polynésie française au service de ses propres intérêts et entretient toujours avec elle une relation inégale et coloniale, selon Bruno Saura (2015 : 308).

Les approches théoriques de Bayart et Bertrand (2006), Memmi (1957) et Balandier (1951) m’amènent à comprendre la Polynésie française d’aujourd’hui dans son histoire coloniale particulière et, notamment, à être attentive à comment l’économie, la politique et le droit servent à garder la Polynésie française dans le giron de la France (Regnault 2013 : 212).

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1.2. Le droit et ses mécanismes de régulation sociale

Dans les sociétés de tradition juridique romaine, on constate que pour les juristes, le concept de droit est habituellement compris comme un ensemble de dispositions instructives ou interprétatives fournies dans un État donné, qui servent à définir le statut des personnes et à régler les conflits (Littré 1863). Pour l’anthropologie, le droit est plutôt compris comme suit : « concepts of justice grow out of particular cultural understandings and practices. What justice means, and for whom, must be answered in terms of contexts and situations » (Goodale 2017: xii). Ainsi, en situation coloniale, le droit fonctionne comme imposition d’un ordre et d’un régime de rationalité.

1.2.1. Implantation d’un régime de rationalité par le droit

Si le champ du droit tire sa force de son apparente neutralité, c’est parce que le langage juridique voile les processus à travers lesquels il reproduit certaines inégalités sociales et impose un mode de pensée bien précis (Mertz 2007 : 5). Les notions « d’intérêt de l’enfant » et « d’autorité parentale »4, par exemple, pourtant essentielles dans la gestion de l’adoption simple et plénière, ne recoupent qu’imparfaitement les réalités de l’adoption à la polynésienne, dans laquelle l’enfant circule de façon relativement fluide entre ses familles et où ces notions sont interprétées différemment. Ainsi, selon l’anthropologue juridique Elizabeth Mertz, ces catégories juridiques « emphasize specific details of cases, a focus that “conceals the social roots of legal doctrines, avoiding examination of the ways that abstract categories… privilege some aspects of conflicts and events over others” » (2007 : 5). Pour le sociologue Pierre Bourdieu (1986), il est donc essentiel d’adopter une perspective critique relativement à l’idée que le champ du droit serait une entité autonome et neutre et d’être attentif à l’écart entre la règle et la pratique. En effet, il explique que le champ juridique est le produit d’un travail de systématisation et de rationalisation dans l’établissement et

4 Dans le Code civil français, l’autorité parentale est décrite ainsi : « [j]usqu’à la majorité ou l’émancipation d’un enfant (au moins), ses parents lui doivent respect et protection. Ils doivent également lui procurer un toit, assurer son éducation, veiller à sa santé et à son développement. L’exercice de l’autorité parentale, doit prendre en compte l’intérêt de l’enfant » (Arnaud et Fraboul 2012 : 1).

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l’application de règles spécifiques. Un des effets pervers de ceci est l’application d’une justice propre à la règle, mais en contradiction avec certaines réalités empiriques (Bourdieu 1986 : 43). Cette idée est particulièrement importante à retenir dans l’étude de la situation coloniale en Polynésie française où des catégories juridiques étrangères furent imposées et ont provoqué certains écarts entre la règle et la pratique, en particulier en matière familiale. Afin de dépasser cette inadéquation, la notion de pluralisme juridique est particulièrement fructueuse grâce à son rejet du centralisme juridique.

1.2.2. Pluralisme juridique en anthropologie

Il est généralement admis que le pluralisme juridique caractérise une situation dans laquelle coexistent deux systèmes légaux ou plus (Pospisil 1971; Girffiths 1986; Moore 1986, dans Merry 1988 : 870). Si l’idée du pluralisme juridique a toujours plané dans l’esprit des philosophes depuis l’époque romaine, c’est la conjoncture du XXᵉ siècle qui donna lieu à la formation d’édifices théoriques sur la pluralité du droit (Rouland 1988 : 62). Le concept de « pluralisme juridique » émerge des recherches sur le colonialisme et le postcolonialisme – qualifié aujourd’hui de vision « classique » du pluralisme juridique – comme l’analyse de l’intersection entre les droits européen et autochtone (Merry 1988 : 872). Ces études ont donné naissance à une foule de théories anthropologiques sur les différentes définitions du droit et de leurs applications dans différentes sociétés.

Dans un article de 1986, Griffiths identifia l’ennemi principal de ceux qui souhaitent s’engager dans l’étude du droit et des sociétés : le centralisme juridique. En admettant cela, il avança que le centralisme juridique de l’État est un mythe et que le pluralisme juridique relève du fait (Rouland, 1988 : 71-72; Dupret, 2006 : 46-47).

Pour l’anthropologue Sally Engle Merry,

[t]he concern is to document other forms of social regulation that draw on the symbols of the law, to a greater or lesser extent, but that operate in its shadows, its parking lots, and even down the street in mediation offices. Thus, in contexts in which the dominance of a central legal system is unambiguous, this thread of argument worries about missing what else is going on; the extent to which other forms of regulation outside law constitute law. (1988 : 874)

Comme Merry, en m’appuyant sur le concept de pluralisme juridique, je souhaite montrer en quoi l’adoption à la polynésienne relève d’une forme de régulation sociale externe au droit

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officiel, qui s’observe à la fois en dehors du contexte juridique français, mais aussi en interaction avec celui-ci. L’adoption à la polynésienne est donc un bon exemple, je pense, d’un cas où, « on closer inspection, even dominant colonial legal orders failed to penetrate fully, encountered pockets of resistance, and were absorbed and co-opted » (Merry 1988 : 874).

Une fois cette idée retenue, se posent les questions suivantes : comment appelle-t-on alors ce qui relève du droit informel ? Est-ce ce qu’on peut l’appeler droit coutumier ? Ou bien, droit autochtone ? Ou encore, « Folk Law » ? Quand on s’y penche, on se rend compte des limites de la notion de « droit coutumier » et des différentes appellations que recouvre la notion. Elles relèvent d’un héritage colonial de domination et sous-tendent une vision figée des sociétés historiquement colonisées (Merry 1988 : 875-876).

Afin de dépasser ces limites théoriques, l’anthropologue Sally Falk Moore développa l’expression « champs sociaux semi-autonomes » (semi-autonomous social field) (Moore 1973; Rouland, 1988 : 70; Dupret, 2006 : 47). Le concept permet d’être attentif aux interactions entre le droit formel et informel et donc, de tenir compte de la situation coloniale. Moore écrit ainsi que le champ social semi-autonome :

(…) can generates rules and customs and symbols internally, but that… is also vulnerable to rules and decisions and other forces emanating from the larger world by which it is surrounded. The semi-autonomous social field has rule-making capacities, and the means to induce or coerce compliance; but it is simultaneously set in a larger social matrix which can, and does, affect and invade it, sometimes at the invitation of persons inside it, sometimes at its own instance. (Moore 1973 : 720)

Ainsi, l’adoption à la polynésienne est à la fois pratiquée en marge du droit puisqu’elle possède une certaine autonomie, mais elle est également parfois confrontée au Code civil français, ce qui n’est pas, on le suppose, sans l’influencer. Comme le rappelle le Tahitien Colas dans l’ouvrage de Cizeron et Hienly, « on est tous [F]rançais » (1983 : 88), citation qui évoque certaines formes de ruptures avec les traditions juridiques polynésiennes. Les frontières qui délimitaient autrefois chacun des protagonistes de la colonisation, se sont effritées et le droit du colonisateur est devenu partie intégrante de la vie des gens et de leur vision d’eux-mêmes (Goodale 2017: 62). Dans ce contexte, l’adoption à la polynésienne se trouve parfois dans une position ambiguë. Tout dépendant des cas, elle peut être gérée par

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les spécialistes de la justice, notamment dans les cas d’adoption entre Popa’ā5 et Polynésiens,

mais aussi dans les cas d’adoption entre Polynésiens, d’où l’importance de saisir les différentes lignes de continuités et de ruptures des pratiques juridiques dans le contexte de la situation coloniale.

1.2.3. Continuités et ruptures des pratiques juridiques

Sally Engle Merry et Donald Brenneis, dans leur ouvrage collectif Law & Empire in the

Pacific (2003), ont étudié le lien entre les legs coloniaux et le droit du point de vue des Fidji

et d’Hawaii. Selon eux, l’introduction d’un nouveau système juridique construit de nouvelles conceptions de la justice et de l’organisation sociale qui sont portées par les consciences individuelles et se manifestent dans les pratiques quotidiennes (Merry et Brenneis 2003 : 19). Ainsi, des éléments de la situation coloniale persistent dans le temps et ont des effets dans le présent. Ceci recouvre en partie la définition que donnent Bayart et Bertrand du legs colonial. Pour eux, le passé a certainement quelque chose à voir avec le présent et ce rapport est singulier d’une situation coloniale à l’autre (Bayart et Bertrand 2006 : 144).

En Polynésie française, les questions de filiation et d’héritage me semblent notamment fondamentales pour comprendre ces ruptures et ces continuités. En France, les liens de parenté font l’objet de codifications très claires dans le droit français, comme on peut le remarquer en prenant les exemples des actes de mariage, des actes de décès, des certificats de naissance et des procédures d’adoption, de la législation entourant l’autorité parentale, des procédures de testament et d’héritage, etc. (Carroll 1970 : 6; Charles 1995 : 447; Demian 2004 : 99; Howell 2009 : 153; Arnaud et Fraboul 2012 : 2; Collard et Zonabend 2015 : 12). Si l’ancrage de la filiation dans le droit français impose, en théorie, la codification des liens parentaux et du coup, l’inscription de tout changement de relations de parenté, ceci entre en contradiction avec certaines pratiques ancestrales de parenté en Polynésie française.

Une attention à la persistance des formes de régulation sociales polynésiennes, et donc à leurs possibilités de subversion, forme la clé d’une meilleure compréhension du champ du droit

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comme mécanisme de changement social, qui selon l’anthropologue américain Mark Goodale, révèle la poésie du droit (2017: 52). Les travaux des anthropologues qui se sont penchés sur le droit en contexte colonial (Merry 1988; Niezen 2010; Goodale 2017) témoignent de cette volonté de montrer les limites et les possibilités d’application de ce champ comme institution sociale de règlement de conflit. Il s’agit donc de mettre en lumière le pluralisme des situations juridiques dans une société comme la Polynésie française en matière d’adoption à la polynésienne.

1.3. La parenté

Bien qu’il soit commode d’offrir une définition claire du concept de « parenté », une telle ambition relève d’un projet quelque peu irréalisable, du moins, du point de vue de la discipline anthropologique. Dû à son caractère changeant, les anthropologues n’arrivent pas à s’entendre sur ce qui serait au cœur de la « parenté ». En d’autres mots, chercher une définition universelle, ou même générale de la parenté, c’est donc restreindre l’étendue des possibilités d’étude de cet objet. Dans une perspective constructiviste, rappelons les propos quelque peu dérangeants de l’anthropologue britannique Rodney Needham : « [l]a parenté, ça n’existe pas » (1971 : 106-107), puisqu’il s’agit d’une construction sociale. Par contre, pour les besoins de la recherche, affirmer que la parenté n’existe pas n’est pas plus utile que d’en fournir une définition universelle. Depuis les débuts de la discipline, les anthropologues ont tenté de répondre à la question que David Schneider se posait en 1968 : « [w]hat is kinship all about ? » (Howell 2009 : 150). La réponse tend à être de nature multiple et comme nous le verrons maintenant à travers un détour historique sur ce champ de recherche en anthropologie, l’étude de la parenté a souvent été victime de biais ethnocentriques relatifs à la perception occidentale de la parenté, définie étroitement par les liens de sang. À mon sens, passer en revue les préambules théoriques et historiques de l’étude de la parenté se justifie par une volonté de souligner l’indiscutable contemporanéité de ce champ d’études dans un contexte de pluralité des mondes tel que celui où se déroule cette recherche.

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1.3.1. La parenté comme champ d’études particulier

1.3.1.1. Les édifices théoriques de l’étude classique de la « parenté »

En 1871, fondant l’anthropologie sociale, Lewis Henry Morgan publia l’ouvrage Systems of

Consanguinity and Affinity of the Human Family, qui donna le véritable coup d’envoi du

champ d’études de l’anthropologie de la parenté (Collard et Zonabend 2015 : 3-4). Avec Henry Sumner Maine (1861), ces anthropologues sont considérés comme les pionniers de l’étude de la parenté en anthropologie. Ils ont établi leurs recherches sur le postulat selon lequel la procréation, la filiation (et/ou la descendance) et le mariage étaient des phénomènes se trouvant au cœur de la parenté (Howell 2009 : 153). Dès le début, la « parenté » fut considérée comme l’objet d’étude par excellence de la discipline anthropologique puisqu’elle permettait un solide point de départ dans l’étude de l’Autre. Comme le constatent les anthropologues Chantale Collard et Françoise Zonabend (2015 : 4), les ethnologues et anthropologues qui suivirent Morgan et Maine, passèrent par l’étude de la parenté – c’est le cas notamment de W. H. Rivers (1910), A. L. Kroeber (1917), B. Malinowski (1922), M. Mauss (1923), C. Lévi-Strauss (1949), E. E. Evans-Pritchard (1950), A. R. Radcliffe-Brown (1952) – et doivent leur renom à leurs écrits sur la parenté. En effet, la parenté était considérée comme un phénomène social total et permettait aux anthropologues de développer des théories à partir de petits groupes (clans, tribus), situés généralement – sinon en grande majorité – hors de l’Occident.

L’anthropologie classique prit racine dans la compréhension de l’Autre dans des sociétés dites préindustrielles et visait la recherche de la tradition, la compréhension de l’ordre social et donc de la cohérence interne d’un groupe (Levine 2008). Les monographies étaient le modèle de production scientifique dont se servaient les anthropologues et dans lequel les sociétés y étaient impeccablement détaillées. L’idée était de décrire les « systems and structures, integration and stability, and groups and the relationships between groups, conceptualized in terms of paradigms of descent and alliance » (Levine 2008 : 376). Ce type de monographie fut établi à l’encontre de la perspective évolutionniste de Morgan et Maine. Les théories évolutionnistes avançaient l’idée générale qu’il existait des stades d’évolution sociale qui menaient aux sociétés civilisées, lesquelles correspondaient aux sociétés occidentales alors que les théories structuro-fonctionnalistes montraient comment

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s’articulaient des logiques internes aux cultures et sociétés. À son paroxysme, l’étude de l’anthropologie de la parenté fut enseignée dans tous les départements d’anthropologie, et les cours dispensés dans ce champ étaient prérequis dans la formation et la certification des anthropologues (Collard et Zonabend 2015). Reprenons donc quelques-unes des théories qui ont marqué l’étude de la parenté en anthropologie.

D’origine britannique, la théorie de la filiation est théorisée par Rivers en 1910. Cette théorie place la filiation au cœur de la parenté, puisque c’est ce qui permet de transmettre ou d’attribuer la qualité de « membre » à une personne (Coppet 1989 : 1). La théorie de la filiation différencie « filiation » et « descendance ». La première relève d’une transmission d’ordre juridique et la seconde, d’une transmission d’ordre biologique. Cette distinction permet d’élargir les possibilités de phénomènes de parenté, pour y ajouter les mariages par exemple (Collard et Zonabend 2015 : 11). D’autres anthropologues comme Leach (1954), Radcliffe-Brown (1952) et Fortes (1949, 1953, 1969) ont par la suite raffiné cette théorie de la parenté en y ajoutant des précisions, notamment relatives aux types de transmission du statut social, de la citoyenneté, de l’héritage (foncier et mobilier), de charges, de privilèges, etc. (Collard et Zonabend 2015 : 11; Coppet 1989 : 1). Essentiellement, « [c]ette théorie met le couple conjugal nucléaire dans la famille et l’ancêtre filial dans la généalogie au centre des systèmes de parenté : c’est dans cette unité de base que s’incarnent véritablement les relations de consanguinité, donc de filiation » (Collard et Zonabend 2015 : 42). On peut constater que dans cette théorie, la définition de la parenté s’accompagne des dimensions juridique et biologique.

Claude Lévi-Strauss fut le père du structuralisme français et un des théoriciens du 20e siècle le plus prolifique. Se positionnant dans la lignée de Durkheim, et s’inspirant des travaux de Mauss, Lévi-Strauss publia en 1949 Les structures élémentaires de la parenté, et en 1958,

Anthropologie structurale, dans lesquels il présente ses analyses de la parenté, appuyées sur

le concept de réciprocité. Son modèle situe l’échange réciproque de femmes au cœur de la parenté (Erickson et Murphy 2013 : 82). Contrairement à la théorie de la filiation qui place le couple au centre de la parenté, la théorie de l’alliance place la réciprocité entre plusieurs groupes comme élément constitutif de la parenté. Au fondement de cette réciprocité se trouve la prohibition de l’inceste, qui « est la condition première de l’émergence des rapports de

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parenté et celle de la survenue de l’humanité sociale » (Collard et Zonabend 2015 : 43). Ce principe d’échange des femmes hors de son groupe d’origine est aussi connu sous le terme d’exogamie. On peut retracer ici l’édifice théorique de Marcel Mauss (1923), c’est-à-dire « la nécessité de l’échange de personnes contre d’autres personnes, tout échange impliquant

réciprocité, comme tout don demandant un contre-don » (Collard et Zonabend 2015 :

43-44).

Des théories évolutionnistes aux théories structuro-fonctionnalistes, l’objet d’étude « parenté » fut extrêmement important dans l’institutionnalisation de la discipline anthropologique. Les anthropologues ont pu développer des théories sociales, des méthodologies propres à l’anthropologie et ainsi, assoir les assises de la discipline. L’anthropologie culturelle telle qu’abordée par David Schneider permit d’apporter quelques bémols aux théories structuro-fonctionnalistes relatives à l’étude de la parenté.

1.3.1.2. Quelques critiques de l’étude de la parenté en anthropologie

Autour des années 1960 nait toute une série de critiques de l’anthropologie de la parenté, alimentée notamment par les réflexions des théories sur la science (Kuhn 1962; Latour 1979), des théories féministes (Rosaldo 1974; Ortner 1974; Friedl 1975; MacCormack et Strathern 1980; Ortner et Whitehead 1981), des théories du genre (Scott 1986; Butler 1990), des théories sur le colonialisme (Balandier 1951; Memmi 1957; Saïd 1978; Appadurai 1996) et des théories sur la modernité (Latour 1991). Les critiques générales à l’égard de ce champ avancent que l’objet « parenté » est pensé de façon figée; qu’une modélisation de la parenté nuit à la compréhension du dynamisme de la réalité des individus et des collectivités; puis, qu’une application ethnocentrique et androcentrique du dualisme nature/culture serait au cœur de la production scientifique qui est, du coup, biaisée.

David Schneider est un anthropologue américain reconnu comme l’une des figures de proue de l’anthropologie culturelle et de l’anthropologie symbolique. Dans son livre American

Kinship : A Cultural Account (1968), il montra que pour les Américains, ce qui est au

fondement de la parenté est le lien de sang, en d’autres mots, le lien biologique (Howell 2009 : 150). S’opposant aux travaux des anthropologues de tradition structuro-fonctionnaliste et en s’appuyant sur une analyse culturelle, il montra en quoi les recherches

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de ses collègues contenaient des biais ethnocentriques relatifs aux liens de sang (Collier et Yanagisako 1987 : 30). Selon lui, ce lien n’était que « a figment of the anthropological imagination and an artifact of a bad theory and […] comparative studies of kinship had to be based on “some other, firm ground, or abandoned” » (Levine 2008 : 376).

Non seulement Schneider est reconnu pour avoir décelé certains biais ethnocentriques des recherches anthropologiques sur la parenté, mais aussi pour avoir réorienté le regard des fonctions, des structures sociales, des règles et des types de sociétés, vers l’étude de la culture, des significations, et plus précisément, d’une compréhension de ce que les « relations » entre « parents » représentaient pour les personnes concernées (Levine 2008 : 376). Dans le cas des Américains, Schneider fut en mesure de comprendre qu’au fondement de la parenté, on retrouve d’une part la procréation (le lien biologique ou partage de substance) et, d’autre part, la codification de ce lien biologique à travers le droit : « kinship [was] part of two more general categories of American culture: the “order of nature” and the “order of law” (Levine 2008 : 376). L’ordre du droit représente le processus culturel par lequel les humains se distinguent de la nature : « it is the order of law, that is, culture which resolves contradictions between man and nature, which are contradictions within nature itself » (Schneider 1968 : 109, dans Strathern 1992: 206).

En 1984, Schneider publia le livre A Critique of the Study of Kinship, dans lequel il retrace l’histoire de l’étude de la parenté en anthropologie. Il raffina sa critique en avançant que « we assume that of all the activities in which people participate, the ones that create human offspring are heterosexual intercourse, pregnancy, and parturition. Together these constitute the biological process upon which we presume culture builds such social relationships as marriage, filiation, and coparenthood » (Collier et Yanagisako 1987: 30), ce qui offrit aux anthropologues féministes matière à réflexion.

Les théories des anthropologues féministes ont travaillé à montrer en quoi l’étude de la parenté telle que proposée par les théories structuro-fonctionnalistes laissait de côté le sort des femmes, en les reléguant d’emblée à la sphère du privé, au maternage et au mariage. La critique qui semble prendre le plus d’importance est celle qui propose de remettre en question les fondements biologiques des sexes mâles et femelles. En faisant cela, il est possible de déconstruire les rôles sociaux qui sont attribués à chacun des sexes et ainsi, de mieux

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comprendre l’organisation sociale des sociétés (Collier et Yanagisako 1987 : 49). Les théoriciennes des années 1970 ont notamment montré qu’il était difficile de séparer l’étude de la parenté de l’étude du genre en montrant leurs liens intrinsèques : « [b]oth gender and kinship studies, we suggest, have foundered on the unquestioned assumption that the biologically given difference in the roles of men and women in sexual reproduction lies at the core of the cultural organization of gender, even as it constitutes the genealogical grid at the core of kinship studies » (Collier et Yanagisako 1987 : 49).

Ces apports au champ d’études de la parenté ont permis aux anthropologues de développer de nouvelles approches théoriques et empiriques dans le but de rendre compte des phénomènes de parenté contemporains. C’est à ceux-ci que nous nous attarderons maintenant.

1.3.2. Nouveaux regards : discussion autour des concepts de « relatedness » et de « kinning »

C’est dans les années 1990 que refait surface avec vigueur la thématique de la parenté, marquée par des auteurs comme Marshall Sahlins (1985, 2013) aux États-Unis, Marilyn Strathern (1992) et Janet Carsten (2000, 2004) en Grande-Bretagne, ainsi que Françoise Héritier (1994) et Maurice Godelier (2004) en France (Collard et Zonabend 2015 : 4). Les anthropologues qui s’intéressent désormais à la parenté étudient les impacts de la globalisation et du développement économique mondial, en rapport avec la fluidité et la contingence des rapports de parenté dans une perspective historique. Au lieu de parler en termes de systèmes et de structures, les anthropologues s’intéressent aux processus et aux pratiques. Le terme « parenté » est alors repensé en fonction des phénomènes d’apparentement qui ont alors cours. Ceci est particulièrement significatif pour ce mémoire : il me semble important de comprendre comment, concrètement, les Polynésiens sont en relation, pour mieux saisir les enjeux pratiques que pose l’adoption fa’a’amu dans le contexte de la Polynésie et de la République française.

L’étude de la parenté nécessite l’examen de ce qui « apparente », de ce qui « affilie », de ce qui « crée » ou encore, de ce qui « relie ». L’anthropologue Janet Carsten (2000) propose le concept de « relatedness », traduit en français par « apparentement », pour remplacer celui

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de « parenté ». Selon elle, ce concept ouvre de nouvelles avenues de compréhension des phénomènes reliés à l’étude de la parenté. On peut lire dans son ouvrage:

[t]he authors in this volume [Cultures of Relatedness. New Approaches to the Study of Kinship] use the term « relatedness » in opposition to, or alongside, « kinship » in order to signal an openness to indigenous idioms of being related rather than reliance on pre-given definitions or previous versions. In this introduction, I have also used « relatedness » in a more specific way in order to suspend a particular set of assumptions about what is entailed by the terms social and biological. I use « relatedness » to convey, however unsatisfactorily, a move away from pre-given analytic opposition between the biological and the social on which much anthropological study of kinship has rested. (2000: 4-5)

Le terme « relatedness » est particulièrement porteur puisqu’il permet d’ouvrir le champ de nouvelles possibilités de recherche en s’attardant aux « relations » significatives d’apparentement dans des contextes particuliers. Historiquement, les études de la parenté en anthropologie ont véhiculé le dualisme nature/culture, ce qui implique un certain nombre de biais, notamment par l’association de la procréation à la parenté. Le concept permet ainsi de sortir de ce dualisme, car les relations d’apparentement ne soutiennent pas que l’un ou l’autre en soit le fondement, mais tente plutôt de comprendre ce qui relie les individus ensemble (Carsten 2000 : 5).

Par ailleurs, l’anthropologue Signe Howell propose le terme « kinning », qui peut se traduire par « familisation » (Collard et Zonabend 2015 : 77). Il s’agit alors de souligner les processus d’assimilation ou de substitution de parenté, comme dans le cas des pratiques d’adoption. Toujours dans l’effort de réfléchir à ce qui relie les gens entre eux, la familisation renvoie aux processus de création de relations parentales :

[t]he circle of kin spreads outwards from parents and children to other relatives, and kinship is created and reinforced through family events, ritual occasions, visits and the construction of a common family history. This is the case for all children, although the position of adopted children in the wider family may be more tenuous than birth children, and require greater ‘kinning’ effort. (Bowie 2004 : 11)

On peut comprendre que ce qui relie, ce qui apparente, ce qui affilie relève de processus divers. Comprendre ces relations m’a également amenée à vouloir saisir pourquoi, dans certaines situations, les Polynésiens font appel au droit pour gérer l’adoption à la polynésienne, alors que dans d’autres situations, ils n’y ont pas recours. Se posent alors les questions suivantes : Que représente cette pratique pour les Polynésiens d’aujourd’hui ? À quels défis font-ils face ? Pourquoi font-ils appel au tribunal pour régler les questions de

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filiation ? Dans le cas contraire, pourquoi ? Bref, je cherche à comprendre comment la pratique d’adoption à la polynésienne est vécue et négociée par les Polynésiens, ce qui implique, par ricochet, d’être attentive également aux perspectives et aux actions des spécialistes qui travaillent auprès d’enfants fa’a’amu.

1.3.3. L’adoption comme phénomène d’apparentement et de familisation

La question de l’adoption est une entrée qui me semble intéressante pour discuter des enjeux relatifs à la parenté, comme le dualisme nature/culture, le rapport au droit, la pertinence des nouveaux concepts comme « relatedness » ou « kinning », qui mènent vers une compréhension de ce qui est au cœur de la parenté polynésienne et donc, de la façon dont les Polynésiens sont en relation. Comme le fait remarquer Howell : « [adoption] raises theoretical and analytical questions about the meaning and role of kinship. […] As a social practice, adoption goes to the heart of kinship » (2009 : 150). Bien qu’encore une fois, aucune définition ne fasse consensus parmi les chercheurs qui travaillent sur l’adoption, il convient tout de même d’en tracer les pourtours. Howell définit l’adoption comme la « practice whereby children, for a variety of reasons, are raised by adults other than their biological parents, are treated as members of the family among whom they live, and are accepted as such by others » (2009: 150).

Dans les sociétés occidentales, l’adoption apparaît à l’époque du système athénien qui permettait aux hommes sans fils légitime (excluant les « bâtards ») d’adopter un fils afin de pallier aux enjeux relatifs à l’héritage (Fine 2000 : 23). Dans la société française du début du 19e siècle, c’est encore l’idée de fournir un descendant à une lignée sans héritier légitime qui prévaut, à condition d’être âgé de plus de 50 ans (c’est-à-dire ne plus être en âge de procréer), afin de ne pas concurrencer les mariages légitimes (Fine 2000 : 23). Au siècle suivant, l’année 1923 marque l’entrée dans la loi de la pratique d’adoption comme on la connait aujourd’hui, c’est-à-dire la possibilité d’offrir une famille à des enfants qui n’en ont pas, causée notamment par la fin de la Première Guerre mondiale qui fit exploser le nombre d’enfants orphelins, mais aussi le nombre de couples ayant perdu leurs enfants. Comme le précise Fine, l’idée est d’offrir « une famille à des enfants qui n’en ont plus ». Telle est la nouvelle finalité de l’adoption, mais dans les faits, le succès de la loi montre qu’elle correspondait à un besoin

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