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Une semaine dans les pas du personnel des services sociaux de Polynésie

Chapitre 5 – Les stratégies relatives au fa’a’amu des professionnels qui œuvrent auprès des

5.2. Les professionnels, leur travail et leur perception de l’enfant fa’a’amu

5.2.2. Une semaine dans les pas du personnel des services sociaux de Polynésie

Au moment de mon deuxième séjour sur le terrain, j’ai accompagné en mission sur l’île de Rurutu un psychologue et une travailleuse sociale. Exposons maintenant comment s’est déroulé leur travail sur l’île de Rurutu afin d’en comprendre les rouages de manière générale. Concernant leur mandat de protection de l’enfance, ces missions permettent aux professionnels de faire le suivi des dossiers déjà en cours à la DSFE, de prendre connaissance des nouveaux signalements, ainsi que de faire le tour des principales institutions (gendarmerie, hôpital, etc.) de l’île afin d’effectuer un suivi. Une journée en « polyvalence » est aussi prévue pour le grand public, c’est-à-dire qu’un des deux intervenants passe une journée complète à la mairie de l’île afin de prendre en compte toutes le demandes d’aides sociales43 des gens intéressés.

Pendant les jours où les intervenants sont présents sur l’île, les journées de travail sont bien remplies : la journée débute à 6h00 et se termine rarement avant 19h00. Les soirs sont dédiés à l’analyse des dossiers pris en charge. Les soirées permettent donc de faire le point en équipe sur les possibilités envisageables pour intervenir auprès des enfants et de leur famille. Par exemple, c’est l’occasion de discuter de certaines nuances dans des cas de signalement, de ce qui relève de la punition corporelle ou de la maltraitance physique d’un enfant, où parfois la ligne est mince. Les professionnels m’expliquaient d’ailleurs qu’une bonne partie des informations préoccupantes qui leur sont transmises relèvent de punitions corporelles qui sont allées trop loin. Dans les cas des îles éloignées, malheureusement, cela peut prendre jusqu’à un an avant de pouvoir en faire l’évaluation puisque les visites dans l’île sont rares. Pendant une journée de travail, à deux travailleurs, ils peuvent, en partenariat avec les institutions scolaires et sociales, traiter jusqu’à 25 dossiers, que ce soit des cas d’enfants à

43 Les aides sociales sont prévues afin de répondre aux défis de la vie. Les travailleurs sociaux ont donc aussi le mandat d’aider à traverser ces moments plus difficiles (au niveau du couple, de l’organisation familiale, de la scolarité des enfants, du rôle de parent, de la santé, du logement, de la gestion du budget familial, etc.). Cela peut se manifester de plusieurs façons : « la Direction des Solidarités de la Famille et de l’Égalité (D.S.F.E) peut vous proposer un accompagnement social. Avec votre accord et votre participation, cet accompagnement se définit en tenant compte de vos difficultés individuelles et familiales. Cet accompagnement peut s’appuyer sur des aides sociales associées à un projet social défini par un contrat social » (DSFE 2019a :2).

propos desquels une information préoccupante leur a été signifiée ou pour effectuer le suivi d’une mesure administrative déjà en place ou pour agir de façon rapide dans une situation dangereuse pour un enfant.

La mission débute habituellement en effectuant la tournée des différents établissements pouvant transmettre de l’information sur la situation des enfants afin de faire le point sur le travail à faire pendant les jours que dure de la mission. Au collège de Rurutu, le personnel des services sociaux rencontre le proviseur, le conseiller principal d’éducation et l’infirmière scolaire. À travers cette rencontre, les professionnels discutent des différents cas d’enfants à problèmes, ils témoignent de leurs constats et de leurs préoccupations, notamment des signes de négligences scolaires, de maltraitances physiques de la part de la famille, des troubles de comportement chez l’enfant (par exemple des signes de violences), de manière à décider de la stratégie à établir avec l’enfant dont il est question.

Pour les cas où une évaluation doit être faite, les professionnels se déplacent directement chez les familles concernées, afin de prendre connaissance de l’environnement de l’enfant et aussi de rencontrer les membres immédiats de sa famille. Lors de ces visites, j’accompagnais les professionnels et observais leurs pratiques. De manière générale, leur visite se déroule sur une trentaine de minutes, de façon à prendre le pouls de la situation. C’est à la suite de cette visite que les professionnels me laissaient conduire un entretien auprès des membres de la famille qui avaient accepté de participer à ma recherche. J’ai donc pu avoir accès à une partie de leur « intimité », ce qui se révéla être particulièrement intéressant pour ma compréhension de la situation. En effet, dans certaines situations, les familles s’exprimaient sur leur insatisfaction relativement aux procédures administratives employées par le personnel de la DSFE et me révélaient des histoires qu’ils ne racontaient pas systématiquement aux professionnels, de peur de se voir « enlever » l’enfant.

Si un placement d’enfant en risque de danger a lieu suite à l’évaluation, il doit la plupart du temps s’effectuer auprès de la famille élargie, faute de centre d’accueil présent sur l’île. Pour les cas d’enfant en danger avéré, comme c’était le cas de la jeune Aira qui habite aujourd’hui auprès de sa tante maternelle sur l’île de Tahiti, le placement se fera idéalement à l’extérieur de l’île, dans un foyer d’accueil ou dans le réseau de la famille élargie. D’ailleurs, ces

très éloignée des services prévus en matière de protection de l’enfance. Une mesure d’urgence est alors déployée afin de fournir à l’enfant en danger avéré un environnement sécuritaire immédiat. J’ai d’ailleurs pu prendre connaissance d’une de ces mesures d’urgence. Une jeune fille avait été victime d’un viol incestueux et la travailleuse sociale que j’accompagnais a dû la faire transporter par avion sur l’île de Tahiti dans les heures qui ont suivi la signification de l’information préoccupante. Dans ce cas-ci, la jeune a été « chanceuse » dans sa malchance d’avoir pu compter sur le support des services sociaux, de passage dans l’île au moment même du drame. En effet, les missions se déroulent pour une période d’une semaine, trois à quatre fois par an. Les professionnels doivent donc composer avec les besoins criants du terrain et le manque d’effectifs et de moyens professionnels.